Ahmed Ben Miled, défenseur infatigable des causes justes
Le Dr Ahmed Ben Miled avait une qualité rare dont les grands militants détiennent le monopole: la discrétion. Combien de jeunes - et de moins jeunes - ont entendu parler de lui ? Pourtant, pendant plus de soixante ans, il aura été de tous les combats: politique, syndical et social. Il était né en 1902, une période marquée par des convulsions politiques et sociales partout en Europe et aux Etats Unis; les pays colonisés s’éveillaient à la conscience politique; en Tunisie, le Mouvement Jeunes-Tunisiens faisait ses premiers pas. On ne parlait pas encore d’indépendance, mais de justice sociale, d’instruction. Comme tous les jeunes de sa génération, ce Tunisois pur jus, issu d’une famille de notables, avait le cœur à gauche et pas n’importe quelle gauche, le communisme qui venait de triompher en Russie.
Il ne sera pas un simple compagnon de route comme nombre de ses camarades, mais un vrai militant : premier Secrétaire Général de la jeunesse communiste, il participera à la fondation du parti communiste tunisien et se liera d’amitié avec le fondateur du mouvement ouvrier tunisien, Mhamed Ali, auquel il consacrera plus tard un livre, tout en poursuivant de brillantes études au collège Sadiki, au lycée Alaoui et au lycée Carnot. A 18 ans, cet enfant de Bab Jedid sera l’un des fondateurs du Club Africain.
A Montpellier, puis à Paris où il poursuit des études de médecine, il fonde avec d’autres étudiants maghrébins, l’AEMNA, l’Association des Etudiants Musulmans Nord Africains qui élira domicile au 115, boulevard Saint Michel, dans le Quartier Latin. Sa thèse de doctorat qu’il soutiendra en 1933 portera sur l’Ecole médicale de Kairouan aux Xème et XIème siècles. Un sujet volontairement provocateur.
De retour en Tunisie, il reprendra son combat en créant, en 1933 avec les Drs Hajjouj et Zaouche, le premier dispensaire conçu et dirigé par des Tunisiens au quartier populaire de Halfaouine. Le Dr Ben Miled s’investira, dès lors, totalement dans le Mouvement associatif et le combat politique, multipliant les initiatives comme les consultations gratuites, partout dans le pays et notamment dans les zones les plus déshéritées; organisant des campagnes d’éradication du typhus jusque dans les mosquées, appuyant les destouriens et soutenant le fondateur du parti, A. Thaalbi, dont il sera le disciple et l’ami des moments difficiles; aidant les républicains espagnols réfugiés en Tunisie et, lors de la campagne de Tunisie, en 1942, les juifs que les forces nazies voulaient déporter en Allemagne.
Beit El Hekma a eu l’excellente idée de consacrer, le lundi 23 mars, toute une journée à cette personnalité attachante qui n’a eu de cesse de combattre toutes les formes d’exploitation et d’injustice non seulement en Tunisie mais partout dans le monde, militant notamment au sein des associations des droits de l’homme, toujours loin des feux de la rampe. Pendant trente ans, cette action multidimensionnelle a été occultée, alors qu’elle aurait dû être donnée en exemple aux jeunes générations. Il est heureux que cette injustice ait été réparée de son vivant après le 7 novembre. En quelque sorte, un hommage à la vertu et à l’engagement désintéressé de ce citoyen du monde, défenseur infatigable de toutes les causes justes.