Performance publique : la boîte à outils
Parler de performance dans le secteur public, une terminologie empruntée du secteur privé, ne relève pas du domaine de l’utopique mais bel et bien du réel. La performance de l’administration demeure un besoin, une utilité, et je dirais même un impératif. Un impératif vu le contexte international d’un pays lequel, en concurrence avec d’autres pays, veut garantir toutes les conditions d’attraction des investisseurs étrangers, d’un pays qui, veut sans cesse se mettre aux standards européens et internationaux de point de vue des services rendus, et un impératif d’un pays soucieux d’améliorer les services rendus aux usagers, aux contribuables et aux citoyens de plus en plus exigeants.
Il n’est de performance que par les hommes. Car la performance ne peut être atteinte sans la mise en place d’une véritable gestion des ressources humaines. La prise de conscience, dans l’administration, de l’importance de « la gestion des ressources humaines » ne date pas d’aujourd’hui, l’administration tunisienne ne part pas de zéro, et n’a pas dans le domaine de la gestion des ressources humaines à rougir d’une comparaison par rapport à d’autres pays, mais il n’en est pas moins vrai qu’un chemin important reste encore à parcourir afin d’améliorer la fonction ressources humaines et la rendre compatible avec une gestion axée sur la performance.
Le présent article propose quelques outils à méditer, à discuter et à enrichir, des outils qui sont tirés de ce que nous enseigne la théorie toujours évolutive dans le domaine de la gestion des ressources humaines et des pratiques observées à l’échelle internationale.
Outil 1 : une « fonction » ressources humaines est à mettre en place
Une fonction ressources humaines c’est une fonction gérée par des spécialistes en ressources humaines, qui disposent des qualifications pour exercer cette fonction. Des spécialistes, des professionnels qui assument leurs propres tâches et conseillent les responsables. Ces derniers doivent quotidiennement optimiser la gestion des ressources humaines pour participer à l’atteinte des objectifs assignés et favoriser à long terme le développement personnel dans l’administration et préparer l’avenir.
La fonction ressources humaines est aujourd’hui un maillon essentiel dans tout projet de changement organisationnel. Une fonction à mettre entre les mains d’une personne qui a le métier, les qualifications et les compétences requises pour conseiller les premiers responsables, recueillir auprès des premiers responsables l’ensemble des problématiques qui touchent aux ressources humaines, s’assurer de la qualité des relations sociales, piloter le développement des ressources humaines, identifier et recenser les besoins en formation, concevoir, élaborer et mettre en œuvre les plans de formation, …
La fonction ressources humaines à mettre en place donne la possibilité aux responsables de gérer les ressources humaines à leur disposition, de décider du profil des agents à recruter, de la mobilité des agents, de la réaffectation des emplois, de la répartition de l’effectif, de l’évaluation, des programmes de formation,…. En contrepartie, les structures centrales telles que la « direction des affaires administratives et financières » deviendront des autorités de gestion qui assumeront les responsabilités en matière de rémunération, de paie, de gestion des corps, de l’organisation des concours de recrutement, …
L’administration tunisienne ne manque pas d’atouts pour développer une telle fonction. A ce titre, l’attachement du personnel au service public et à la stabilité qu'elle procure et le bon niveau initial de recrutement dans la fonction publique constituent des atouts pour développer une fonction ressources humaines. Il est donc nécessaire de tirer profit de ces deux atouts afin de mettre en place une fonction ressources humaines moderne et élargie qui dépasse la stricte dimension « administration du personnel ».
Outil 2 : Une gestion prévisionnelle des ressources humaines
De façon générale, la gestion prévisionnelle est l’introduction du temps de façon consciente dans la gestion afin d’éclairer les décisions que doivent prendre les décideurs par des analyses appropriées. Une gestion prévisionnelle des ressources humaines relie la gestion des ressources humaines aux objectifs compte tenu des contraintes financières. L’objectif essentiel d’une anticipation des besoins et d’une gestion prévisionnelle des ressources humaines consiste à disposer, en temps opportun, et à un coût raisonnable, d’un nombre adéquat de personnes ayant les qualifications requises pour effectuer un travail donné.
La théorie nous enseigne que la gestion prévisionnelle des ressources humaines requiert l’élaboration d’un plan ressources humaines qui tient compte des objectifs. La mise en place d’une démarche qui s’articule autour de quatre étapes: l’analyse de l’activité, l’Identification des besoins en ressources humaines, l’étude des ressources humaines disponibles et enfin l’analyse des écarts et risques. La gestion prévisionnelle des ressources humaines consiste, donc, à mettre en évidence des écarts entre l’évolution prévisible des ressources et leur affectation aux besoins, elle détermine un horizon temporel souvent fixé entre trois et cinq ans qui permet de se donner les moyens de préparer des évolutions pour éviter d’avoir à réagir dans l’urgence. C’est une démarche qui consiste à gérer les emplois et les compétences dans le but de disposer à terme d’une meilleure adéquation poste/profil.
Sur un autre plan, et vu l’importance de la masse salariale dans le budget de l’Etat, une gestion prévisionnelle a le mérite de maîtriser l’évolution de la masse salariale, de prévoir les ressources financières à consacrer à moyen et long terme et par conséquent de réduire au minimum les surcoûts induits par des programmes de recrutement imprévus et de prévoir également les remplacements nécessaires pour les départs à la retraite à moyen terme.
Outils 3 : une gestion des ressources humaines de proximité
La mise en place d’une gestion de proximité des ressources humaines suppose l’adaptation du système de la fonction publique de carrière aux besoins de la performance. Cela dit, au vu des difficultés inhérentes à la mise en place d’un système d’ « emploi » une solution intermédiaire peut être envisagée, et qui consiste à mettre en place un système dit de « département », un système hybride qui donne de larges responsabilités en matière de gestion des ressources humaines aux directeurs de départements c'est-à-dire aux directeurs généraux.
Plusieurs pays ont adopté ce nouveau système (Autriche, Belgique, République Tchèque, Allemagne, Pays Bas,…) et ont vu leurs règles de gestion des ressources humaines clairement améliorées. Le principe est le suivant : la structure centrale de chaque ministère s’occupera du traitement informatisée de la paie, des congés, de la procédure disciplinaire, des questions relatives aux statuts ; et une cellule (ou un responsable) GRH rattachée pour chaque département et exclusivement dédiée pour cette mission prendra en charge les taches relatives à la centralisation des besoins, au processus d’évaluation et de promotion et aux programmes de formation,… Cette nouvelle démarche dénote une nouvelle tendance dans la gestion des ressources humaines, une tendance qui permet d’individualiser la GRH afin de servir la performance.
Dans certains pays tels que la Finlande et l’Australie, les structures centrales de GRH ont été supprimées tandis que dans d’autres pays tels que le Danemark ou la Norvège il y a eu transfert de compétences en matière de GRH à des agences. En effet, au Canada « le vote de la loi de la modernisation de la fonction publique, en novembre 2003 et la création d’une agence dédiée à la gestion des ressources humaines créent les conditions d’un bouleversement radical de la gestion des personnels de la fonction publique fédérale : planification stratégique des ressources humaines, réforme du système de classification, fusion et simplification des conventions collectives, dispositif renouvelé de négociations des relations de travail avec les organisations syndicales, élaboration d’un code d’éthique… » (cf. Institut de la gestion publique et du développement économique, gestion des ressources humaines, Juin 2005)
Le système de département attribue aux directeurs généraux des responsabilités quant à la définition et la mise en œuvre des politiques de gestion ressources humaines, tout en préservant la spécificité du système de carrière dans lesquels les fonctionnaires font leur carrière principalement dans l’administration
Outils 4: Une meilleure reconnaissance de la performance
La mise en place de la gestion axée sur la performance requiert l’évaluation de la performance des agents publics, et l’outil à privilégier est l’entretien d’évaluation. L’entretien d’évaluation conduit par le supérieur hiérarchique direct devrait porter sur les résultats obtenus au regard des objectifs fixés, sur les conditions d’organisation et de fonctionnement du service dont il relève l’agent, sur les besoins de formation, et sur les perspectives d’évolution professionnelle (en termes de carrière et de mobilité). Il s’agit d’une démarche de dialogue à conduire et les agents publics sont généralement d’accord avec l’idée de mieux tenir compte des prestations fournies dans la rémunération. Quant au processus d’entretien, ce dernier doit reposer sur une grande partie d’éléments qualitatifs et non quantifiables, et ceci à cause des difficultés de fixation des objectifs et de différenciation de la performance moyenne des agents.
La question de la gestion de la performance conduit à s’interroger sur celle de la « non performance ». Le traitement de la « non performance » individuelle répond à un souci d’équité et de motivation des équipes. En effet, l’absence de réaction adéquate de la hiérarchie devant l’absence manifeste de performance de certains agents nuit à la motivation des équipes. En même temps, la « non performance » doit donner lieu à la mise en œuvre de mesures managériales appropriées à ses causes (réflexions sur la structure, sur la fixation des objectifs, sur le dialogue engagé auparavant,…).
La performance, une fois évaluée, doit être reconnue. En effet, la reconnaissance de la performance individuelle ou collective constitue le corollaire de la mobilisation de tous les agents publics à chaque niveau d’exécution. La reconnaissance de la performance dans l’administration doit s’effectuer en respectant les finalités du service public, la culture administrative qui en découle des statuts. Elle doit s’entendre dans une acception large incluant les éléments d’intéressement financier (c'est-à-dire liés à la rémunération) et non financier.
Les éléments d’intéressement financier constituent, en fait, les éléments variables de la rémunération des agents publics qui matérialisent les efforts supplémentaires consentis par les agents publics pour résultats atteints, la qualité du service rendu, …. Ceci dit, l’instauration d’éléments d’intéressement financier optimisés et motivants requiert une simplification des régimes indemnitaires existants en faisant la part de ce qui relève de la rémunération fixe et de la part variable et faire en sorte que cette part variable s’attache à la personne et non au poste.
Les éléments d’intéressement non financier s’articulent autour de l’amélioration des conditions de vie au travail (fonctionnement des services, bureautique, actions sociales,…) et de la rationalisation des processus de travail qui permet de valoriser les agents publics (clarification des responsabilités dans des démarches de délégation / contrôle, reconnaissance des efforts,… ). En effet, une étude faite l’OCDE, démontre que « La rémunération liée à la performance peut faciliter des changements organisationnels en profondeur en créant un lien entre les primes salariales et de nouveaux objectifs pour les agents et les services. Elle peut être utilisée comme levier pour: instaurer des méthodes de travail plus souples (horaires flexibles par exemple) ; promouvoir le travail en équipe grâce à des primes collectives ou à la prise en compte de la coopération dans l’appréciation des performances ; renforcer la priorité accordée aux technologies de l’information et des communications (TIC) ; et mettre l’accent sur les politiques de formation » (cf. OCDE, revue « synthèses », la rémunération liée à la performance dans l’administration, Août 2005).
La recherche de la performance est un dispositif de pilotage par objectifs mis en place pour améliorer l’efficience et l’efficacité de la dépense publique en orientant la gestion vers des résultats prédéfinis, c’est aussi un dispositif de mesure des résultats atteints au moyens d’indicateurs chiffrés. Une meilleure performance des services implique d’améliorer la qualité de la gestion des compétences et de reconnaître à la fois les résultats qu’ils obtiennent et les efforts qu’ils accomplissent. On peut s’interroger et discuter la manière d’intégrer les outils cités plus haut et bien d’autres dans le secteur public, mais une chose est sûre: il est fondamental de développer la démarche de performance dans l’administration.