News - 23.11.2008

10 propositions pour attirer 100 Mds € d'épargne

Maintenant que les paradigmes macro et microéconomiques changent sous l’effet de la crise, comment tirer des capitaux gérés selon les principes de La Finance Islamiques ? Y aurait-il des contre-vérités à dissiper, des définitions à clarifier, et de bonnes pratiques actuelles à analyser afin de concevoir une ligne de conduite. Toutes les places financières s’y interrogent, Paris en tête. C’est le mandat confié mandatés en France, par Paris Europlace, à deux éminents chercheurs universitaires Elyès Jouini, Professeur à l’Université de Paris-Dauphine et Olivier Pastré, Professeur à Paris VIII Saint-Denis. Leur rapport, remis le 13 novembre 2008 a retenu toute l’attention de la ministre de l'Economie, Christine Lagarde qui avait promis, en juillet dernier,  une «adaptation de l'environnement juridique» du système financier français.

Sous le titre de « Enjeux et opportunités du développement de la Finance Islamique pour la Place de Paris », le rapport dégage 10 propositions pour attirer 100 Mds€ d’épargne. Jouini et Pastré, connaissant parfaitement la Tunisie, pourront certainement étendre leur réflexion à la Place de Tunis. Pour les lecteurs préssée, voyons d’abord les 10 recommandations, la vision de la dimension maghrébine et africaine et en fin un résumé du rapport.
 
10 propositions pour attirer 100 Mds€ d’épargne
  1. Un important effort de communication de la part de la Place Financière de Paris en direction des pays où la Finance Islamique se développe le plus rapidement.
  2. Un encouragement donné à l’implantation d’une ou plusieurs institutions financières islamiques, banques et compagnies takaful, en France.
  3. La création d’un indice boursier islamique par NYSE Euronext.
  4. Le développement accéléré de formations en matière de Finance Islamique, en partenariat avec des structures existant dans les pays musulmans.
  5. La création, au sein de NYSE Euronext, d’un compartiment dédié aux sukuk suivie d’une ou plusieurs émissions privées de sukuk.
  6. Le développement de la collecte de l’épargne des Résidents Musulmans en France, dans le prolongement du rapport Milhaud sur ce thème.
  7. La suppression de la double taxation en matière de publicité foncière et de droits d’enregistrement dans le cadre d’opérations d’achat-revente sans intention spéculative. Déductibilité de la rémunération et confirmation de l'absence de retenue à la source.
  8. La réforme de la réglementation concernant la fiducie, réforme jugée, par ailleurs, indispensable.
  9. L’exonération de la garantie des vices cachés dans le cadre d’achat/vente simultanés et la possibilité de cession à titre civil de garanties.
  10. La réforme des conditions de refinancement en matière de crédit-bail.
 Une dimension maghrébine et africaine
 
« Paris a encore la possibilité de jouer le rôle de « porte d’entrée » de la Finance Islamique à destination de l’Afrique.
En effet, le continent africain compte au total 412 millions de musulmans (plus de 50% de la population mondiale musulmane) pour seulement 39 banques islamiques, qui contrôlent 18 milliards de dollars d’actifs, soit une part de marché de seulement 8%. Selon Moody’s, le marché potentiel africain s’élève à 235 milliards de dollars.
 
Les pays africains (maghrébins en particulier) sont pour l’instant réticents à l’entrée d’établissements ou de produits islamiques. Cependant, la situation est en train de changer.
 
L’Algérie a déjà autorisé les opérations d’une banque islamique (Al Baraka), qui se développe tous azimuts, et trois autres établissements envisagent de s’implanter dans ce pays. Au Maroc, Qatar International Islamic Bank et Noor Islamic Bank ont annoncé leur intention d’ouvrir une filiale. Par ailleurs, Gulf Finance House, l’un des plus importants fonds d’investissement du Bahreïn, développe des projets touristiques et immobiliers au Maroc (2 milliards de dollars) et d’urbanisme en Algérie (3 milliards de dollars). Enfin, la Tunisie a annoncé, au cours de l’été, que la législation bancaire va être aménagée pour permettre la création de banques islamiques.
 
Il conviendrait d’encourager les projets de Finance Islamique qui permettent d’intensifier les relations entre la France et l’Afrique.
 
Extraits du Rapport
 
« Quand cette mission nous a été confiée, en Avril 2008, l’indice Dow Jones était encore à 12 500 points, le baril de pétrole culminait à 120 dollars et l’écrasante majorité des experts, des professionnels et des politiques croyaient encore que la crise que nous traversons était une crise des «subprimes» et qu’elle se dénouerait tout naturellement au prix de quelques sacrifices marginaux.
 
La situation aujourd’hui est toute autre. La planète entière a pris conscience de l’ampleur de la crise actuelle (et pêche même parfois par excès de dramatisation). Cette crise remet en cause toute une série de paradigmes, aussi bien au niveau macroéconomique qu’au niveau microéconomique. Au niveau macroéconomique, cette crise fait prendre conscience que le point d’équilibre de l’épargne mondiale s’est déplacé au cours des dix dernières années et s’est durablement équilibré autour des pays émergents qui ont accumulé, et qui vont durablement accumuler, des réserves de change (environ 5 000 milliards de dollars au début de 2007), pays qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent et doivent participer à la définition des conditions de la sortie de crise.
 
Au niveau microéconomique, on peut considérer que certains développements récents de l’économie financière se trouvent profondément remis en cause par la crise actuelle. Ainsi en est-il, par exemple, de certaines activités de marché mais, plus généralement, de certains business models bancaires. Il est certain ainsi qu’à l’avenir les activités de banque commerciale et les activités bancaires inscrites dans la durée devraient retrouver une place dans le financement des économies qu’elles n’auraient peut-être jamais dû perdre.
 
Ce double changement de paradigme donne à la Finance Islamique une actualité qu’elle n’avait pas il y a de cela quelques mois. Les capitaux gérés ou susceptibles d’être gérés selon les principes de la Finance Islamique vont connaître une croissance rapide et durable. Par ailleurs, le fait que la philosophie de la Finance Islamique repose à la fois sur un investissement dans la durée et sur le partage du risque financier fait de ce type de modèle financier un modèle particulièrement adapté à la période que nous vivons.
 
Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. La Finance Islamique soulève des interrogations et suscite des incompréhensions, voire des mécanismes de rejet, qu’il faut commencer par clarifier :
1)     La Finance Islamique partage avec la Finance « conventionnelle » de nombreuses racines.
2)     La Finance Islamique est profondément hétérogène et ne correspond pas ainsi, la plupart du temps, aux présentations caricaturales qui en sont faites.
3)     La Finance Islamique ne participe, pas plus que la Finance « conventionnelle », au financement du terrorisme (qui évite, autant que faire se peut, toute forme de finance régulée).
 
On pourrait multiplier les contrevérités trop souvent véhiculées sur la Finance Islamique. Mais la première de ces contrevérités, à laquelle nous nous sommes efforcés d’apporter un démenti, vise à faire croire que la Finance Islamique occupe une place marginale dans la finance mondiale. On peut considérer que la Finance Islamique représente aujourd’hui un marché de 700 milliards de dollars (soit autant que le « plan Paulson » et presque autant que le marché des « subprimes ») et nous estimons que, à l’horizon 2020, ce marché devrait représenter 1 000 milliards d’euros (soit, à titre de simple mise en perspective, l’équivalent du tiers des fonds propres de l’ensemble des banques mondiales en 2007 ou l’équivalent de la moitié de la capitalisation boursière de la Place Financière de Paris aujourd’hui).
 
Ces quelques chiffres témoignent de l’intérêt qu’il y a à se préoccuper de la place que la France pourrait jouer dans le recyclage, d’une part au moins, de cet immense gisement d’épargne stable. Les avantages pour la France de jouer un plus grand rôle dans la gestion de cette épargne sont évidents, au-delà des intérêts stricts de la Place Financière de Paris :
  • assurer un meilleur financement de la balance des paiements ;
  • assurer, dans de meilleures conditions, le financement à long terme de l’économie ;
  • participer à la création d’emplois, pour la plupart qualifiés (l’industrie financière constituant, en France, l’industrie la plus créatrice d’emplois à ce jour) ;
  • assurer un meilleur positionnement de la France par rapport à certaines régions (Moyen Orient mais aussi Asie du Sud-Est).

Mais les avantages, pour la Finance Islamique, de faire le choix de Paris (par rapport à Londres) sont, eux aussi, nombreux :

  • iversifier ses risques, en opérant sur des places financières aux profils très diversifiés ;
  • diversifier ses sources d’expertise, en profitant des nombreux efforts de modernisation entrepris par la Place Financière de Paris (notamment en matière de formation) ;
  • mieux se positionner par rapport à l’euro, dont le statut de monnaie internationale s’affirme chaque année.
Que faire pour dynamiser le développement de la Finance Islamique en France ? Tout d’abord, il est toute une série d’erreurs à ne pas commettre. La première, et la plus importante d’entre elles, reviendrait à nourrir un complexe d’infériorité par rapport à Londres sur ce segment de marché. Londres ne dispose que d’un seul avantage compétitif, surestimé mais réel, évident par rapport à Paris, celui de la langue. Cet avantage peut être, en partie au moins, compensé. Pour le reste, Paris dispose d’atouts que la Place Financière n’a peut-être, à ce jour, pas suffisamment mis en avant :
  • un droit romain plus proche du droit islamique que ne l’est, a priori, le droit anglo-saxon ;
  • une expérience ancienne et confirmée de partenariats avec les régions dans lesquelles la Finance Islamique se développe le plus rapidement, notamment les pays du Golfe (banque consortiales, joint-ventures, …) ;
  • une population musulmane trois fois plus importante en France qu’en Grande Bretagne ;
  • un positionnement privilégié dans la gestion des transactions en euro ;
  • une plateforme technologique (NYSE Euronext) plus internationalisée que celle de Londres.
Mais il est un autre avantage compétitif dont dispose Paris sans en avoir profité à ce jour. Compte tenu de la proximité culturelle de la France avec les pays Musulmans, notre pays pourrait : 1) acquérir le leadership mondial en matière de Finance Islamique au prix d’un petit nombre de réformes (dix tout au plus) ; 2) ce faisant dériver vers la Place Financière de Paris des capitaux dont le montant peut être évalué, en première approximation, à 100 milliards d’euros.
 
Un certain nombre de ces réformes (voir supra) peuvent apparaître techniques et sont d’ordre juridique. Ces réformes sont indispensables et simples à mettre en œuvre. Par ailleurs, elles participent pleinement à la modernisation de notre cadre juridique national, indépendamment de leur intérêt pour le développement de la Finance Islamique en France.
 
Il est clair que ces réformes n’ont pas toutes le même poids. Au terme de cette mission, s’il en était une qui revêt à nos yeux un caractère prioritaire, ce serait celle concernant la communication (Proposition Nº1). La France méconnaît la Finance Islamique et la Finance Islamique méconnaît la France. Il faut rapidement mettre un terme à cette double ignorance.
 
Parmi les réformes proposées, il en est certaines qui demandent un certain laps de temps pour être mises en œuvre de manière complète (Réformes Nº1, 2, 5 et 6). Ceci doit contribuer à accélérer le démarrage de cette mise en œuvre. Mais il est aussi des réformes (Réformes Nº3, 4, 7, 8, 9 et 10) qui pourraient être opérationnelles dans le mois, voire dans les semaines, à venir. Si le Gouvernement et les professionnels jugent utiles de développer la Finance Islamique en France, il est possible d’agir au plus vite dans ces domaines.
 
La plupart de ces réformes peuvent se faire à coût budgétaire nul pour le Gouvernement et pour les professionnels (Réformes Nº 2, 5, 6, 8, 9 et 10). Pour les autres, le coût de la réforme se chiffre en centaines de milliers d’euros (Réformes Nº1, 3, 4) et, au pire, en millions d’euros (Réforme Nº7). Compte tenu des enjeux de ce dossier, ce coût peut être considéré comme dérisoire.
Un mot pour conclure. Ce n’est pas la Finance Islamique, à elle seule, qui permettra à la planète Finance de sortir de sa crise actuelle et à la France de s’exonérer d’autres réformes indispensables pour améliorer sa compétitivité. La Finance Islamique doit, par ailleurs, continuer à se réformer pour s’adapter plus harmonieusement au financement de l’économie mondiale. Il n’empêche. Le développement de la Finance Islamique, telle qu’elle existe aujourd’hui, constitue, pour notre pays, une opportunité unique de faire face à la crise et de préparer son avenir.