Chedly Zoukar, le poète-diplomate
L’Ambassadeur Chedly Zoukar vient de nous quitter ce 2 décembre 2008. Avec sa disparition, à 78 ans, la Tunisie perd un grand poète, un journaliste talentueux et un diplomate émérite, parmi les plus connus dans le monde arabe. De lui nous garderons tous, le souvenir d’un homme de grande culture et d'une urbanité d'un autre âge qui a su se créer un large réseau d’amis parmi les écrivains, poètes, intellectuels, journalistes et hommes d’Etat arabes, et d’une grande finesse.
Nous sommes au début des années soixante à Koweit-City: un jeune diplomate tunisien débarque de Djeddah, pour une courte halte régulière couvrant les émirats de la région. Il pose rapidement ses bagages à l’hôtel, tout proche de l’aéroport, et part en visite aux diwaniyas et entretiens officiels. De retour le soir à l’hôtel, il trouve un petit mot d’un jeune ingénieur palestinien, employé aux Travaux Publics de la ville, qui souhaite le rencontrer. Signature: Yasser Arafat. Chedly Zoukar gardera toujours précieusement cette carte qui marquera le début d’une longue amitié et de tout un engagement.
La passion de lire, écrire et réseauter
Toute sa vie, Chedly Zoukar l’a consacrée au service de sa patrie dans la diplomatie, et à sa passion : lire, écrire, créer des liens et les entretenir. Né à Monastir le 26 février 1931, il apprend de son père Cheikh Mohamed Salah Zoukar à la section locale de la Zitouna, les fondamentaux de la langue, mais aussi du Coran et de la littérature arabe. Dans cette ville très politisée, il a également puisé ses valeurs patriotiques et militantes qui l’on conduit, très jeune, à écrire sous les encouragements de Mhammed Al Marzougui, dans le journal Annahdha. Il deviendra le correspondant local, puis pour le Sahel avant de migrer vers Azzohra.
Montant à Tunis en 1951 pour poursuivre ses études à la Zitouna, il s’adonna alors pleinement au journalisme et à la littérature, fondant, en 1952, la «Ligue de la Nouvelle Plume» qui réunira Hédi Noomen, Slaheddine Ben Hmida et toute une génération de grands talents dont notamment le poète Mnaouar Smadah www.smadah.com.
Le diplomate en vadrouille
De retour à Tunis, il reprend son activisme journalistique et littéraire, rejoint les premières équipes de diplomates tunisiens du ministère des affaires étrangères et se prépare pour partir en poste dans un pays arabe. Dès 1961, un long parcours diplomatique le conduira successivement au Caire, Djeddah (couvrant tous les pays du Golfe) Amman (1er Chargé d’Affaires), Koweït (Ministre plénipotentiaire) et Sanaa (1er Ambassadeur). En près de 40 ans, il sillonnera toute la région et se trouvera aucœur de tous les grands évènements : l’indépendance du Koweït, puis la naissance des émirats du Golfe, la crise avec l’Egypte après le discours de Jéricho (1965), la naissance du Fath, Ayloul Al Asswad, les soubresauts de la Ligue des Etats Arabes, la crise libanaise, les conflits yéménites Nord-Sud jusqu’à l’union, et d’autres. Chedly Zoukar est toujours au bon moment, au bon endroit, retrouvant des amis qui lui seront précieux.
Je le retrouve à Sanaa, en 1987, puis plus longuement, en avril 1988. Dans la capitale Yéménite, comme partout ailleurs dans l’ensemble de la région, toutes les portes lui sont ouvertes. Dès que je lui parle d’un ministre (Al Attar, Al Arachi, etc.), d’un poète (Baradouni, Al Magaleh, etc.), d’un homme d’affaires, il me conduit immédiatement, parfois, à son domicile, souvent, au majliss Qat, cette fameuse pratique locale, animée par un musicien qui restitue les tréfonds patrimoniaux, des hôtes arabes de passage, et d’un aréopage hétéroclite, enrichissant en news, culture et savoir.
Dans sa résidence à Sanaa, se succèdent les invités choyés sans relâche par son aimable épouse qui n’hésite pas à les régaler d’un couscous au cherkaw. Sa bibliothèque ressemble à un musée de l’histoire du monde arabe. Des albums photos, des lettres, des livres et des journaux qui l’accompagnent toujours, en prenant sans cesse de nouveaux volumes, d’un poste à l' autre. Le hasard a voulu qu’à Sanaa, son voisin n'était autre que Jamel Arafat, le frère d’Abou Ammar, alors représentant de l’OLP.
Avant l'avènement de la télévision et de l’internet, Chedly Zoukar était déjà connecté, bien informé, à jour. Son carnet d’adresse devient un large accordéon. Son courrier vient par sacs entiers. Son départ de Sanaa, dernier poste avant de prendre sa retraite en 1990, fut célébré comme un hommage arabe.
Commence alors pour lui, depuis les hauteurs de gammarth où il a élu domicile, une paisible replongée littéraire, à partir de Tunis. Toujours alerte, toujours fidèle à ses amis, toujours envoûté par les belles lettres, il se dédiera totalement à l’Union des Ecrivains, associations culturelles, presse littéraire, et rencontres poétiques. Partout en Tunisie, et à l’étranger, il honore les invitations, s’y ren en entrainant de jeunes talents qu’il ne cesse d’encourager et de promouvoir. Pas plus tard que début novembre 2008, il était à Tripoli, pour participer aux festivités organisés par le Centre Culturel Tunisien à l'occasion de la commémoration du Changement. Inlassable jusqu’au dernier soupir, il se voue à sa double passion de relationniste (diplomate) et de poète.
Une œuvre intense et un vœu
Son recueil «Lil échqi…Lil watan», « couvre en 128 pages dans un format de poche en condensé les plus poignants des événements qui ont ponctué les cinq dernières décennies. Exprimées en poésie, des plus amères aux plus gaies, les amours et les souffrances sont mises à l’unisson faisant appel à l’autopsie pour relever les carences d’une époque dite engagée… II s’est toujours battu par sa plume, combattant l’ennemi d’outre temps et d’outre lieu pour être le plus souvent l’invité d’honneur, le conférencier, le représentant dans les rencontres culturelles les plus solennelles dans le pays ou ailleurs. www.tunisia-today.com/archives/1163 ».
Chedly Zoukar nous laisse en fait une œuvre immense. Des recueils de poésie, des articles de presse, des conférences, des interviews notamment celle de Taha Hussein, des albums photos et tant d’autres documents. Notre vœu, le plus cher, que son œuvre non publiée soit versée dans les archives nationales pour profiter aux historiens et aux nouvelles générations.
Paix à son âme.
Taoufik Habaieb