Révélations : Comment Jebali prépare-t-il son remaniement
Les états-majors des principaux partis politiques étaient tous en conclave, chacun de son côté, ce weekend, pour plancher sur la position à prendre quant au remaniement ministériel. Hamadi Jebali en avait donné le la mercredi dernier en adressant à chaque chef de parti consulté, y compris Rached Ghannouchi au nom d’Ennahdha, sous pli fermé et contre décharge à signer, une note politique de première importance. La procédure est inhabituelle et son contenu est exceptionnel. Il y synthétise les résultats des différentes concertations menées au cours des trois dernières semaines avec une dizaine de partis (Nida Tounès n’en faisait pas partie) ainsi que des personnalités indépendantes et propose une nouvelle plateforme politique de concorde nationale (Tawafuk) pouvant servir de base à une coalition élargie. Il s’agit-là d’une évaluation de l’action du gouvernement et du contexte général durant l’année écoulée, d’une analyse des impératifs de la nouvelle étape de transition et d’une précision des objectifs immédiats à réaliser.
Jebali va jusqu’à esquisser les contours de la nouvelle architecture qu’il compte donner à son gouvernement et mentionner les noms des candidats possibles pour chaque département ministériel. Le principe général est de déblayer la voie à la finalisation de la constitution, l’adoption des lois quant aux institutions démocratiques, aux partis et aux élections et organisation des élections. Un accord politique à souscrire sous forme d’engagement qui laisse cependant toute la décision à l’Assemblée nationale constituante et un mécanisme opérationnel sous forme d’un gouvernement, politiquement plus élargi, mais réduit nombre et fort « d’un pôle technique » formé de compétences nationales spécialisées dans les postes appropriés.
Evaluation, objectifs, principes directeurs et orientations générales, le chef du gouvernement a été dans la précision, affirme à Leaders une source bien informée. Sur cette base, il a invité ses interlocuteurs à examiner ce document et à lui faire part, ce lundi au plus tard, de leurs réponses. En clair, d’abord, endossent-ils cette vision et ces principes et, ensuite, acceptent-ils de se joindre à la nouvelle coalition et siéger au nouveau gouvernenent. C’est ce qui explique tout ce branle-bas au sein des partis politiques depuis la réception de cette note. Evidemment, certains ont tenu à anticiper leurs débats internes et à s’exprimer publiquement et fortement dans les médias, voire même, menacer de quitter la Troïka, ou de ne pas la rejoindre. Mais, d’autres peaufinaient encore tard dimanche soir, leurs positions.
Le feu vert d'Ennahdha
Au vu des premières réponses reçues, Ennahdha qui réunissait samedi son instance centrale, Majliss Echoura, avait remercié ceux qui ont répondu à l’appel du dialogue et décidé de participer à la coalition et au gouvernement et respecté la décision des autres. Le parti de Rached Ghannouchi a surtout pressé Jebali de former son nouveau gouvernement en lui fixant comme délai précis, la semaine qui commence. La voie reste ouverte, mais les pleins pouvoirs sont donnés au chef du gouvernement. Pour sa part, le parti Al Joumhoury qui réunissait le week end les 300 membres de son comité central, a opté pour une non-participation, préférant une alliance avec d’autres partenaires, notamment Nida Tounes et Al Massar. Samedi, Béji Caïd Essebsi avait conduit une délégation de son parti au siège d’Al Joumhoury, dans l'immeuble du Studio 38, sur l’avenue Bourguiba, pour des retrouvailles qualifiées de chaleureuses qui ont permis de dissiper les malentendus des dernières semaines.
Quant à l’Alliance démocratique (Mohamed Hamdi, Mohamed Goumani, Mokhtar Jellali, Moncef Cheikhrouhou, Mahmoud Baroudi, etc.), elle ne semble pas favorable à une entrée au gouvernement. Baroudi avait notamment mis l'accent sur la nécessité de dissoudre les ligues de protection de la révolution et la nomination de personnalités indépendantes à la tête des ministères de souveraineté.
Pour sa part, le Front populaire, par la voix de son leader, Hamma Hammami a écarté toute participation, appelant à la formation d'un gouvernement de crise, loin de toute considération partisane et ouvert essentiellement aux compétences. D’autres partis encore en conclave, dimanche jusqu’à tard dans l’après-midi n'ont pas fait savoir leur position.
Dernier round donc, ce lundi. Jebali prendra connaissance des différentes réponses, mènera les ultimes consultations et confectionnera son deuxième gouvernement. Ces consultations qui doivent aboutir avant la fin de la semaine, comme l'a réclamé Ennahdha, risquent cependant d’exiger de lui quelques jours supplémentaires, mais la détermination du chef du gouvernement est de tout ficeler le plus rapidement possible.
Comment avait-il procédé au juste ?
Selon l’un de ses proches, Hamadi Jebali a agit comme à son accoutumée, selon une démarche méthodique. Certes, il avait déjà ressenti la nécessité dès le mois de juin dernier, six mois après l’entrée en fonction de son gouvernement, de procéder à une évaluation de son équipe et exprimé sa volonté d’opérer un recentrage technique afin d’en accroître l’efficience. Mais, divers interlocuteurs lui avaient fait valoir à l’époque que c’était trop tôt, le contexte particulier (extradition de Mahmoudi, changement du gouverneur de la Banque centrale, etc. n’offraient pas un climat favorable) et qu’il fallait laisser passer l’été et le ramadhan pour remanier son gouvernement. A la rentrée, l’impératif technique était devenu politique : élargir la coalition, réduire le gouvernement et y intégrer des personnalités indépendantes compétentes. Pour cela, tout un processus était à mettre en place. Cela exigeait du temps et devait surtout laisser au gouvernement le temps de parachever la préparation du budget et sa discussion au Bardo. Une fois adopté, c’est à la nouvelle équipe de le mettre en œuvre. Mais, le processus était engagé.
Comme en 1983, lorsqu’il avait pris en charge la direction d’Ennahdha alors que nombre de ses dirigeants étaient en prison, se souviennent ses proches, Jebali avait établi ce qui sera appelé « le projet des priorités ». Avec d’autres dirigeants en liberté, il avait en effet conçu une vision pour les années à venir, fixé des objectifs et précisé les priorités. Cette même approche a été adoptée. Trois étapes ont été fixées : évaluation approfondie de l’accomplissement du gouvernement et de chacun de ses membres, analyse des exigences de la nouvelle étape et définition des objectifs, en les priorisant. Sa conclusion est nette : élargir la coalition, bâtir le consensus et renforcer l’exécutif. C’est ainsi que les consultations ont été engagées et que leurs résultats ont été consignés dans le document de synthèse transmis mercredi dernier aux partis.
Mais,de grandes questions se posent... en attendant l'annonce de la composition du nouveau gouvernement.
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