Tunisie-Maghreb-Europe: quelles réponses communes à la crise économique
Présidant l'ouverture du 11ème Forum International de " L'Economiste Maghrébin " tenu le 7 mai à Tunis sous le thème de: " Tunisie-Maghreb-Europe: quelles réponses communes à la crise économique ", M. Abdelwaheb Abdallah, ministre des Affaires Etrangères a livré une annalyse approfondie. Il a particulièrement souligné que les défis communs résultant de la crise économique et auxquels font face les pays maghrébins et les pays européens commandent à ces deux ensembles, d'oeuvrer de concert pour des solutions communes dans le cadre d'un partenariat solidaire. Le Ministre des Affaires Etrangères a appelé de ses voeux l'émergence d'un pôle économique euro-méditerranéen solidaire capable de traiter d'égal à égal avec les autres pôles importants sur l'échiquier économique mondial. Document: Texte intégral.
Je voudrais exprimer mes remerciements aux organisateurs de m’avoir offert l’opportunité de prendre part à ce séminaire et de m’adresser à cette audience sur le thème choisi pour cette rencontre à savoir « Tunisie – Maghreb – Europe : Quelles Réponses Communes à la Crise Économique ? ». Un thème qui revêt un intérêt tout particulier pour la Tunisie et notamment pour la diplomatie tunisienne.
Il s’agit là d’une problématique pertinente à plus d’un titre car elle est au cœur de l’action constante de notre pays visant à assurer une intégration plus poussée de l’économie nationale dans son environnement régional et international afin de la hisser au rang des économies des pays développés.
Le monde passe par l’une des crises les plus graves et les plus profondes de ces 30 dernières années, puisque la crise financière a ébranlé les bases de l’économie mondiale qui enregistrera selon les estimations du Fonds Monétaire International une contraction de 1,3 % pendant l’année en cours.
Les estimations avancées font état de l’impact négatif de cette récession sur le marché de l’emploi dans le monde. Le Bureau International du Travail évalue à 50 millions les postes d’emploi qui seront supprimés de par le monde par l’effet de cette crise. La réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement, notamment, au niveau de l’Afrique subsaharienne devient plus problématique que jamais. À cet égard, la Banque Mondiale estime que « la perspective d’atteindre ces Objectifs d’ici 2015, déjà sérieusement mise en doute, paraît maintenant plus éloignée ».
La Tunisie, grâce à une vision clairvoyante de S.E. Monsieur le Président de la République Zine El Abidine BEN ALI, a mis en place depuis les premières secousses du marché financier international, une cellule de veille chargée de suivre l’évolution de la conjoncture économique nationale et internationale et de recommander les mesures nécessaires pour soutenir les entreprises et les secteurs affectés.
La Tunisie a adopté une démarche globale visant à concilier les impératifs liés à la nécessité de conférer davantage de compétitivité à notre économie et de respecter les exigences sociales. Les mesures prises ont pour objectif de soutenir les entreprises, de favoriser la compétitivité de notre économie et de renforcer l’infrastructure du pays et sont de nature à préserver la place qu’occupe la Tunisie en tant que pôle d’attraction de l’investissement étranger et partenaire de choix dans le bassin méditerranéen.
Il me plait de citer, à cet égard, un récent témoignage éloquent, celui de M. François Fillon, Premier Ministre français, qui a souligné que « la Tunisie, grâce à une gestion prudente, a des fondements solides et présente des résultats impressionnants. Elle cherche à préserver un équilibre entre l’accélération des réformes, l’intégration dans l’espace euro-méditerranéen, l’amélioration des ressources humaines, le respect des équilibres économiques et sociaux. C’est ce qui lui vaut sa bonne notation sur les marchés internationaux des capitaux comme auprès des investisseurs étrangers. »
Les défis communs résultant de la crise économique mondiale et auxquels font face les pays maghrébins et les pays européens commandent à ces deux ensembles, d’œuvrer de concert pour des solutions communes dans le cadre d’un partenariat solidaire. Un tel partenariat serait parfaitement conforme à l’appel lancé par le Président Zine El Abidine BEN ALI devant le Parlement Européen à Strasbourg en juin 1993, en faveur de l’établissement de relations de partenariat et de co-développement solidaire avec les pays de l’Union Européenne.
La Tunisie a érigé la construction maghrébine au rang de choix stratégique qu’elle s’est employée à concrétiser et à soutenir tant elle a foi en la nécessité de conjuguer les efforts pour faire face aux défis régionaux et internationaux qu’engendrent aujourd’hui les mutations mondiales.
Partant de ces constantes de sa politique étrangère, la Tunisie a œuvré à l’impulsion de l’intégration maghrébine qui n’est plus perçue comme un impératif pour les seuls pays concernés mais aussi comme un facteur de crédibilité et d’attractivité économique vis-à-vis des partenaires européens et d’autres.
Les échanges inter-maghrébins demeurent assez faibles puisqu’ils représentent moins de 3 % des échanges de l’UMA avec le reste du monde. Pour remédier à cette situation, il est nécessaire d’appliquer les dispositifs appropriés illustrés par les accords de libre échange bilatéraux, d’harmoniser les règles d’origine avec celles de l’Union Européenne pour instaurer une forte complémentarité des tissus industriels et d’assouplir les conditions et les procédures d’investissement pour faciliter les implantations et les créations d’entreprises inter-maghrébines dans les cinq pays.
Il est surtout impératif d’accélérer la mise en place de la Banque Maghrébine d’Investissement et de Commerce Extérieur qui constitue, à nos yeux, un instrument essentiel de l’intégration maghrébine. Cette institution, destinée à financer les projets mixtes, à encourager la circulation des capitaux et à promouvoir les échanges commerciaux, est fortement réclamée par les milieux d’affaires maghrébins. Nous nous réjouissons que ce projet qui avait été lancé lors du Sommet Maghrébin de Ras Lanouf en Libye en 1991, commence après une longue période d’inertie, à s’acheminer vers sa phase finale. En effet, les Ministres maghrébins des Affaires Etrangères réunis récemment à Tripoli ont fixé pour la fin de ce semestre, le démarrage de cette institution financière. Il s’agit là d’une décision fort opportune qui contribuerait à appuyer les efforts des pays maghrébins à mieux faire face aux effets de la crise financière et économique mondiale.
Il est également recommandé de renforcer l’intégration des pays du Maghreb Arabe dans l’espace euro-méditerranéen à travers la création d’alliances dans les différents domaines d’activités et d’intensifier les relations de partenariat dans les secteurs stratégiques comme l’agriculture qui recèle des potentialités encore inexploitées.
Les défis auxquels font face les pays maghrébins et la région méditerranéenne dans son ensemble nécessitent d'œuvrer de concert pour donner naissance à une nouvelle relation entre un voisinage au nord, intégré et développé, et un voisinage au sud en quête d'un développement et d'un bien être tout à fait légitimes.
L’intégration Maghrébine est devenue une nécessité économique incontournable, vu la concurrence intense que se livrent les différents blocs régionaux. En effet, compte tenu des défis énormes auxquelles les économies maghrébines devraient faire face, le coût du non-Maghreb peut s’avérer important pour la région. Les blocages dont pâtit la construction maghrébine « font occasionner » un manque à gagner substantiel de l’ordre de 2 % de croissance annuelle pour chaque pays.
L'intégration maghrébine n'est plus un impératif qui interpelle uniquement les pays concernés. Elle est devenue une exigence régionale et un maillon incontournable dans la chaîne du libre-échange, à l'œuvre en Méditerranée.
De par son rôle de moteur de croissance et d’intensification des échanges commerciaux entre pays de la région, l’intégration maghrébine pourrait constituer un facteur d’appui pour une insertion plus efficiente des pays maghrébins dans l’économie mondiale.
Dans cette perspective, la Tunisie poursuivra son action en faveur du renforcement des liens de complémentarité entre les pays maghrébins et la consolidation de leurs relations de coopération et de solidarité. Sa détermination à oeuvrer en vue de la réactivation des instances maghrébines, en est la meilleure illustration.
Sur le plan bilatéral, notre pays entretient des relations de coopération intenses et diversifiées avec chacun des pays maghrébins. Le volume des échanges économiques entre la Tunisie et les partenaires maghrébins ne cesse de croître grâce à un cadre juridique en nette amélioration et surtout à un appui de plus en plus soutenu aux opérateurs économiques tunisiens.
La Tunisie s’est employée à établir un partenariat effectif avec l’Union Européenne et s’est engagée, depuis le début de l’année 2008, dans une zone de libre échange avec cet ensemble. Elle est le premier pays du Sud de la Méditerranée à atteindre ce niveau avancé de partenariat avec l’UE.
Notre pays a adhéré à toutes les initiatives régionales visant davantage de rapprochement et d’intégration entre les ensembles Maghrébin et Européen. Il en est ainsi notamment, de l’Accord d’Agadir ; du Dialogue de la Méditerranée Occidentale (Dialogue 5+5) ; du Forum Méditerranéen ; du Processus de Barcelone et de l’Union pour la Méditerranée.
La Tunisie est convaincue de l’importance du rôle que l’Union Européenne est appelée à jouer, à travers un appui financier spécifique au Maghreb accompagnant les efforts d’intégration régionale et de construction maghrébine, en contribuant à la réalisation de projets intra-maghrébins structurants dans des secteurs clés tels que l’énergie, les infrastructures et les télécommunications.
La région maghrébine présente la particularité de s’insérer dans la continuité du courant du libre échange qui devrait relier progressivement les deux rives de la Méditerranée, au même titre que celui impliquant les pays de la Déclaration d’Agadir. Une relance du projet d’intégration maghrébine développera, certainement, les échanges commerciaux entre les pays de l’Accord d’Agadir et favorisera ainsi la réussite de l’intégration euro-méditerranéenne.
Lors de la dernière réunion des MAE 5+5 tenue à Cordoue les 20 et 21 avril 2009, les Ministres maghrébins et leurs homologues portugais, espagnols, français, italiens et maltais ont procédé à un examen de la crise financière mondiale et de ses effets en termes économiques et sociaux sur les pays de la région. Ils ont exprimé leur préoccupation face aux risques que celle-ci fait peser sur les perspectives économiques en Europe et le développement économique des pays du Maghreb.
Reconnaissant que la réduction des écarts de développement constitue un objectif commun, ils ont rappelé les possibilités offertes par les cadres de coopération existants entre les pays du Maghreb d’une part et entre le Maghreb et l’UE d’autre part, et exprimé la nécessité de les utiliser pleinement. Les Ministres ont émis le souhait que le Dialogue 5+5 puisse à l’avenir servir de laboratoire d’idées pour des coopérations ouvertes à l’ensemble des pays méditerranéens dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. À cet égard, ils ont souligné que, dans le but de raffermir l´appropriation commune, le dialogue 5+5 a vocation à s´élargir à de nouveaux acteurs tels que les patronats, les entités territoriales, les médias, les organisations de jeunesse, entre autres…
C’est dans cet esprit, qu’il a été proposé de convoquer une réunion d´entrepreneurs des pays 5+5. Le premier forum économique et financier de la Méditerranée réunira ainsi à Milan en juillet 2009 des représentants gouvernementaux, des Institutions financières et des Communautés d´affaires pour aborder le développement de la région et renforcer la coopération euro-méditerranéenne notamment dans le secteur des PME, de l’énergie et des infrastructures.
La Tunisie qui accueillera en 2010 la prochaine réunion ministérielle du Dialogue 5 + 5 ne ménagera aucun effort pour promouvoir une coopération concrète de nature à répondre aux besoins et aspirations des peuples de la Méditerranée Occidentale.
La Tunisie considère qu’un partenariat équilibré et solidaire entre les deux ensembles est tributaire d’une vision globale fondée sur l’interdépendance des dimensions politiques, économiques et sociales. C’est pourquoi il importe d’œuvrer inlassablement pour un règlement juste et durable de la cause palestinienne en vue de l’instauration d’un climat de paix et de stabilité dans la région, qui soit propice au développement et à la prospérité.
D’un autre côté, l’ensemble européen devrait être plus sensible aux défis auxquels le Sud est confronté, s’agissant notamment de la création de millions d’emplois au Maghreb, durant les deux prochaines décennies ; de l’éducation et de la formation ; de la lutte contre la désertification ; de la mobilisation des ressources hydrauliques ; de la sauvegarde de l’environnement et de l’approvisionnement énergétique.
Par ailleurs, un libre échange amputé de la libre circulation des personnes ne saurait être viable. C’est la raison pour laquelle nous appelons à la consécration d’une vision positive et globale du phénomène migratoire qui devrait être considéré comme un vecteur de progrès et de rapprochement entre les peuples. Une gestion concertée du flux migratoire, à l’image de ce que nous expérimentons avec nos amis français, contribue à saisir toutes les opportunités qu’offre ce phénomène.
Partant de leurs liens historiques et de leur tradition de coopération, les ensembles maghrébin et européen gagneraient à approfondir la prise de conscience de leur destinée commune et à unir davantage leurs efforts pour relever les défis auxquels ils font face, en oeuvrant pour l’émergence d’un pôle économique euro-méditerranéen solidaire capable de traiter d’égal à égal avec les autres pôles importants sur l’échiquier économique mondial.
Ceci commande notamment la diversification des domaines de coopération à travers la stimulation des flux touristiques, le renforcement du rythme des investissements dans les secteurs porteurs, tels que les transports ; l’environnement et les nouvelles technologies ainsi que l’intensification des échanges d’expériences et l’approfondissement du dialogue et la compréhension mutuelle.
Il est évident que la réponse aux défis que pose la crise actuelle au système de gouvernance économique mondial nécessite un effort concerté de la Communauté Internationale.
De par son attachement à l’instauration d’un ordre mondial fondé sur la justice et la solidarité, la Tunisie a bon espoir que le Sommet consacré à la crise financière mondiale et à son impact sur le développement, qui sera organisé à New York du 1er au 3 juin 2009, aboutira à des mesures concertées dont l’idée – que préconise la Tunisie – d’élaborer un code de conduite engageant, sous l’égide des Nations Unies, toutes les instances de contrôle en vue d’encadrer les méthodes de travail du système financier et d’assurer l’adéquation entre les secteurs financier et réel.
Une telle mesure ne manquera pas de ressusciter la confiance, de contenir la crise et de relancer la croissance économique mondiale.
Abdelwaheb ABDALLAH
Ministre des Affaires Étrangères
(*) Allocution d’ouverture prononcée à l'occasion de la 11ème Édition du Forum International de l’Économiste Maghrébin « Tunisie – Maghreb – Europe : Quelles Réponses Communes à la Crise Économique ? » Tunis, 7 mai 2009