La guerre au Mali : une question de sécurite nationale tunisienne
Trois événements majeurs ont eu lieu presque simultanément dans notre région géographique : le déclenchement de la guerre de l’armée française contre la rébellion du Nord du Mali, l’opération militaire de l’armée algérienne contre la prise d’otages sanglante dans un champ gazier du sud algérien dans une zône proche du triangle frontalier algéro-libyo-tunisien, et enfin la découverte d’un stock d’armes dans le sud tunisien.
Cette coincide semble fortuite. Mais de tels développements n’étaient pas aussi imprévisibles qu’ils n’y paraissent depuis que le Mali, suite au coup d’état de Mars-Avril 2012, en proie à une quasi-partition entre le sud, loyal aux autorités affablies installées à Bamako et le nord occupé par les rebelles touaregs du mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et de l’organisation salafiste djihadiste d’Ansar Eddine est devenu un pays qui inquiétait son le voisinage de l’Afrique du Nord et de l’Ouest et la communauté internationale, notamment la France en raison de ses intérêts dans la région.
D’une superficie immense qui dépasse le million de kilomètres carrés dont une large part se trouve au Grand Sahara, pour une population de 15 millions d’habitants, le Mali est un pays pauvre dont le revenu par habitant ne dépasse guère les 400 dollars et l’espérance de vie de 50 ans à peine et de plus enclavé dans l’ouest africain, sans aucune ouverture sur l’Océan.
Il ne manque pourtant pasde potentialités et d’atouts. Le Mali tire les trois quarts du produit de ses exportations de l’or dont il est le troisième producteur africain, suivi du coton où il occupe la premiére place en Afrique du Sud du Sahara ainsi que du bétail, son cheptel étant le premier en Afrique de l’Ouest.Seul hic, c’est que le coton est vendu à perte dans un marché international du textile porté de plus en plus sur les fibres synthétiques.
Sur le plan politique, le Mali qui a connu depuis son indépendance en 1960 deux dictatures et deux coups d’état, a également fait l’expérience d’un gouvernement démocratiquement élu sous la férule d’Alpha Oumar Konaré choisi tout de suite après la fin de ses deux mandats Président de l’Union Africaine. Le Général Amadou Toumané Touré dit ATT, auteur du coup d’état de 1991 qui a conduit la transition vers la démocratie avant de remettre le pouvoir à un président et un parlement élus reprit le pouvoir par le recours aux urnes en 2002. Alors que son deuxiéme et dernier mandat était sur le point de s’achever, il est renversé par un coup d’état en raison de sa « mauvaise gestion » du conflit du nord du pays entre l’armée et la rébellion touareg.
Le cas du Mali montre bien que la démocratisation dans un pays pauvre ne suffit pas sans un dévoppement économique et humain élévant le niveau de la population locale et offrant des perspectives à sa jeunesse particuliérement. L’on ne manque pas de souligner que, faute de pouvoir offrir à ses habitants de moyens de subsistance, le Mali est devenu un pays d’émigration. On rappelle, à cet égard que la ville de Montreuil dans la banlieue de Paris est la première agglomération de maliens dans le monde bien avant la capitale nationale Bamako. De plus, le Mali et des pays limitrophes dont le Niger font face au problème des Touaregs, un peuple nomade, fier et courageux qui ne reconnait pas les frontières héritées du colonialisme et estime à raison qu’étant le peuple indigène de la région sahélo-saharienne, il a tous les droits notamment celui d’être équitablement traîté et d’avoir une juste représentation dans les rouages des états nationaux.
La pauvreté, la diversité ethnique, l’absence de perspectives et l’échec du modèle de transition politique et de développement économique ont fait que ce pays désertique peu peuplé est devenu le ventre mou de l’Afrique de l’Ouest. Les groupes islamistes armés, issus de la décennie rouge en Algérie ont profité de ses faiblesses pour y trouver refuge sous l’appelation d’Al-Qaida du Maghreb islamique (AQMI). Ils financent leurs méfaits par des trafics de toute sorte dont notamment la contrebande des cigarettes. Leur chef, Omar Benomar, dit Laouar (le borgne), un ancien d’Afghanistan est aussi appelé « Mister Marlboro ». Le kidnapping notamment d’occidentaux et les rançons qui leur sont versés lors des libérations des otages représentent l’autre moyen de financement. La chute du régime de Kaddafi en Libye et l’anarchie que connaît ce pays avec la découverte de stocks d’armes de toutes sorts en quantités inimaginables ont donné des ailes à ces groupes mobiles disposant de moyens de transports appropriés, se déplaçant à leur aise dans une zône qu’ils connaissent parfaitement. Pour mémoire, rappelons que Kaddafi avait créé une organisation qu’il avait appelée Sin-Sad(deux lettres de l’alphabet arabe pour le Sahel et le Sahara) qui a été considérée comme une autre des lubies du maître déchu de Tripoli. Il semble ainsi que Kaddafi était conscient des menaces qui pèsent sur cette région mais comme d’habitude, il était incapable de proposer des remèdes efficaces à ces maux.
La situation dans la zône sahélo-sahérienne ne rappelle-t-elle pas celle prévalant en Afghanistan lors de l’avénement des talibans. Ce pays est devenu la menace que l’on sait à la sécurité internationale qu’une guerre de plus de dix ans avec sa cohorte de morts et de blessés originaires de plusieurs pays n’ a pas pu pacifier.Loin s’en faut.
La guerre que la France a décidé de mener au Mali à la demande des autorités locales avec le feu vert du Conseil de Sécurité et l’appui de l’Union Européenne et de l’OTAN peut-elle mettre hors d’état de nuire ces groupes armés sanguinaires que rien n’arrête. La prise d’otages à In Amenas qui a pris fin dans le sang avec un bilan lourd de plus de morts parmi les otages et les assaillants, montre à quel point la menace que représentent ces groupes armés est réelle. Le choix du site gazier d’Ain Amenas, l’un des plus importants de l’Algérie comme cible de cette opération constitue un défi aux autorités algériennes. A moins de perdre la face, l’Armée nationale algérienne ne pouvait laisser cette action impunie même au prix de pertes, malheureusement inévitables parmi les otages nationaux ou étrangers. L’emplacement du site n’est pas sans importance. Ain Amenas se trouve, en effet, à proximité de la frontière avec la Libye et non loin du point le plus au sud de la Tunisie. Supposée comme étant une riposte à la guerre de la France au Mali, cette opération menée à des milliers de kilomètres du Mali est une démonstration de la capacité de nuisance des groupes islamistes de l’AQMI dans toute la zône.
Il suffit de se rappeler que des stocks d’armes étaient découverts au même moment dans le sud tunisien et qu’un groupe armé relevant d’AQMI était appréhendé, peu de temps auparavent, dans la zone montagneuse du gouvernorat de Kasserine, sans oublier l’affaire de Sidi Amor Ben Khalifa pour prendre conscience que notre pays est dans l’œil du cyclone. Pour mesurer la gravité de la menace terroriste envers notre pays, il est interessant de noter que le site gazier d’Ain Amenas est plus proche de Tunis que d’Alger et de Gafsa que de Tébessa.
Pour tranquiliser notre pays, certains analystes militaires estiment que la Tunisie n’est pas un pays cible des groupes terroristes mais plutôt un pays de transition d’armes et de recrutement d’hommes. Cela ne doit pas nous rassurer pour autant. Ce qui se passe dans la zône du Sahel et du Sahara concerne notre pays au premier chef. C’est à l’évidence une question de sécurité nationale. Ceci est incontestable. Ce qui doit conduire nos forces armées comme nos services de sécurité, qui ont déjà perdu des hommes valeureux pour défendre notre pays, et toute la population avec eux de s’y intéresser de plus près. Une vigilance accrue à nos frontiéres est indispensable pour prévenir de mauvaises surprises dont on doit faire l’économie dans cette phase sensible de transition toujours problématique.
La question qui se pose enfin est : l’armée française est-elle capable de venir à bout de ces groupes terroristes. L’exemple de l’Afghanistan, toujours en proie à des attentats meurtriers malgré une décennie de guerre sans merci menée par, entre autres, l’armée de la plus grande puissance du monde n’est pas pour rassurer. Une armée régulière quelqu’en soit la force est incapable de vaincre des groupes de guérilla. Parfois elle ne fait que les renforcer. Il est donc probable que cette guerre qui n’est qu’à ses débuts risque de durer plus que de raison. Avec son lot de pertes humaines, de sang et de larmes.Il faut espérer qu’une coopération fructueuse soit mise en œuvre entre les pays de la région avec le soutien de la communauté internationale pour isoler les groupes terroristes à la faveur d’une reprise en main du Nord du Mali et un règlement équitable à la question du peuple Touareg.
Raouf BenRejeb