Procès Kazdaghli : Rupture inattendue du délibéré et nouveau report
Bien qu’une collègue et amie m’ait affublé, il y a vingt- cinq ans du surnom de « journal officiel », sur un ton un tantinet élogieux en raison de ma connaissance des textes juridiques et un tantinet persifleur à cause de mes références, trop fréquentes à son goût, au JORT, je bats ma coulpe de citoyen qui a une connaissance imparfaite de la procédure judiciaire et qui est – à quelque chose de malheur est bon – en train de combler ses lacunes en la matière grâce au procès du doyen Kazdaghli. Je croyais naïvement, comme du reste tous les observateurs et les journalistes, jusqu’à ce matin que l’affaire connaîtrait aujourd’hui son épilogue. Je n’écartais pas, cependant, l’hypothèse fort probable d’un report du verdict pour permettre au tribunal de prendre connaissance du rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins au sujet du certificat médical initial délivré à la plaignante et entaché de complaisance selon les avocats du doyen. Le report du verdict, pour cette raison, aurait témoigné du souci des juges de répondre favorablement à la requête que ces derniers ont formulée lors de la dernière audience. Mais j’étais à mille lieues d’imaginer que la Cour déciderait de la rupture du délibéré et du renvoi de l’affaire au 28 mars 2013 pour de nouvelles plaidoiries.
Bien que surprenante pour le profane, cette décision, qui nous ramène à une étape antérieure du procès, celle de l’échange des conclusions, est conforme aux règles de la procédure judiciaire. Elle est prise dans le but de demander au Conseil national de l’Ordre des médecins l’envoi de l’expertise faite au sujet du certificat médical initial susmentionné. Elle permettra également l’audition des témoignages des fonctionnaires de la faculté, déjà entendus par les officiers de la police judiciaire le jour du saccage du bureau décanal et de celui du réalisateur qui a filmé la scène de vandalisme dont il a été le témoin. Cette audition est prévue pour le 6 mars prochain, une année jour pour jour, après l’agression.
Un juge digne de ce nom considère que l’erreur judiciaire est le péché absolu. Toutes ces investigations ne peuvent que conforter l’impression favorable laissée par les juges lors des dernières audiences et confirmer leur désir de chercher la vérité. Mais cette impression rassurante quant à la régularité du procès s’accompagne d’une inquiétude perceptible, ce matin, chez de nombreux Tunisiens. Ils ne comprennent pas la raison d’un report supérieur à deux mois. On ne les a pas convaincus en leur rétorquant que la justice avait ses arcanes connus des seuls initiés, d’autant que le même tribunal avait fait montre à la fin de l’année écoulée d’un désir de clore les débats en fixant une date limite pour le dépôt des pièces du dossier et une date pour l’épilogue.
Quatre audiences n’auront pas suffi à la Cour pour décrypter les arcanes du procès de Habib Kazdaghli.
La cinquième est déjà programmée. Une sixième est nécessaire au cas où les avocats de la plaignante demanderaient une contre-expertise médicale. Pourtant, il ne s’agit que de la banale histoire d’une gifle imaginaire, inventée par des agresseurs qui retournent contre la victime l’accusation dont ils font l’objet. « Quel gâchis ! Que de temps perdu et d’énergie dilapidée », me confie un ami médecin, membre de l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires qui organisera conjointement avec le syndicat de base de la FLAHM une assemblée générale pour discuter de la nouvelle situation qui résulte de ce report.
Habib Mellakh,
universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM