Vive la crise
Comme à chaque début d’année, le journal « Le Monde »publie un bilan économique du monde. A l’instar des éditions précédentes, celle de 2009 est remarquable par sa concision, sa clarté et son exhaustivité : le tour du monde en 190 pages. En guise d’introduction, les faits saillants sont contextualisés, analysés, soupesés, mis en perspective. Des analyses portant l’estampille du grand quotidien parisien du soir: bien documentées sans être ennuyeuses ; profondes, d’une haute tenue tout en étant à la portée du commun des lecteurs. Bref, des articles répondant parfaitement à la définition de Boileau: «ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement». Ces articles sont suivis d’un Atlas de 174 pays, véritable radioscopie du monde. La formule lancée il y a une vingtaine d’années s’est affinée, gagnant en lisibilité.
"Annus horribilis", l’année écoulée n’a pas été avare en mauvaises nouvelles avec comme « point d’orgue » la crise financière et économique. C’est tout le système qui a vu le jour à Bretton Woods qui s’écroule sous nos yeux et avec lui toutes nos certitudes sur la toute-puissance de « la loi du marché », élevée il n’y a pas longtemps au rang d’un véritable dogme. Quand on parcourt cet atlas, on se rend véritablement compte que la mondialisation n’est pas un vain mot mais elle correspond à une réalité tangible. C’est l’économie autant que les media qui ont contribué à faire du monde, un village global. Née aux Etats Unis, la crise s’est répandue, à la vitesse de l’éclair, au monde entier.
Comme la grippe espagnole du début du siècle dernier, la plupart des pays sont touchés. Les grandes entreprises multinationales, ces mastodontes dont on a dit que c’étaient eux qui disposaient d’un Etat et non le contraire, ne sont pas épargnés. Quand on entend le patron de GM, le symbole même du capitalisme américain ( les prédécesseurs d’Obama ne s’ y étaient pas trompés qui affirmaient que « ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats Unis ) implorer l’Administration de lui fournir de toute urgence des fonds pour sauver son entreprise de la faillite on se rend compte vraiment de la puissance du Tsunami qui vient de frapper l’économie mondiale. Même Greenspan, l’ancien patron de la Banque Fédérale américaine avoue "n’avoir jamais vu ça". Un scénario catastrophe que même les spécialistes du genre à Hollywood n’avaient jamais osé imaginer. Une fois de plus, la réalité dépassait la fiction. En feuilletant cet atlas, on est frappé par la similitude des réactions des responsables politiques dès que les prémices de la crise sont apparues. Partout, la même volonté de nier la réalité, de minimiser les dégâts, de pratiquer la méthode Coué.
Au début des années 80, dans une France qui se débattait dans une grave crise sociale et économique, l’acteur français, Yves Montand avait animé une émission de télévision dont le titre était volontairement provocateur, «Vive la Crise» qui avait eu un grand retentissement, la prestation de Montand y était certainement pour beaucoup.Ce qui était remarquable, c'est que les auteurs de l’émission n’avaient pas cherché à rassurer l’opinion publique mais au contraire à lui faire prendre conscience de la gravité de la situation. L’idée centrale en était que la crise, parce qu’elle était le révélateur de nos faiblesses et de nos lacunes, parce que, également, l’opinion est plus encline en de pareilles périodes, à faire des sacrifices, à des concessions parfois pénibles, doit être mise à profit pour réformer ce qui ne pouvait l’être dans une période de prospérité. Peut-être que le temps se prête, aujourd’hui, pour revoir un système qui paraissait infaillible hier mais qui, aujourd’hui, a montré, assurément, ses limites.
Hédi