Ces Tunisiens de New-York
A l’instar de Chinatown ou de Little Italy, y aura t-il un jour un « Tunisia Village » à New-York ? Rien n’est impossible, d’autant plus que nos compatriotes qui choisissent de s’y établir sont de plus en plus nombreux. On y retrouve, depuis l’installation de l’ONU dans son palais de verre à Manhatten, des fonctionnaires internationaux qui ont essaimé dans l’ensemble des agences onusiennes. Mais aussi, des étudiants dans les universités de la région et, de plus en plus de golden boys, très recherchés par la fameuse Bourse de New-York et les firmes financières de Wall Street. Les Bouhafa, Benaissa et Robbana, en sont les figures emblématiques, de vrais leaders dans leurs domaines dignes de success story. Comment y sont-ils arrivés? Par vagues successives. Depuis le début du siècle dernier. Flashback rapide et un premier visage de Manhattan.
Les premières expositions universelles au tout début des années 1900, avaient déjà attiré nos pionniers à New-York. Principal port d’accostage pour les transatlantiques en provenance du Vieux Continent , la ville a été le premier contact avec le rêve américain. Artisans tunisiens, notamment les potiers et spécialistes des tapis (Kharraz, Mechri, etc.) y sont partis, pour participer aux foires de Philadelphie et autres contrées. Une histoire cocasse qui s’est passée en 1936, mérite d’être racontée.
Ali Achour (frère de Si Lahbib), et Salah Mechri (père de Si Hédi), deux jeunes kerkenniens, d’une vingtaine d’années chacun, déambulent sur les quais du fameux Chott Krekna et du port de Sfax, échafaudant plans et ambitions pour bâtir leur avenir. A la vue des bateaux battant divers pavillons, ils rêvent de partir, quittent à se cacher dans les cales de l’un d’entre-eux, le temps d’une traversée pour se retrouver de l’autre côté de la méditerranée, à Marseille. Aussitôt décidé, aussitôt fait, ils embarquent, avec de maigres provisions pour deux à trois jours, sans savoir ce que le destin leur réserve. Manque de pot ou coup de chance, le bateau choisi partait pour… le Panama. Imaginez tout le reste. Un matelot Djiboutien les découvre, affamés, assoiffés, leur sauve la vie, mais encore, intercède en leur faveur auprès du Commandant de bord et leur trouve du travail à bord. Arrivés à Panama, ils repartent vers New-York. La ville est merveilleuse, irrésistible, Broadway ne vous laisse pas dormir. On chante, danse... et travaille. L’argent coule à flot pour ceux savent le gagner.
Mais l’heure du choix est décisive. Ali Achour décide d’y rester. Et fera une longue et prospère carrière, avant de revenir, sur le tard, au pays natal. Il sera particulièrement utile à son cousin Farhat Hached et son frère, Si Lahbib, lors de leurs missions auprès des syndicats américains et à la Tunisie pendant la lutte de libération. Quant à « Am Salah », il préféra revenir dans « la région » pour servir pendant plus de vingt ans, sur divers bateaux, surpris par la deuxième guerre mondiale, impliqué dans celle d’Indochine et encore de Suez, transportant troupes et produits. Il finira par jeter ancre et sac à Sfax où il retrouvera amis et parents qui lui ont tant manqué.
Dans les années 40, on y retrouve aussi El Abed Bouhafa, jeune cinéaste, écrivain, journaliste, multi-talents qui finira par devenir la cheville ouvrière du Néo-Destour à New-York, jusqu’à l’arrivée de Si Bahi Ladgham. L’amitié qu’il avait nouée avec des Américains ayant pris part à la campagne de Tunisie, lors de la deuxième guerre mondiale, le fera succomber aux sirènes de New-York. Il y brillera de mille feux et nombre de ses descendants et parents y feront carrière, jusqu’à ce jour.
La Tunisie indépendante, Mongi Slim, Président de l’Assemblée Générale de l’ONU, Représentant à New-York, Ambassadeur à Washington, décrochera des bourses d’études et parrainera nombre de jeunes étudiants, mais aussi futurs hauts fonctionnaires. Ses successeurs, notamment, son frère Si Taieb, Mahmoud Mestiri, Néjib Bouziri, Noureddine Mejdoub, Ali Hachani, et Habib Mansour, continueront sur la même voie. Si Mohamed Ghrab, deviendra Chef de Cabinet du Secrétaire général des Nations Unies (Kurt Waldheim), Hemdane Ben Aissa (Harvard) et Mohsen Belhaj Amor, atteindront le grade le plus élevé de la fonction publique internationale, Mourad Cheraiet, sera Directeur à l’UN-DTCD, feu Jamel Ben Yahmed, à la Direction de l’Information, Brahim Khelil, Secrétaire général de la Chambre de Commerce Arabe (puis Ambassadeur à Séoul), et d’autres encore.
Sans pouvoir concurrencer les Yéménites, épiciers de Brooklyn, certains s'essayent au commerce, à la restauration et même au commerce de luxe. L’une de nos compatriotes les plus dynamiques nous gratifiera d’un superbe magasin de mode sur l’une des plus grandes avenues de New-York, à quelques pas de Times Square. On trouve des Tunisiens propriétaires de merveilleux appartements dans les gratte-ciel, près de Central Park, ou encore, de vrais ranchs, en banlieue, dans le New Jersey. Bref, toute une communauté, certes réduite en nombre, mais qui fait honneur à la Tunisie. Nous y reviendrons.