Le Pr Hassouna Ben Ayed: le Maître incontesté
Grand, droit, le regard direct, l’expression avenante, le sourire affable; tel apparaît au premier abord le Professeur Hassouna Ben Ayed.
Il émane de lui une parfaite autorité, modulée par une discrétion et une retenue natives.
Il a assuré une longue carrière menée avec un double impératif, celui du travail bien fait et celui du devoir parfaitement accompli.
De sa brillante carrière n’ont jamais été exclus ni le talent, ni l’amour de la science, ni l’amour des autres ni la compétence. A sa capacité d’écoute et de travail, à son intérêt pour le malade et sa rigueur du diagnostic, s’ajoutent la rigueur des principes et le don de responsabilisation des autres.
Né à Jerba le 21 Juillet 1926, dans une famille, bien connue, le professeur Hassouna Ben Ayed possède cet amour du travail minutieux qui distingue la plupart des enfants de l’Ile des Lapophages, ceux-là mêmes dont il a hérité, la sensibilité, l’ouverture d’esprit, l’amour du prochain, apanages des insulaires, mais aussi des hommes de grande culture dont il fait aussi partie.
Après des études primaires à l’école Franco-arabe de Mahboubine, puis des études secondaires débutées au cours complémentaires de Houmet Souk, poursuivies à l’école normale de Tunis, puis au lycée Carnot où il obtient le baccalauréat de mathématique élémentaire en 1947, il choisit de faire sa médecine, en l’absence de tout antécédent dans cette profession ; il se prédestinait à l’enseignement primaire, mais la destinée a voulu, qu’il soit enseignant du supérieur.
Après une année (1948) à l’Institut des Hautes Etudes de Tunis pour obtenir le certificat de Physique chimie biologie (PCB) nécessaire pour intégrer les études médicales, il entreprend sa médecine à Paris. Externe des Hôpitaux de Paris en 1952 puis interne en 1957, il est formé dans les meilleurs services Parisiens et a été notamment l’élève de Professeurs éminents tels que LENEGRE en cardiologie, LAPORTE en maladies infectieuses, GARCIN en neurologie, CATTAN en médecine interne, Caroli en Gastro entérologie, DE GENNES et AZRAD en endocrinologie et HAMBURGER en Néphrologie. C’est dans le service de ce dernier, à l’Hôpital Necker, qu’il a eu le privilège d’être un des acteurs de la naissance de la néphrologie, en faisant fonctionner le premier rein artificiel, qui va permettre de vivre, à ceux dont les reins sont détruits. De retour à Tunis, il est nommé chef de service en 1962, médecin des hôpitaux en 1963, professeur agrégé des Facultés Françaises en Médecine en 1966, puis professeur titulaire à la Faculté de Médecine de Tunis en 1970.
Son œuvre universitaire est colossale. Il a fait partie du noyau dur de la création de la Faculté de Médecine de Tunis et de cette première élite d’enseignants et de formateurs tunisiens, alors peu nombreux, mais dont la persévérance et le courage ont permis la formation de générations de jeunes médecins dont notre pays peut se glorifier. Il fait partie de cette élite de médecins qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour que vive la Médecine dans une Tunisie alors balbutiante et où il fallait d’abord barrer la route à l’ignorance et la maladie.
L’enseignement magistral qu’il a dispensé, sa présence quotidienne à tous les staffs du service dénotent de ses qualités de formateur et de pédagogue ; tant il est vrai que la plupart de nos spécialistes en néphrologie, en endocrinologie, en médecine interne et en rhumatologie ont été formés dans son service le fameux M8, tant il est vrai ainsi que la plupart de nos médecins, peuvent s’honorer de compter parmi ses élèves.
Doyen de la Faculté de Médecine de Tunis de 1976 à 1985, il a poursuivi le travail de ses prédécesseurs, les Professeurs Amor Chedly et Feu les Professeurs Mongi Ben Hamida et Zouhaïer Essafi, en organisant l’enseignement et en l’adaptant aux besoins de la Tunisie.
Les principaux faits qui ont marqué son décanat sont :
- L’institution du concours national de résidanat, en Avril 1977, seule filière pour former les spécialistes.
- La mise sur pied d’un enseignement post universitaire auquel il participe activement et avec enthousiasme.
- L’encouragement à la recherche médicale, par l’octroi de subvention par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
- Le jumelage entre les hôpitaux Charles Nicolle de Tunis et de Rouen.
- L’acquisition par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la recherche scientifique du terrain sur lequel a été bâti la nouvelle Faculté de médecine cédé par le Ministère de l’Agriculture. Monsieur le Professeur H. Ben Ayed a joué un rôle clé.
En tant que chef de service de médecine interne A, à l’hôpital Charles Nicolle, le Professeur Ben Ayed a été au service des malades qu’il connaissait personnellement, qu’il repère et qu’il suit avec la plus grande conscience et la plus grande tendresse.
D’octobre 1974 à Décembre 1990, où je l’ai côtoyé de près, je l’ai exceptionnellement vu arriver après 9 H et partir avant 13 H pour revenir à 15 H et rester dans le service jusqu’au moins à 18 H. Il est présent à tous les staffs du service qu’il dirige de mains de maître. Lors des grandes visites des malades hospitalisés, le mercredi du côté Hommes et le vendredi du côté femmes, les dossiers sont épluchés, les malades réexaminés, les diagnostics affinés et les traitements ajustés. Son flaire clinique est épatant. A maintes reprises, il a évoqué un diagnostic auquel aucun de nous n’y a pensé et qui se trouve confirmé. J’ai en mémoire le cas d’un patient qui nous a été transféré du service d’urologie, pour hématurie macroscopique non expliquée, avec de gros reins à l’échographie. Cherchez la leishmaniose nous dit-il en examinant le malade. Nous avons pratiqué une ponction sternale chez ce patient pour anémie le lundi, adressée au Professeur Aïcha Hafsia à l’hôpital Aziza Othmana pour lecture. Je l’appelle au téléphone avant la fin de la visite. Le diagnostic tombe. Il s’agit bien d’une leishmaniose.
Sa qualité d’excellent clinicien a dépassé les frontières. Il a été appelé aux chevets de plusieurs hommes politiques.
Homme de principe et d’action, il est aussi novateur.
En 1963, il réalise la première dialyse péritonéale pour traiter des cas d’insuffisance rénale aiguë. En 1968, il est à l’origine de l’introduction du premier rein artificiel en Afrique et même dans le monde Arabe pour traiter les insuffisances rénales aiguës et chroniques. Depuis, tout le monde connaît le développement fulgurant de l’hémodialyse en Tunisie, qui est actuellement au niveau Européen.
Ayant assisté, alors qu’il était encore dans le service du Professeur J. Hamburger à Necker à la première greffe rénale en France, il sera en 1971 à l’origine de la première greffe d’un Tunisien en France. Son courage a conditionné très certainement la première greffe effectuée le 4/6/1986 à Tunis, en collaboration directe avec les Professeurs S. Zmerli, Khaled Ayed et leurs collaborateurs. Cette première greffe, a été précédée d’une préparation durant six mois, basée sur des réunions périodiques au M8, des membres des trois équipes où sont discutés tous les points relatifs à la greffe du bilan prégreffe, à l’acte, et à la surveillance post greffe. Madame le Professeur Lyacoubi Louahchi, Ministre de la Santé Publique m’a confié le rôle d’intermédiaire entre ce groupe de travail et le ministère de la Santé Publique, pour aplanir les difficultés.
Son esprit novateur touche également l’introduction dans son service de nouvelles techniques d’explorations des malades. En 1967, il entreprend la première biopsie rénale ; l’interprétation histopathologique était faite jusqu’en mars 1975 par le service d’anatomie pathologique de l’Hôpital Charles Nicolle. Dès Octobre 1973, après mon succès au concours d’Assistanat hospitalo universitaire en néphrologie et connaissant ma formation en pathologie rénale, il envisagea de créer un laboratoire de Pathologie Rénale dans le service. Il me confia cette tâche qui a pu se concrétiser grâce à un projet de recherche sur les néphropathies glomérulaires du sud Tunisien, en collaboration avec le service du Professeur G. RICHET de l’Hôpital Tenon à Paris, et ce dans le cadre de la coopération technique. Le laboratoire voit le jour avec son équipement et ses techniciens formés à Paris, en avril 1975. Ce laboratoire est devenu une référence pour l’Afrique et les pays Arabes et est internationalement reconnu.
Un laboratoire d’endocrinologie a été créé également en 1975 sous la responsabilité du Professeur Fethi Ben Khelifa. Ainsi a pu être réalisée l’enquête nationale sur le diabète. La réputation de service formateur du M8 a dépassé nos frontières. Nombreux sont les internes des hôpitaux Français qui sont venus y passer un stage d’un an, dont ils gardent un souvenir mémorable. Certains d’entre eux sont devenus des célébrités.
Les qualités du praticien ne font pas toutefois concurrence à celle du chercheur.
EN effet, le Professeur H. Ben Ayed est l’auteur d’un grand nombre de publications en médecine interne, en endocrinologie, en rhumatologie, en néphrologie et en hypertension artérielle.
Il est également l’organisateur, l’animateur et le président de plusieurs congrès nationaux et internationaux dont notamment le Congrès Français de Médecine (Septembre 1983), la réunion Tuniso-Française de Néphrologie (Octobre 1984) et en première mondiale le premier cours puis le deuxième cours supérieur de néphrologie (avril 1982 – avril 1988) sous la houlette de la Société Internationale de Néphrologie.
A l’intense activité de formation, d’encadrement et de recherche, le Professeur Hassouna Ben Ayed ajoute celle de membre actif et concerné dans plusieurs sociétés savantes.
Ancien président de la Société Tunisienne des Sciences Médicales, il a été président fondateur de la Société Tunisienne de Néphrologie, de la Société Tunisienne Médecine Interne, de la Société tunisienne d’endocrinologie, de la Société Tunisienne de réanimation.
Il a été membre de la Société Internationale de Néphrologie, de la Société (Francophone) de Néphrologie, de la Société Française de Médecine Interne, de la Société Française d’endocrinologie.
Ainsi, Hassouna Ben Ayed, a par sa parole, ses écrits et son action remplie magnifiquement la triple mission de soins, d’enseignement et de recherche, dévolue à tout hospitalo-universitaire. Il a eu le mérite de le faire, en sachant concilier dans une très difficile synthèse, haute spécialisation et vision globale de l’Homme, grâce, à son immense culture d’authentique humaniste dont sa modestie innée ne lui permettait de faite état qu’en toute discrétion.
Médecin, le Professeur H. Ben Ayed, a été médecin dans la cité. Profondément concerné par les causes justes, par la douleur humaine. Il milite avec discrétion et courage, fidèle à une éthique de vie, toujours la même, mais chaque fois enrichie d’humanité et de noblesse du cœur. Son engagement pour la cause palestinienne ne relève pas seulement de l’engagement politique. Président de l’association Tuniso Palestine, le Pr H. Ben Ayed vit intensément la douleur et le déchirement du peuple palestinien.
Il est membre du comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales depuis sa création en 1993 jusqu’à ce jour.
L’Homme et son œuvre, ont mérité tous les honneurs rendus à l’échelle nationale et internationale. Il a été élu le 3/3/1988 membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine (Paris). Plusieurs médailles lui ont été décernés : Commandeur de l’ordre de la République, médaille de mérite de la santé publique, médaille de mérite de l’éducation, médaille de la promotion de la greffe d’organes, médaille Jean Hamburger de la Société Francophone de Néphrologie, médaille de la Société Tunisienne de Néphrologie, médaille de la Société Arabe de Néphrologie et de transplantation, la dernière en date est celle du cinquantenaire de l’université tunisienne le 12 Novembre 2008. Il a reçu le prix du 7 novembre pour la recherche et la créativité en 1992.
L’œuvre est à l’image de l’Homme, cet Homme solide, humain, discret, silencieux. Il de ceux qui font du bien sans faire de bruit, qui applique une parole que j’ai entendue de la bouche de Sœur Emmanuelle « Le bien ne fait de bruit, et le bruit ne fait pas de bien ». C’est un Homme responsable devant lui-même et devant les autres. Un prix Nobel a écrit « Responsable, quel beau mot qui évoque tout de suite lucidité, force morale, capacité de décision et volonté d’exécution ».
Ne dit-on pas que derrière tout grand Homme il y a une femme ! Cela a bien été le cas de mon maître le Pr H. Ben Ayed. Madame Madeleine Ben Ayed née Vivier, femme remarquable, a été pour lui une collaboratrice active, tout en menant simultanément avec discrétion, simplicité et modestie une vie de mère de famille de trois enfants. Elle a travaillé des dizaines d’années, bénévolement à structurer le service, sur la plan soin, hygiène, gestion de matériel et tout particulièrement le secrétariat et les archives dont les retombées positives sont perceptibles jusqu’à ce jour. Leur couple donnait l’impression d’une entente et d’une complémentarité assez exceptionnelle. C’est dire le drame que fut pour le Pr H. Ben Ayed, les ennuis de santé de son épouse puis son veuvage. Heureusement, il est entouré par une chaude atmosphère créée par sa famille, et certains de ses élèves et amis.
Il a pris la retraite, bien méritée le 01/01/1991 tout en restant actif. Un hommage lui a été rendu le 27/12/1990, résumé dans cet article de la Presse du 28/12/1990.
«Le Pr H. Ben Ayed, après 40 ans de fidèles et éminents services à la Santé Publique vient de quitter avec les honneurs le fameux M8 à l’hôpital Charles Nicolle. Une foule nombreuse de collègues et de ses étudiants a assisté hier en compagnie du Ministre et du Secrétaire d’Etat à la Santé à une réception offerte à son honneur ; un départ à la retraite que tous regrettent ».
Longue vie pleine de santé, à notre cher Maître, à qui la Médecine Tunisienne doit tant.
Par Professeur Emérite Hédi Ben Maïz