Les faits divers à la rescousse de la presse

Partout dans le monde, la presse écrite se porte mal. La désaffection d’une grande partie de son lectorat traditionnel, notamment les jeunes, de plus en plus dépolitisés et, au surplus, attirés par d’autres media comme l’internet, la baisse des recettes publicitaires qui constituent, généralement, les deux tiers des recettes d’un journal, l’émergence d’une nouvelle presse (journaux de proximité,  journaux gratuits, presse people), tout cela concourt à cette crise dont la gravité est sans précédent. Et comme si tout cela n’était  pas suffisant, la crise économique internationale est venue aggraver la situation avec la hausse du chômage et son corollaire, la baisse du pouvoir d’achat.

Le phénomène est amplifié dans les pays en développement où tous les facteurs de crise, précités, se conjuguent pour fragiliser davantage une presse, déjà sur la corde raide, du fait d’un  taux de lecture extrêmement bas et de faibles ressources publicitaires. Menacés dans leur existence même, il est tout à fait normal que les journaux essaient de remonter la pente par tous les moyens n’hésitant pas à se faire violence (c’est, notamment, le cas de la presse dite de qualité soucieuse de se démarquer de la presse populaire), en introduisant de nouvelles rubriques comme par exemple les faits divers.

Nécessité fait loi. Rien de mieux que les flots d’hémoglobine pour récupérer le lectorat qui avait émigré vers d’autres media et, pourquoi pas, gagner de nouveaux lecteurs. Résultat, la plupart des journaux s’y essaient, au début, timidement, dans les dernières pages,  peut-être pour ne pas choquer les gens  ou par mauvaise conscience, puis, le succès aidant, foin de ces scrupules. Les faits divers gagnent du galon. Désormais, ils auront droit à la première page. Pour services rendus. N’ont-ils pas contribué à redresser une situation qui paraissait désespérée? Je ne suis pas contre. Dailleurs, le fait que cette rubrique rencontre autant de succès auprès des lecteurs prouve à l'évidence qu'elle répond à un besoin.

Une pression intolérable sur la justice

Reste la façon de traiter ces sujets. N’est pas chroniqueur judiciaire qui veut. Cette rubrique requiert, en plus d’une bonne culture générale, une solide formation juridique. Malheureusement, quand on lit les comptes rendus d’audience ou même les  informations relatives aux faits divers, publiés dans les journaux, la première impression qu’on en tire est que cette formation est la chose la moins bien partagée par les chroniqueurs.

Ces derniers s’érigent souvent en (mauvais) juges, faisant fi de la présomption d’innocence. L’accusé est jugé, condamné avant l’ouverture même de son procès. Parfois, "le chroniqueur" se mue en détective privé, menant sa propre enquête et livrant ses propres conclusions. Ce qui constitue une pression intolérable sur la justice.

Mais le plus grave est ailleurs: on assiste à une « peoplerisation » de la presse. Le nombre de pages consacrées aux faits divers augmente régulièrement au point d’occuper, parfois le tiers du journal. Si l’on y ajoute le sport, les autres rubriques, qui se trouvent être les plus instructives, sont réduites à la portion congrue. Une évolution dangereuse pour la presse qui risque de tomber de Charybde en Scylla et de perdre en respectabilité et en crédibilité ce qu'elle a gagné en lecteurs. Ce faisant, elle y perdrait et sa vocation et son âme. 
 

Hedi