Madame Kenza, le trésor de Moncef Dhouib
Mais qu’est-ce qui peut créer pareille animation nocturne, sur l’avenue Bourguiba à Tunis en plien hiver et provoquer même des embouteillages, en dehors des grands festivals? Wajiha Jendoubi, alias Madame Kenza, dans le dernier One Woman Show de Moncef Dhouib, pardi. A chaque représentation au Colisée, c’est toujours le même succès, dans une ambiance bon enfant. Le centre-ville retrouve un public de qualité qui l’a longtemps déserté. Un public exceptionnel, une sorte de mix entre celui des concerts d’El Farabi et des Comédies et spectacles de chansonniers français et d’El Téatro. Avec beaucoup de couples toutes générations confondues. Madame Kenza est promine à un bel avenir.
Il faut dire que Moncef Dhouib a bien réussi son œuvre. Comme toujours. Cinéaste de talent, nourri dès son jeune âge au Ciné-club de Sfax et chez les Cinéastes Amateurs, puis auprès des grands maîtres du 7ème Art à Paris et dans le monde, il a toujours signé des films de haute facture. Ses courts métrages, mais aussi ses longs métrages, surtout Soltane Lemdina (1992) ou la Télé arrive (2006) révèlent un rare talent à restituer des émotions fortes, sculpter des personnages hors du commun, soutenir un dialogue incisif.
Mais, ce n’est pas uniquement sur l’écran que s'exprime son esprit créatifs. Le théâtre, et surtout les one-man-show, il s y connait aussi. Mekki & Zakia en témoigne. Ce spectacle-culte, incarné par Lamine Nahdi sillonnera, des années durant, tous les coins et recoins de la Tunisie et s’exportera bien à l’étranger. Il sera la poule aux œufs d’or du comédien qui en disputera la paternité avec Dhouib. L’affaire sera portée, d'ailleurs, devant la justice. Tout comme le sketch de "Fi-Sardouk N’raichoui", d'ailleurs.
Echaudé, Moncef Dhouib, a pris cette-fois-ci ses précautions. Madame Kenza atteste pleinement de sa paternité, à 100% et ne saurait lui en être contestée.
L’humour décapant
Moncef Dhouib fait porter à Wajiha Jendoubi, les messages les plus divers, coulés dans un regard irrévérencieux, mais hilarant, sur la société. L’intelligence et l’humour se cachent derrière chaque mot, chaque geste. La jeunesse et ses errementq, la femme et ses multiples statuts, le couple, la famille, l’administration, l’éducation et la plaie des cours particuliers imposés, la tentation intégriste, l’émigration clandestine, l’amour, le mariage, l’obésité, le service national, le patriotisme, bref, tout y est.
Deux heures durant, Wajiha Jendoubi tient le public en haleine, le verbe haut, percutant, la gestuelle expressive. L’humour est décapant, surtout avec cette succession de sketches, ces changements d’accent, la parodie de certains comportements et styles. Une comédienne parfaite servie par un texte riche et bien ciselé, a su lui donner tout son relief. Ses reliefs, plutôt, tant elle a réussi à en jouer sur les multiples variations. Les scènes sont cocasses, virevoltantes de réalité et de spontanéité, les flèches sont affûtées, les rires fusent en rafales. Mais, si l’humour est dominant, certaines séquences de révolte contre des pratiques bureaucratiques désuètes et d’ancrage dans l’identité tunisienne suscitent une réelle admiration et de vifs applaudissements. Au grand bonheur du public, conquis, comblé.
Depuis son lancement à l'occasion du Ramadhan, en septembre dernier, la douzaine de représentations données (dont une au profit des victimes de Gaza) ont toutes affiché complet. L’agenda de l'année 2009 est bien garni. Mais, ce sont nos compatriotes à l’étranger qui la réclament avec insistance. De nombreuses demandes sont parvenues, du Canada, de toute l’Europe et même des pays voisins. Pour satisfaire toutes ces demandes, à quoi, il faut ajouter de celles de l’intérieur du pays, Madame Kenza devrait être dotée du don d'ubiquité… pendant plusieurs années.