La Tunisie leader de la protection de l'investissement
Améliorer la protection de l’investissement en Tunisie et de la lutte contre la corruption
Depuis 2011, la Tunisie vit une période extraordinaire de son histoire. Des changements profonds se sont produits dans la société tunisienne. De grands espoirs sont formulés dans tous les domaines et surtout dans le domaine économique. Plus que jamais, l’Etat tunisiena le souci de promouvoir l’investissement en offrant les conditions adéquates et parmi celles-ci la protection de l’investissement. En effet, une meilleure protection contribue à la promotion de l’investissement.
Qu’il soit national ou étrangerl’investissement doit être protégé. Même si en droit tunisien, il y a un certain flou qui entoure cette notion d’investissement, car il n’y a pas de définition légale de l’investissement.
Durant plus de quarante ans si on tient compte du premier code d’investissement, celui de 1969, la Tunisie a mis en place un large cadre législatif, réglementaire et institutionnel de l’investissement. Elle a été bien classée par les instances internationales.
Ainsi, si le rapport Doing Business 2008 de la Banque Mondiale, classait l’Algérie en tête des pays de la région dans la protection des investissements, suivi de la Tunisie et du Maroc(1) , le rapport 2012 place la Tunisie désormais devant le Maroc et l’Algérie en 46ème position, avec un indice global de 6. La Tunisie cependant par rapport à 2011 recule de 6 places, elle était en 40ème position. Elle demeure malgré tout mieux placée que les autres pays maghrébins. Elle offre en effet, un cadre juridique très favorable à l’investissement.
Que manque-t-il alors à ce pays pour être parmi les meilleurs, les plus attractifs ?
Certes, l’attractivité d’un pays n’est pas conditionnée par son cadre institutionnel et réglementaire. Il y a l’infrastructure, la main-d’œuvre qualifiée et à bon marché, la sécurité, la stabilité du pays, mais il ne faut pas négliger l’impact de la protection juridique des investissements. Dans un pays passant par une phase de transition comme celle que connait la Tunisie, c’est le moment crucial de tirer les leçons du passé, non pas en faisant table rase du passé mais en gardant le meilleur de ce passé et en en améliorant les imperfections et les lacunes.Il convient de faire un état des lieux avant de préconiser les propositions d’amélioration.
I - L’état des lieux : Une protection importante déjà garantie
La Tunisie recèle un arsenal juridique important offrant les techniques les plus répandues en droit comparé pour protéger les investissements. Mais sile cadre institutionnel est propice (A) c’est l’environnement qui était démotivant (B).
A - Un cadre institutionnel propice à l’investissement, en effet,
A l’examen, il s’avère que le cadre législatif et réglementaire est dense et fourniavec des institutionsrépondant aux standards internationaux.
1 - Cadre législatif et réglementaire : dense et fourni
La protection de l’investissement est assurée par des mécanismes de droit interne mais aussi de droit international.
a - Protection par les mécanismes de droit interne
Du sommet de la hiérarchie des normes jusqu’aux textes d’application, la Tunisie a toujours eu le souci de protéger l’investissement.
- La Constitution tunisienne a garanti le droit de propriété
sans distinction entre le national et l’étranger. L’expropriation, mesure exceptionnelle n’est envisagée que dans l’intérêt général et contre une indemnisation juste et équitable.
- Les lois et règlements sont nombreux en ce domaine et on peut les regrouper entre textes spécifiques, comme le CII et textes généraux comme, le CSC ou les textes fiscaux.
La Tunisie a aussi offert et organisé la possibilité de recourir à l’arbitrage à travers l’adoption du code de l’arbitrage. Ce texte s’adresse à l’investisseur sans distinction entre l’étranger et le national.
Pour répondre aux standards internationaux de la protection de l’investissement, la Tunisie a adopté des mesures pour assurer la transparence et la moralisation du climat des affaires. Elle a ainsi adopté une loi pour lutter contre le blanchiment d’argent
Pour important que soient les mécanismes de droit interne de protection de l’investissement, ils doivent et ont été complétés par des mécanismes de droit international.
b - Protection par les mécanismes de droit international
La Tunisie au cours de ces dernières années a adhéré aux principaux textes internationaux consacrant la protection de l’investissement. A l’instar d’un grand nombre d’Etats, elle a ratifié des conventions multilatérales et conclu aussi des traités bilatéraux en la matière.
Elle a recouru aussi à
2 - Des institutions répondants aux standards internationaux
Il y a certes, les départements ministériels classiques mais aussi des agences spécialisées dans la promotion de l’investissement, à travers la mise en place de guichets uniques. Ces institutions sont soutenues aussi par des agences spécialisées comme foncières qui offrent des solutions aux promoteurs dans le secteur industriel, touristique et de l’habitat.
Le cadre institutionnel est complété par une justice professionnelle et spécialisée même puisqu’il y a des chambres commerciales spécialisées qui travaille selon un code de procédure qui garantit les conditions d’accès à la justice, une procédure contradictoire, une publicité de la procédure.
Par ailleurs,
a - L’accès à l’information
Afin de permettre à l’investisseur d’accéder à l’information nécessaire pour concrétiser son investissement, plusieurs ministères et organismes ont créé des portails, des sites à l’intention de l’investisseur. C’est même devenu une obligation depuis la promulgation du décret-loi n°2011-41 du 26 mai 2011 relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics tel qu’il a été complété par le décret-loi n°2011-54 du 11 juin 2011.
A travers ces mécanismes juridiques et institutionnels, la Tunisie offrait et offre l’essentiel des garanties reconnues par le droit international et le droit comparé en lamatière comme :
- la garantie de change et la garantie de transfert
- Le recours à l’arbitrageou
- la non-discrimination
Cependant, là où le bas blessait, le contexte de l’investissement
On peut le qualifier comme
B - Un environnement démotivant puisqueLa corruption fragilise la protection de l’investissement
Malgré tous ces mécanismes, la Tunisie n’est que 46ème dans le classement de Doing Business. La Tunisie n’est pas si attractive des investissements étrangers, les investisseurs tunisiens sont frileux. Presque deux ans après la révolution, la machine économique ne redémarre pas
La Tunisie était, victime d’un système de malversation, qui a dépassé le seuil de simples manifestations ou faits divers et isolés. Ce système de malversation a été édifié progressivement. Ses éléments se sont introduits, dans les institutions politiques, administratives et judiciaires de l’Etat, mais également dans plusieurs collectivités et entreprises publiques.
L’institution d’un tel système a engendré des attitudes et des comportements qui ont fini par donner naissance à une opinion répandue chez de très nombreux citoyens. Ces derniers ont, en effet, intériorisé un schéma qui, en s’approfondissant, a légitimé la prévalence des intérêts privés et la recherche des privilèges et l’enrichissement facile et illégitime. Il était possible de tout avoir ou de dérober soit sous couvert de la loi, soit en dehors de tout cadre juridique.
Ces pratiques s’appuyaient sur la manipulation, les pratiques frauduleuses, les interventions, les pots de vin et tout genre de malversation. Les divers secteurs et procédures ont été, dès lors, affectés : l’immobilier, la douane, le commerce, le financier, l’administration,la fiscalité, le foncier, les privatisations, les marchés publics et les concessions.
1 - Les principales causes de la corruption
Plusieurs éléments ont contribué àune telle propagation de la corruption, dont notamment :
- L’exercice unilatéral d’un pouvoir absolu et illimité en dehors de tout pouvoir ou toute norme et éthique,
- Une conception autoritaire et patrimoniale du pouvoir
- La prévalence de la logique partisane sur l’intérêt général.
- La remise en cause progressive du cadre législatif et réglementaire de répartition des compétences
- L’instrumentalisation de la loi. Il en est ainsi de l’article 52 du CII ou de la loi sur l’initiative économique ou encore la loi sur le redressement des entreprises en difficultés économiques.
- L’inefficacité des mécanismes de contrôle,ilsétaient surtout centrés sur la régularité des opérations et non sur leur opportunité. Ils étaient handicapés aussi par le secret entourant leurs travaux et qui ne permettait pas de donner au contrôle, les suites nécessaires.
Ces phénomènes ont pris une telle ampleur qu’ils étaient devenus connus de tous. La question est alors aujourd’hui
Comment changer cette situation, comment améliorer la protection des investissements ?
II - Les améliorations préconiséesà la protection de l’investissement
Il est possible d’agir sur plusieurs fronts et de concerts. Il est d’abord, possible d’améliorer le cadre légal et institutionnel et c’est peut-être la tâche la plus facile et il faut ensuite agir sur l’environnement de l’investissement pour rétablir la confiance dans les institutions.
A - Une réforme institutionnelle aisée
Il s’agit de l’aspect le plus facile à maitriser. Il est possible de revoir certains aspects de la législation actuelle pour la débarrasser de certaines imperfections et combler certaines lacunes. Ainsi,Doing business a pointé certaines pistes.
- Il convient de revoir la législation en matière de procédures collectives,de faillite et de redressement des entreprises en difficultés.
- Il convient aussi et nous l’avions déjà préconisé dans ce même cadre en 2009, d’œuvrer pour une législation de l’investissement lisible, prévisible, transparente et stable pour attirer et sécuriser l’investissement. Des choix et des arbitrages doivent être effectués. Ou l’investissement est libre, ou il est soumis à un agrément.
- Il convient de simplifier et de réduire les régimes d’exercice de l’investissement
- Il convient de limiter le nombre des organismes intervenant en matière d’investissement.
- Il convient de rendre le processus d’élaboration des textes relatifs à l’investissement participatif, ouvert et transparent. L’élaboration des projets de textes législatifs ou réglementaire ne devrait pas être réservée à la seule administration.
- Il convient de protéger l’investisseur contre l’aléa législatif et inscrire ces principes non seulement dans les textes relatifs à l’investissement mais aussi dans la Constitution. Les principes de sécurité juridique à travers la stabilité, la prévisibilité des textes, laprohibition de leur rétroactivité et l’instauration de la confiance légitime, doivent devenir une réalité.
- Il convient de revoir les procédures de règlement des conflits. La Tunisie devrait encourager les voies pour limiter le recours au contentieux par l’investisseur en développant des mesures de concertation avec les investisseurs pour prévenir les conflits puisqu’ils vont être associés au processus de prise des décisions qui les concernent(2) .
Ces mesures ne sauraient, cependant suffire à elles seules.
B - Une action profonde sur l’environnement de l’investissement
Il ne pourrait y avoir une amélioration du climat de l’investissement sans une véritable politique de lutte contre la corruption aussi bien à travers la mise en place de mécanismes curatif que préventif.
- Il convient de consacrer une instance de lutte contre la corruption
Ce choix s’est imposé compte tenu du contexte tunisien particulier, la période transitoire, postrévolutionnaire et l’héritage du passé. Le décret-loi n°2011-120 sur la lutte contre la corruption a optépour une telle instance.
Il ne s’agit pas de créer un organisme de plus, qui vient s’ajouter aux différents corps de contrôle administratif et juridictionnel. L’objectif est de mettre en place un organisme qui supervise et coordonne les efforts des différents intervenants et des parties concernées par la lutte contre la corruption.
Elle réunit les deux missions de prévention et d’investigation sur les affaires de corruption. Elle respecte ainsi, le rôle fondamental joué par la justice pour instruire, poursuivre et sanctionner les faits de corruption.
- Il convient aussi pour rassurer l’investisseur étranger et national, de mettre en place des mécanismes de prévention de la corruption, pour éviter dans le futur que le pays ne retombe dans les mêmes dérives.
Dans ce but, il faudra identifier les moyens afin de donner un sens aux concepts de Transparence, gouvernance, redevabilité et responsabilisation des décideurs.
Il faut pour cela agir sur plusieurs fronts :
- réformer le cadre législatif et réglementaire en le mettant en adéquation avec les engagements internationaux de la Tunisie en la matière,
- réformer le cadre institutionnel : aussi bien la justice, que les corps de contrôle, d’audit ou d’inspection nécessitent un renforcement et une garantie de leur indépendance
- consacrer la transparence dans le processus de prise de décision et la communication de l’information,
- réaffirmer le principe de la légalité et de la répartition des compétences entre les différentes autorités publiques et veiller au respect des principes d’éthique, d’intégrité et de transparence.
- promouvoir des médias indépendants et compétents
- faire de l’intégrité et de la probité des valeurs sociales solidement ancrées dans la culture administrative des affaires de l’Etat par l’Education, la Sensibilisation, la motivation des fonctionnaires publics mais aussi du secteur privé directement intéressé par la promotion de l’investissement.
Certes, il y a un ordre de priorité à établir, mais il faut agir et vite.
Afin de faire de la Tunisie une terre d’accueil des investissements, plus attractive que les Etats concurrents, il faut agir non seulement sur le texte mais aussi sur le contexte.
Neila Chaâbane
(1) L’Algérie est classé 64e dans le monde avec un indice de protection de 5.3, la Tunisie est classé 147e avec un indice de 3.3 et le Maroc est classé 158e avec un indice de 3.0. (Plus l’indice est élevé, plus le degré de protection est important). V. www.doingbusiness.org
(2) Schonard P. « La protection internationale des investissements étrangers », ENA, 2005, p.65