Nadia Ounaïs: Directeur du Musée océanographique de Monaco
C’est une figure de proue à Monaco : très connue et très appréciée. Notre compatriote Nadia Ounais, l’une des deux seules femmes conservateur-océanographe au monde, fait honneur à sa génération. Le Prince Rainier III ne l’avait-il pas nommée "Chevalier de l’Ordre de Saint Charles » (novembre 2001) et son fils et successeur, le Prince Albert ne continue-t-il pas à entourer le musee de sa sollicitude et de ses encouragements.
Son parcours est édifiant. De l’Ecole Jeanne d’Arc à Tunis, où son père feu Si Habib Ounaïs (ancien du Ministère des Finances), la conduisait affectueusement, chaque matin, avant de l’emmener pour le secondaire, au Lycée des Pères Blancs à El Menzah, à la consécration sur le Rocher et au sein de la communauté océanographique mondiale, le chemin de la réussite a été parcouru à la sueur de l’effort, de l’assiduité et de la persévérance.
Maîtrise en sciences naturelles de la faculté des Sciences de Tunis (1984), elle part à Marseille préparer un DEA (1986) et décrocher son Doctorat ès Sciences en Océanologie (1989) avec une thèse qui fait autorité sur la mise au point de l’élevage larvaire de la daurade.
Ces trois années, cruciales, ont été ponctuées un stage de 3 ans à la station de l’IFREMER de Palavas, une mission de 6 mois à Aqaba, en Jordanie (1987) pour monter une ferme expérimentale d’élevage de loups, et une série de recherches, publications et communications dans de grandes rencontres scientifiques internationales.
Première halte, juste après la thèse en 1989, à Antibes pour diriger une écloserie de loups et de daurades. Et là voilà sollicitée pour participer au grand défi de la relance du Musée Océanographique de Monaco. Fondé en 1903 par la famille princière, ce musée bénéficie d'une grande sollictitude des souverains successifs et de tous les membres de la famille. A 26 ans seulement, le Professeur Jean Jaubert, véritable référence mondiale en la matière, la lance dans ce challenge exceptionnel, la création du premier aquarium à récif vivant. « Paris gagné, écrira notre confrère "L’Observateur de Monaco" qui la célèbre parmi les quatre femmes qui ont su « avec audace, souvent, avec talent toujours, relever le défi et s’ériger en dignes représentantes de la condition féminine.»
Conservateur de l’Aquarium du Musée Océanographique de Monaco pendant 12 ans (1990-2002), elle crée des merveilles, ce qui lui vaut d’être promue Chef du Département Aquariologie et Animations (2002-2004), avant de devenir, depuis 2005, D irecteur Adjoint et 2007, Directeur opérationnel du site de Monaco et de l’Institut océanographique à Paris. Ces deux établissements appartiennent à la Fondation Albert Ier de Monaco. C’est-là qu’elle fait la preuve , sans jamais se départir de sa discrétion et de sa modestie, de sa double compétence de gestionnaire de site touristique et de direction scientifique et technique d’un centre muséal présentant du vivant. Un seul chiffre suffit pour le démontrer : le Musée, qui avait failli tomber en désuétude est totalement redressé : plus de 600 000 visiteurs par an.
A ce succès s’ajoute son rayonnement scientifique international. Son CV en est fort éloquent (Who's Who)
Aujourd’hui, Nadia a trois amours : la mer, sa Tunisie natale et ses deux perles Alyssa et Kenza. Leurs prénoms n’ont pas été choisis au hasard : l’évocation de la fondatrice de Carthage, venue par la mer, et les trésors que tout un chacun cherche en plongeant.
" Dès que j’ai un moment libre, je ne songe qu’à revenir respirer l’air de maTunisie, me ressourcer de sa lumière et me replonger dans mes souvenirs", nous confie t-elle. L’évocation de son enfance, de ses études, de ses amis et de sa famille la laisse toujours émue. Son père, Si Lahbib, comme toute sa famille, demeurent très vivaces dans sa mémoire. Comme si c’est à eux, et à tous les siens, qu’elle dédie sa réussite … et continue à œuvrer sans relâche pour les honorer davantage. Interview.
Comment vous est venue cette passion pour l’océanographie ?
La mer m’attire depuis mon plus jeune âge. Difficile de vous dire pourquoi ou comment, cela fait partie de moi. Comme toute une génération, Cousteau m’a fait rêver et a eu une grande influence sur mon choix de vie. Je n’aurai jamais imaginé qu’un jour je finirai dans ce temple de la mer qu’il a dirigé pendant 30 ans.
En Tunisie, je passais des journées entières dans l’eau avec un masque. Je disparaissais de la vue de mes parents et ma mère me parle encore aujourd’hui de son angoisse de ne pas me voir réapparaitre.
J’ai ensuite eu la chance de faire partie du premier club de plongée tunisien : le GEXS, groupe d’exploration sous-marine, club de la Maison des jeunes de la Marsa. J’étais également, à mes débuts (j’avais 16 ans) la seule fille du groupe. Cela restera un souvenir impérissable. Mes plus belles plongées, je les ai faites en Tunisie (Zembra en particulier où le premier film sous-marin tunisien a été tourné: "l’Horizon englouti". Seul le caméraman était français. Je faisais partie de l’équipe de plongeurs qui assuraient l’encadrement.
Cursus scolaire et universitaire en Tunisie (avec si possible mention des écoles, lycées, des enseignants marquants)
Bien qu’issue d’un couple mixte (ma mère est autrichienne), mes parents ont tenu à ce que je sois scolarisée dans le système tunisien et non dans les écoles françaises. Ecole Jeanne d’Arc en primaire puis les Pères Blancs en secondaire. Je savais déjà, dés mon entrée en secondaire que je voulais être océanographe. Mon chemin était alors pour moi tout tracé : bac sciences, université des sciences de Tunis avec pour objectif, finir la mieux placée possible pour décrocher la bourse qui me permettrait de passer mon doctorat en France. Pourquoi l’étranger ? Je souhaitais aller plus vite et aussi me prouver à moi-même que je pouvais y arriver seule, sans la présence bienveillante de mes parents qui m’ont toujours soutenue.
Les enseignants qui m'ont le plus marquée: je n’en citerai qu’un qui a eu un rôle très important. Il s’agit du Professeur Mohamed Hédi Ktari de la Faculté des Sciences de Tunis (écologie). C’était un passionné, je buvais ses cours. Il a tout de suite cru en moi, compris ma passion et ma motivation. C’est lui qui m’a aidé à m’inscrire à l’université la mieux adaptée à ce que je voulais faire et la plus cotée de l’époque en France. J’avais finalement obtenu la bourse et je voulais me spécialiser dans l’aquaculture, discipline en plein boom à cette époque et qui correspondait aux besoins de la Tunisie.
Lâcher de la Tortue
L’affirmation/confirmation en France : Comment vous avez pu réussir ? A quel prix ? Quelles ont été les dates et étapes marquantes ?
Je suis une grande travailleuse, une vraie besogneuse ! J’aime tout simplement le travail et lorsqu’on a la chance de faire de sa passion son métier, on redouble d’efforts !
En Tunisie, je dois avouer que je faisais partie des privilégiés. Aucun souci si ce n’est pour me consacrer à mes études. Je n’avais aucune excuse pour ne pas réussir.
A mon arrivée en France, pour ma première année de DEA et après avoir obtenu ma maitrise en Tunisie je n’ai eu aucun mal à suivre la formation. Il faut dire que je faisais partie du contingent des étrangers admis à ce DEA (nous étions 5) et les conditions d’admission étaient sévères pour nous (réussite avec mention exigée pour toutes les années d’étude). La formation que j’ai eue en Tunisie était parfaitement adaptée et largement au niveau!
Première étape importante pour moi : l’obtention de ma thèse sur un sujet clé à l’époque. J’avoue ressentir une certaine fierté en pensant que j’avais réussi la mission confiée par l’IFREMER, mettre au point la technique d’élevage de la daurade. Cela m’a valu très vite un grand nombre d’offres d’emplois et c’est ainsi que j’ai décidé de commencer ma vie professionnelle en France.
Entre temps, grâce à une rencontre qui a marqué ma vie professionnelle, le Professeur Jaubert grand spécialistes des coraux, j’ai travaillé en Jordanie, à Aqaba plus exactement, sur un projet « défi » qui a également bien fonctionné et qui m’a valu quelques années plus tard mon embauche au Musée océanographique de Monaco.
Au Musée, j’ai démarré en tant que conservateur de l’aquarium. Nous n’étions que deux femmes seulement à l’époque en Europe à occuper cette fonction.
J’avais également un challenge à relever, maintenir vivants des coraux madréporaires en aquariums. C’était une première mondiale accueillie au départ avec beaucoup de scepticisme par mes pairs mais unanimement saluée plus tard. Aujourd’hui encore l’aquarium de Monaco reste la référence mondiale en la matière.
Alors, un petit pincement au cœur : reconnue par mes pairs, décorée par le Prince Rainier III de Monaco en 2001 mais assez peu connue dans mon propre pays à qui je pense pouvoir et devoir beaucoup apporter !
Quels liens gardez-vous aujourd’hui avec Salammbô, la Tunisie, les chercheurs, le pays ?
J’ai toujours cherché à maintenir un lien fort avec mon pays, et pas seulement d’un point de vu familial et personnel (ceux là sont toujours aussi forts) mais aussi professionnel. J’ai cherché à me faire connaitre afin d’apporter ma contribution. Cela n’a pas été simple mais j’ai quand même eu la grande satisfaction de travailler à la construction et rénovation de l’aquarium de Salammbô. J’en garde un bon souvenir mais je pense que l’on pourrait aller beaucoup plus loin.
J’ai toujours maintenu également des contacts permanents avec le consulat de Tunisie. Je reçois régulièrement par ce biais (mais aussi directement par la Principauté de Monaco) un grand nombre de personnalités tunisiennes en visite dans la région. Ces visites me comblent à chaque fois !
Pour finir, j’ai un besoin vital de rentrer régulièrement au pays tous les ans ! Pas seulement pour ma famille et mes proches mais surtout pour être chez moi tout simplement et me ressourcer !
Quels projets formez-vous pour l’avenir ?
J’aime les challenges et les défis, je pense qu’à la position où j’ai la chance d’être aujourd’hui j’en ai beaucoup encore à relever et cela me passionne. Je rêve tout de même d’un jour réaliser un grand projet en Tunisie. 1200 km de côtes et pourtant on ne parle que très peu de la mer dans notre pays ! Sans compter toute l’éducation à l’environnement qui reste à faire et je pense que la Tunisie pourrait prendre le leadership dans ce domaine pour les pays arabes ou du moins pour le Maghreb
Et un petit clin d’œil personnel : famille, enfants, amis d’enfance, collègues…
Cela reste bien sur mon lien le plus fort avec la Tunisie. Je n'ai pas oublié mes amis d’enfance que je retrouve tous les ans et avec qui je maintiens un contact permanent. J’ai hélas perdu mon père qui a toujours été très présent dans ma vie et à qui je pense souvent.
Et le plus important pour la fin : mes deux filles qui me comblent tous les jours : Alyssa 14 ans et Kenza 10ans !