L'évaluation des entreprises dans ce contexte de crise économique
Les conséquences boursières de la crise actuelle placent la valeur de l’entreprise au centre des préoccupations des directions générales. Comme les banques et bientôt les compagnies d’assurances, de nombreuses entreprises vont procéder à des dépréciations d’actifs massives dans le cadre de l’application des normes comptables. Mais une question demande à se poser : comment créer de la valeur et redonner confiance aux investisseurs ? Indépendamment de ses implications comptables, cette situation provoque un malaise croissant au sein du gouvernement de l’entreprise.
L’évaluation connait une double crise qui touche à la fois le concept de valeur et les outils de sa mesure. Elle doit être impérativement rénovée pour que l’on puisse l’utiliser comme un véritable outil stratégique.
Une crise de la valeur accentuée par une obsolescence des outils d’évaluation
Les raisons principales de la crise du concept de valeur renvoient toutes plus ou moins à la subjectivité des méthodes utilisées et à l’impact de cette subjectivité sur les comportements de marché qui en résultent.
Face à une réalité plus complexe que les outils classiques d’évaluation ne le laissent supposer, il devient indispensable de revoir ou compléter ces outils. La méthode de l’actualisation de flux de liquidités futurs s’est lentement diffusée dans les entreprises depuis une trentaine d’années pour devenir aujourd’hui universellement appliquée. Présentée comme un outil stratégique dans les années 1990, la nature de cette méthode s’est transformée depuis: alors que, pour ses promoteurs, elle présentait l’avantage de s’inspirer d’une conception économique de la valeur par opposition à une conception comptable, elle a été progressivement absorbée par les normes IFRS dans le cadre des évaluations en juste valeur.
Sous l’influence des normes comptables et rendue possible par les progrès informatiques (tableurs, bases de données …) la pratique de l’évaluation s’est ainsi mécanisée et très largement figée.
De nombreux outils ou grilles d’analyse permettent pourtant de mieux appréhender les problématiques de création de valeur, mais rares sont aujourd’hui les entreprises qui les connaissent ou les utilisent. Par exemple, le traitement du risque dans les évaluations n’a pas réellement progressé, malgré les contraintes réglementaires imposées aux entreprises en matière de contrôle interne et en dépit de l’intérêt suscité par le concept de l’ERM (Enterprise Risk Management). Les simulations de scénarios restent également trop rares dans la pratique. De même, les entreprises utilisent trop souvent des modèles classiques comme le MEDAF ou le modèle de Black-Scholes sans prendre en compte le fait que leurs hypothèses de base sont fortement contredites par la réalité. Les apports des travaux de recherche en économie relatifs à l’hétérogénéité des comportements financiers ou aux interactions entre agents (en particulier le rôle des conventions) restent trop peu connus des professionnels alors qu’ils présentent des perspectives intellectuelles intéressantes pour mieux comprendre le comportement des marchés boursiers.
La crise de l’évaluation présente le risque de condamner celle-ci à l’artificialité. Il est donc indispensable de lui rendre la signification et l’utilité pour la gestion de l’entreprise qu’elle avait à l’origine. Mais pour cela, elle doit intégrer de nouveaux outils d’analyse capables de décoder plus efficacement les déterminants de la valeur.
La période de crise actuelle rend l’évaluation assez difficile, puisque l’évaluation ne repose pas uniquement sur l’extrapolation du passé de l’entreprise, mais aussi sur son avenir et sur sa capacité à générer des flux, La seule appréhension du risque a entraîné une perte mécanique de 15 à 20 % de la valeur des actifs des entreprises. Comment ça ? C’est facile à démontrer.
=> Les anciennes méthodes remises en cause
La méthode des discounted cash flows (DCF), repose sur l’actualisation à un taux (T) d’une série de flux prévisionnels qui seront probablement dégagés par la société. Cette méthode peut être couplée avec la méthode comparative (comparaison avec les autres transactions semblables et récemment effectuées). Le Taux d’actualisation est calculé selon le MEDAF, une méthode qui met en interaction plusieurs valeurs plus ou moins subjectives comme par exemple la prime de marché, le béta (β).
Avec la crise, la prime de marché a doublé. Le CMPC (cout moût moyen pondéré du capital) a pris trois points pendant les 10 derniers mois. Il est passé de 12 à 15%. Donc, mécaniquement, et toute chose étant égale par ailleurs, les entreprises enregistrent une perte de valeur de 15 à 20%.
Qu’en serait alors si on introduit les fluctuations des free cash flows? Des secteurs qu’on qualifie d’immunisés, ne verront pas leurs FCF varier significativement alors que les secteurs les moins immunisés seront les plus touchés par la crise et verront leurs FCF fluctuer violemment.
Des pistes de bon sens sont à explorer. L’évaluateur a une obligation de moyens et non de résultat et puisqu’on est en début de période de crise, il est difficile de se prononcer sur la visibilité des performances de la société sujette à l’évaluation. Cette invisibilité à moyen et long terme met en doute le calcul des Free cash flows qui s’annoncent décroissants et même négatifs. Un phénomène qui s’aggrave avec l’inexistence des transactions comparables qui serviront de références et qu’il faudra mettre en évidence. On n’oublie pas le manque de visibilité, en cette période trouble, aussi à court terme (3 à 5 ans), une durée qu’on maitrisait auparavant.
A tout ceci, s’ajoute le fait de la nécessité de la prise en compte du contexte de l’entreprise, qui, dans de pareilles circonstances, a tendance à émettre de faux signaux faussant ainsi les prévisions.
Les experts prévoient que la sortie de la crise ne sera pas pour demain. L’année 2009 sera terrible et l’année 2010 horrible. Et le défaut de liquidité de la société doit être pris en compte dans l’évaluation surtout qu’entre le début et la fin de l’évaluation peuvent survenir plusieurs événements. Un bon évaluateur c’est celui qui donne la bonne valeur ou bien celui qui arrive à donner une explication à son échec en cas où il n’arrive pas à la bonne valeur.
La nécessité de redéfinir la fonction de l’évaluation et d’utiliser des outils adaptés
Redonner à l’évaluation sa vocation stratégique consiste à l’utiliser pour se forger une conviction sur la valeur de l’entreprise et comprendre le comportement du marché pour confronter sa propre conviction à celle des investisseurs. Une fois ces objectifs atteints, il sera possible d’adapter cette base de connaissance aux évaluations réalisées pour des besoins comptables. Cette réhabilitation stratégique de l’évaluation présuppose une modernisation des outils d’analyse de l’entreprise.
La capacité à se forger une opinion sur la valeur de l’entreprise repose sur une analyse réaliste, approfondie et sans complaisance de l’impact des différents scénarios financiers et stratégiques sur la valeur fondamentale. Menées à l’occasion du processus de planification stratégique, les analyses de sensibilité aux hypothèses clés d’exploitation (au lieu de la sensibilité sur le taux d’actualisation et le taux de croissance à long terme), et l’estimation des risques qui pèsent sur l’activité avec leurs conséquences sur la valeur permettent d’identifier les vulnérabilités de l’entreprise.
Sur la base de ces travaux, le management peut à tout moment évaluer les conséquences potentielles d’une nouvelle situation et développer des variantes de stratégies opérationnelles et financières et élaborer des arguments pertinents pour convaincre les tiers que les choix effectués sont réellement créateurs de valeur.
Sur la base de ce cadre conceptuel, les attentes des investisseurs peuvent être decryptées de plusieurs manières. La plus simple est celle qui consiste à réaliser une revue critique des études et de mener des discussions approfondies dans un processus itératif entre analystes Sell-side et analystes Buy-side. Une analyse directe du marché est également nécessaire. Elle peut être réalisée par une étude de l’évolution du cours et par un processus de rétrocalibrage qui, sur la base du modèle mis en place pour déterminer la valeur fondamentale, permet d’identifier les différents scénarios compatibles avec la valeur de marché. Cette démarche sera d’autant plus féconde qu’elle aura été également conduite sur les principaux concurrents de la société examinée.
Dans le cas de divergences trop grandes entre le point de vue de l’entreprise et celui du marché, il s’agit de s’interroger sur l’efficacité de sa stratégie de création de valeur et sur la pertinence de sa communication financière.
En d’autres termes, sur son équation économique.
De même, une vision renouvelée du risque de l’entreprise nous semble indispensable. La volatilité est très largement insuffisante pour quantifier adéquatement le risque réel car elle ne prend pas en considération deux phénomènes importants : la dissymétrie entre les hausses et les baisses du cours de bourse, et la régularité ou l’irrégularité de l’obtention de performances (gains ou pertes) donnés. Il est très différent que le cours de bourse augmente de 30% en trois mois régulièrement sur le trimestre ou bien en deux ou trois jours. Ces deux aspects (dissymétrie et régularité) dessinent la forme du risque, alors que la volatilité n’en fournit que la taille (amplitude).
L’étude de l’asymétrie et de l’aplatissement de la distribution des rentabilités historiques présente de multiples intérêts : enrichir les analyses évènementielles réalisées sur l’historique des cours, mettre en perspective les différents paramètres explicatifs de la volatilité (nature des actifs en place, qualité de la communication financière. existence de conventions d’évaluation dominantes, écologie des investisseurs, degré d’hétérogénéité des opinions …), identifier le degré d’anormalité du comportement boursier et, par conséquent, mesurer l’ampleur des efforts à réaliser dans le cadre de l’analyse de la valeur de l’entreprise.
=> Solutions préconisées
Avec les IFRS, on marque le passage de l’historique des coûts à une approche de valeur, donc, on intègre la réévaluation mécaniquement.L’adoption des IFRS (International Financial Reporting Standards) a induit la financièrisation de l’économie qui a poussé la comptabilité à prendre en considération les exigences des actionnaires. Un résultat normal, c’est l’introduction de la notion de la « fair value » faussement traduite par le terme «juste valeur».
La juste valeur n’a pas une définition précise ce qui laisse une grande marge de manœuvre pour les préparateurs des Etats financiers et un recours spontané aux tests de dépréciation. La juste valeur est suivie par des problèmes d’estimation ce qui nécessite une bonne documentation narrative pour expliquer comment on est arrivé à la dégager. Implicitement, alors, la JV n’est pas l’ennemi de la comparabilité des comptes. La fair value ou « valeur loyale » est une démarche et non une valorisation et qui penche plutôt vers le coût historique en cas de fluctuations graves des valeurs comme c’est le cas en période de crise.
Pour réussir une évaluation en situation de crise, il faut extrapoler le passé tout en prenant en compte une prime d’illiquidité et une prime de volatilité. Il faut aussi introduire la notion de probabilité pour lisser au maximum les résultats des différents scénarios réalisés. Après la crise de 1929, une recette très simple a été adoptée pour évaluer la pertinence ou non de l’affaire. C’est le calcul de l’actif net tangible (actif net – actifs incorporels). Si positif, on achète. C’était la formule qui tranchait en matière d’équité de la transaction.
Toutefois, vu l’existence de situations de transactions anormales, il y a toujours des opportunités pour d’autres secteurs, pour les sociétés les plus liquides qu’on appelle couramment des coupeurs de têtes.
=> Le secteur immobilier… le plus touché.
Les spécialistes en immobilisation ont démontré que le marché de l’investissement a diminué de 60% en volume car l’endettement est inaccessible. Les taux de rendement ont augmenté de 10% mais ceci ne va pas compenser la baisse du marché de l’investissement. En ce qui concerne le marché des utilisateurs, il y a une baisse de la demande de 30% contre une augmentation de l’offre. Le taux de vacance augmente de 5 à 10% et il y a une baisse des loyers de 25%. Ces mêmes spécialistes prévoient qu’il n’y aura pas d’amélioration de la situation à court terme (2009 et 2010).
Conclusion
La valeur est théoriquement l’indicateur essentiel de la performance de l’entreprise. Elle est au centre de la communication financière de la plupart des entreprises cotées. Les systèmes de rémunération qui visent à aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires s’inspirent de cette philosophie. Les normes comptables elles-mêmes l’ont mise au centre de leur système.
Encore faut-il que la valeur de marché et la valeur fondamentale soient correctement alignées. La réhabilitation de la vocation stratégique de l’évaluation est une condition nécessaire pour tirer pleinement profit d’une cotation.
Pour conclure, l’être humain connait tout sauf deviner l’avenir. Dans ce contexte de perte de la notion du temps et de l’argent, l’évaluateur doit maitriser les mathématiques financières. Il doit être un bon technicien et connais bien l’entreprise.
Karim Amous
Master C.C.A (IAE Lyon 3)
PwC (Advisory)