Les Guignols dans tous leurs états
Son humour mordant, souvent au second degré, ses dialogues hilarants et ses personnages parodiés en font un grand succès de télévision. Le fait ne passe pas inaperçu et fait parler de lui, même dans certains médias étrangers. Quelques mois à peine après son lancement, l’émission satirique de Nessma TV continue de se hisser tout en haut du baromètre d’audience. Leaders est allé à la découverte des plateaux de tournage, des dédales, de l’arrière-scène et des gens qui font « Les guignols de l’info ». Reportage en immersion dans un monde surprenant où la satire est reine.
Des jeunes pas en goguette
A voir tant de jeunes (l’équipe des Guignols du Maghreb a une moyenne d’âge de 25-30 ans) s’affairer sur le plateau de tournage, faire, refaire et encore recommencer les scènes, un premier constat s’impose à l’esprit. L’émission qui est un régal pour les téléspectateurs qui en rient des fois aux éclats, n’est pas une partie de plaisir pour ceux qui la font.
Les quelques minutes qui passent à la télé sont le produit d’un long et harassant travail. L’injonction fatidique « Coupez ! On recommence » revient souvent dans la bouche du chef de plateau, Achouak Hanachi, presque aussi souvent que le « Action ! » de l’assistant-producteur. Des heures de tournage sont parfois nécessaires avant d’arriver au produit jugé techniquement et artistiquement digne d’être présenté à l’écran. Dans le studio bardé de projecteurs de diverses dimensions, le cadreur, le régisseur, l’accessoiriste, l’ingénieur du son et autres assistants se meuvent dans un enchevêtrement inextricable de caméras, de câblages et semblent insensibles à ce qui se passe en dehors du champ de leur tâche, tant le travail est exigeant.
Au fil du tournage et au gré des changements de situations, des ordres surréalistes fusent. «Dilou, recentre-toi !», intime l’assistant-producteur au ministre des Droits de l’Homme en le tutoyant. Traduire: replace-toi au centre de la lucarne de prise de vue. «Jebali, relève un peu plus la tête !», lance de son côté le chef de plateau à l’adresse du Chef du gouvernement qui s’exécute illico. Du moins sa marionnette qui se prête sans broncher à ses servants…
Personnages choyés
L’intimité est de mise entre les célèbres personnages et leurs «manipulateurs» improvisés qui tordent volontiers le cou aux conventions, et pas seulement dans le strict cadre du travail. Au gré du tournage, les marionnettistes les font défiler et s’exprimer sur scène comme il pourrait se produire parfois dans la réalité de la vie politique. La sacro-sainte formule « toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite » ne vient pas forcément à l’esprit devant le défilement d’un Barack Obama volubile s’exprimant dans un arabe approximatif avec un fort accent américain ou d’un Abdel-Ileh Benkirane dont le sosie tunisien est en train de faire un tabac au Maroc. Si le tournage en studio est laborieux par son côté exigeant et la quête permanente de la perfection au prix de scènes des dizaines fois refaites, il l’est encore davantage quand il est réalisé en extérieur. Les contraintes techniques et les aléas climatiques ont font une véritable aventure. L’équipe de Leaders a eu l’heur d’assister au tournage d’un sketch des « Guignols » mettant en scène Hamadi Jebali et d’autres personnalités en train de procéder à la cueillette d’olives.
Actualité oblige. La présence du ministre Maatar, lunettes vissées sur le nez, trahit quelque peu la nature du scénario. Le tournage a été recommencé à plusieurs reprises par la faute du Chef du gouvernement, emmitouflé dans sa « kachabia », qui s’est obstiné à ne pas se laisser filmer correctement sur les marches de son escabeau de cueilleur. Au grand dam des deux marionnettistes attachés à sa seule personne, qui, n’en pouvant plus, ont abandonné leur auguste compagnon. Ce ne sera que partie remise. Un autre jour, si les conditions le permettent.
«L’Art est long»
A voir comment ça se passe en coulisses et au prix de combien d’effort, à la Sisyphe, la fameuse phrase de Charles Baudelaire vient vite à l’esprit : «Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, l’Art est long et le Temps est court»… En somme, l’obsession existentielle de tous les créateurs. Et ce ne sont pas que les marionnettistes qui mettent tant de cœur à l’ouvrage. L’antre de l’émission, attenant au studio, est une vraie caverne d’Ali Baba. Tarhouni, l’accessoiriste, y règne en Merlin l’enchanteur. Pas mal de personnalités, une trentaine, sans compter les gens ordinaires, selon la chargée de production Zeineb Laroussi, y sont gardés avec le plus grand soin. Choyés même, protégés du mauvais œil comme de l’humidité. Leur regard vif, leur peau parsemée de ridules, leurs mâchoires mobiles, leur main leste et leurs vêtements soignés leur donnent beaucoup de vie. Leur garde- robe, très fournie et également logée dans le même antre suffirait à habiller tout un pan de population, avec tous les accoutrements et looks imaginables. Les rayons regorgent d’accessoires, du plus usuel au plus invraisemblable. Au gré de la flânerie du regard, on rencontre, pêle-mêle, des éléments de couvert, des couvre-chefs, des outils, des objets divers. Un quasi marché aux puces… privé. A disposition de la production. Un seul regret cependant : le producteur et réalisateur de l’émission, Nizar Marzouk, n’a pas pu être joint pour nous parler surtout des éventuelles réactions d’humeur des personnalités croquées toutes crues par les Guignols, du moins des susceptibilités qu’ils pourraient provoquer chez les uns et les autres. Le ton irrévérencieux des dialogues pourrait, en effet, le laisser craindre. «Réactions pour le moment bonnes parce qu’il n’y a pas eu de protestation de qui que ce soit auprès de la chaîne», nous assure à ce propos la chargée de communication de Nessma, Dhouha Ben Mustapha.
Abdelhafidh Aliou