Psychiatrie de crise
Merci à Mourad Daoud de peindre ce tableau vitriolé de l’économie mondiale en temps de crise. Le psychiatre que je suis est habitué depuis des lustres à gérer les crises et sans trop de prétention, je peux dire que depuis des années, le monde psychiatrique voyait cette crise venir. Pourquoi?
Car et n’en déplaise à Allan Greenspan, les psychiatres savent que l’appétit humain pour l’argent comme pour le pouvoir n’a pas de limite et croire comme l'ex-président de la FED là l’autorégulation des marchés dénote en vérité d’une méconnaissance profonde de la nature humaine. Seuls les animaux prédateurs chassent pour manger mais épargnent le gibier inutile quand la faim ne les taraude plus. A l’inverse l’homme a un besoin perpétuel de se hisser dans une échelle sociale tout aussi futile qu’imaginaire. Elle ne répond en réalité qu'à un besoin récurrent d’agrandir un phallus non moins imaginaire.
La crise ? Elle est peut être aussi celle des limites que nous avons sciemment ou inconsciemment ignorées. Les limites d’une terre désormais trop restreinte pour offrir à l’appétit mimétique consumériste de milliards d’humains formatés par la publicité, une infinité de nourritures et de matières premières. Elle est aussi surtout celle des USA et accessoirement celle de l’Europe.
L’Américain, consommateur impénitent découvre depuis quelques années avec la guerre d’Irak les limites réelles de son pays. Le rêve de la toute-puissance né après les victoires dans les deux conflits mondiaux, à peine égratigné après les guerres de Corée et du Vietnam, est redevenu opératoire après la première guerre du Golfe et la chute du mur de Berlin.
Le règne de la pensée unique
Ce qui a conduit le monde à la catastrophe, c’est peut être ausi quelques parts la disparition de l’idéologie communiste et la toute-puissance de la pensée unique libérale. L’unilatéralisme américain a fait le reste. Ce à quoi on a assisté après la chute du mur de Berlin, ressemble un peu au comportement d’un enfant capricieux et gâté qu’on met aux commandes des affaires du monde. Sans loi, ni morale ni limites avec pour seul objectif la satisfaction de tout désir quel qu’il soit. C’est ce qu’a fait, en l’occurrence, George W Bush, c’est ce qu’ont fait les traders de New York Paris et Londres; c’est ce qu’ont fait les grandes fortunes du monde, c’est ce qu’ont, aussi, fait les banques, les compagnies d’assurances et c’est ce qu’ont fait des états entiers comme l’Islande, la Hongrie et l’Irlande mais aussi dans une moindre mesure certains pays du Golfe.
Le monde d'aujourd'hui est devenu un gâteau dans lequel les riches, les forts mordent à souhait. Alors que la production industrielle rencontre pour limites et la possibilité du crédit et la disponibilité de la matière première. La production agricole bute sur la raréfaction des terres arables et les lois impies des réseaux de distribution.
La production scientifique presqu'exclusivement ocidentale reste tributaire des crédits qui lui sont alloués et des limites de créativité de l’esprit humain. Le rêve du financier d’une économie en constante croissance est un leurre. Tôt ou tard toute économie rencontre des limites et je pense que la crise actuelle vient témoigner que le système s’est quelque part enrayé en rencontrant les frontières que des années durant il a ignoré. Le diagnostic resterait incomplet si on ne parlait pas du rôle de la Chine.
En raison de son formidable boom industriel, la Chine est arrivée à épuiser les réserves mondiales de fer, du cuivre et d’autres matières. Les prix du blé comme celui du pétrole ont flambé et des révoltes de la faim se sont produites dans plus d’un pays en Amérique Latine (Brésil), en Afrique (Côte d’Ivoire, Sénégal, Egypte) et en Asie (Thaïlande, Laos,…).
Les dirigeant Chinois ont réussi cette prouesse idéologique en substituant à la dictature du prolétariat la notion du capitalisme d’état. Pour le psychiatre que je suis, une analyse s’impose. L’homme est-il devenu le maître de la terre du fait de sa possession de quelques centaines de grammes de matière grise en plus ou est-ce aussi et surtout parce qu’il a su inventer les systèmes régulateurs qui lui permettent de dompter sa nature animale. Nqture régit par le principe simple et unique du désir et du plaisir. Ces systèmes s’appellent socialisation, régulation du comportement sexuel, lois, religion, principes, science….bref tout ce qui s’oppose à la nature et mène à la culture.
Les méfaits du libéralisme débridé
Or à quel spectacle assistons nous ? A une remise en question fondamentale de notre humanité. Le libéralisme capitaliste débridé s’est accompagné progressivement par le déverrouillage des régulateurs naturels de l’homme. Les sociétés occidentales dites post-modernes (un certain Francis Fukuyama a décrété la fin de l’histoire) semblent au sommet de la hiérarchie humaine. L’individu y jouit de droits jamais octroyés dans l’histoire à des citoyens. Il n’a pour seul devoir que produire et consommer.
Parallèlement, tout est organisé pour lui donner le sentiment qu’il est maître de son destin, il peut choisir les hommes et femmes qui le gouvernent (mais quels que soient ces hommes et ces femmes, le système capitaliste libéral est rarement remis en question et ceux qui le font sont médiatiquement rangés parmi les extrêmes sans aucun espoir électoral, justes bons à servir d'alibi démocratique), il peut jouir d’une liberté sexuelle sans limites et revendiquer les comportements les plus étranges à la nature humaine, il peut compter sur l’Etat pour les jours de détresse quand la maladie ou la vieillesse frappe à sa porte.
Grâce aux mass médias qu’il consomme goulûment, sa personnalité comme ses comportements sont forgés, planifiés, organisés pour faire de lui petit à petit juste un robot docile, dodu et bien nourri, adhérant en toute inconscience à la pensée unique régnante. Toutes les valeurs qui ont été à l’origine du développement de l’humanité et du savoir comme de la connaissance, l’homme post-moderne les met de côté et s’est livré des années durant à une folie épicurienne où la satisfaction du désir est devenu la finalité de l’existence. Désir consumériste gargantuesque qui épuise la terre, menace les écosystèmes et finira, s’il perdure, par emporter toute forme de vie sur terre.
Confiant dans sa supériorité technologique, scientifique et militaire l’homme post-moderne impose ses lois comme ses points de vue au reste de l’humanité, tiraillée entre l’envie de le rejoindre dans son aliénation à l’argent et au marché d’un côté et de l’autre, ses valeurs traditionnelles qui l’incitent à tourner le dos à une modernité qui risque de le défigurer à jamais. S’il se révolte avec ses moyens rudimentaires primitifs, il est taxé de terroriste et s’il tente de rejoindre le mode de vie occidental, il devient schizophrène car dans ce saut, il perd parfois son identité.
"No, we can't"
A ce jeu, très peu de sociétés ont réussi leur mutation tout en gardant leur âme. Les exemples se comptent sur les doigts d’une seule main : Japon, Corée, Chine, Taiwan, Inde. Ces pays, à l’image de l’Europe et de l’Amérique du nord sont ceux, en Asie, qui sont les plus touchés par la crise financière. Aussi, mon diagnostic de psychiatre est clair. Cette crise est le témoin d’une psychose qui s’est abattue sur l’homme occidental post-moderne et ses avatars asiatiques. Psychose de toute- puissance, psychose de la facilité de la vie, psychose du tout permis, psychose de la négation de l’autre, psychose de l’apparence, psychose de la consommation, psychose de la possession des biens matériels et mêmes immatériels (la religion est etrain de devenir un business comme un autre), psychose d’un mode régi par le marché, la publicité et le mimétisme.
L’homme post-moderne a oublié le manque, il nie la castration et croit à l’image d’Obama "Yes we Can". Ce qu’il aurait fallu dire, c'est "No, we can’t". Mais déjà ce président métis à la tête de la première puissance de la planète montre des signes porteurs d’espoirs. Car en disant Oui on peut le faire, il voulait dire Non, on peut cesser d’être psychotique et égocentrique et prendre en compte les réalités de ce monde.
Quand le phallus du monde reconnait ses limites et ne fait pas de sa toute-puissance le principal outil de sa politique, il y a là pour le psychiatre des stigmates d’une guérison prochaine et cette crise qui est aussi celle d’une certaine nature humaine laisse espérer que sur ses décombre naîtra une humanité plus soucieuse de son univers, plus solidaire, moins consumériste dans laquelle disparaitront les valeurs immondes que véhicule la possession irréfrénable de l’argent et ou le pouvoir reviendra à ceux qui montrent le plus de sagesse et non à ceux qui possèdent le plus .
Dr Sofiane Zribi