Lu pour vous - 25.01.2013

Le moi et les émois: l'écrit intime en question

Dès lors qu’il devient matière à littérature, qu’il se nourrit de souvenirs longtemps enfouis, l’écrit intime se confond tout naturellement avec la vie. Afin  de s’interroger sur l’évolution et les conséquences de ce genre d’écriture qui prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur, un colloque international ayant pour thème  ‘Les Nouvelles Ecritures du Moi dans les Littératures françaises et francophones’, s’était tenu à la Faculté des Lettres de Sousse. les 24,25 et 26 novembre 2011.

Les actes de cette manifestation viennent d’être  publiés par les Editions L’Harmattan (Collection ‘Espaces Littéraires’) sous la direction conjointe de Sylvie Camet et Nourredine Sabri. Faisant appel plus à leur sensibilité qu’à  leur  souci de la didactique, les deux éditeurs ont classé les contributions en  deux parties : ‘Recherches Formelles’ et Moi et Altérité’.

Comme il s’agit d’un sujet largement théorisé, la première partie a été logiquement réservée aux contributions soulignant les critères et l’évolution de l’énonciation autobiographique. Ainsi, Mokhtar Belarbi,  de la faculté des lettres de Meknès, dans son intervention ‘Pour une théorie de l’autobiographie’, insiste sur l’importance du paratexte dans toute définition de ce genre d’écriture, distinguant, en conclusion, deux types d’autobiographies, l’une classique, l’autre ‘moderne’ ou ‘oblique’,  « s’inscrivant chacune sous l’une des deux épistémès relevées par Michel Foucault» (p.26)

C’est probablement à cette dernière catégorie, que se réfère Annie Pibarot, de l’université de Montpellier, dans son analyse ‘L’autoportrait littéraire dans la littérature française de l’extrême contemporain’. L’autoportrait se caractérise selon ses conclusions, surtout par l’ambiguïté ; c’est la raison pour laquelle il  n’a pas encore trouvé sa place. (p.36)
                                   
La conclusion de Nesrine Boukadi-Jallouli, de l’université de Gabès, n’est pas aussi tranchante. Se référant au roman, A présent, de Brigitte Giraud, auteure française née en Algérie, paru en 2001,elle a habilement démontré que cette œuvre, dite ‘autobiographique’, n’a, malgré sa ‘nouvelle écriture’, qu’un rôle thérapeutique, « une restauration » de la narratrice, le « but principal (étant) de découvrir ce Moi qui se trouve égaré » (p.44), à la suite de  la mort accidentelle de son mari.

Najet Limam-Tnani de l’université du- 9 Avril de Tunis, a opté pour une romancière et une œuvre nettement plus célèbres. Dans sa contribution,  ‘La nouvelle autobiographie  et le jeu lectoral dans l’Amant de Marguerite Duras’. Méticuleuse à l’extrême, elle a su mettre en exergue   les diverses implications de l’écrit intime à travers une œuvre jugée difficile par l’auteure elle-même, mais devenue aujourd’hui incontournable grâce notamment au cinéma.

La seconde partie de cet excellent ouvrage collectif illustre, on ne peut mieux, la double image de l’Autre à travers trois axes : les liens familiaux, les métissages et l’histoire, où l’affirmation du moi se révèle dans bien des cas, comme «  un moyen de confondre les identités de la personne et du personnage, de les mêler, de permettre à la fiction d’aller à la rencontre d’un certain réel… de permettre au moi qui s’examine de discerner dans le portrait les composantes sociales d’une individualités ».(Présentation, p.8).

C’est ainsi que la prééminence familiale se trouve au coeur des réflexions entre autres, de Néjiba Regaïeg, Thouraya Ben Salah, Auxence Massima Moudanga ou encore Hajer Ben Youssef. Cette dernière s’est judicieusement penchée sur le roman de la romancière algérienne Maïssa Bey : Entendez-vous dans les montagnes, livre-témoignage sur la vie de son père,  torturé et exécuté durant la guerre d’Algérie.

Cette prééminence familiale sera la ligne de force principale de la subtile contribution de Souad Yacoub Klif, de l’Université de Monastir, ‘Vies minuscules de Michon : “Une autobiographie oblique et éclatée“. En effet, sa recherche des indices autobiographiques a commencé méthodiquement par une reconstitution de la généalogie,  pourtant diluée dans cette oeuvre de Pierre Michon, pour finalement évoquer l’importance de l’absence du père, de la quête d’identité et des membres de la famille et autres ascendants, dans le récit de soi.

Quelles que soient ses normes et ses limites, ce genre d’écriture n’est plus, aujourd’hui  un simple retour sur le passé et les brèches de la mémoire. Comme il est  souligné dans l’argumentaire de ce colloque, la globalisation aidant mais aussi  les stratégies discursives révèlent « un mouvement paradoxal d’intégration/rejet par rapport à la France, à travers les écrits récents d’auteurs français de naissance maghrébine ou d’auteurs maghrébins ou judéo-maghrébins.

Ce travail collectif est louable à plus d’un titre. En effet, comme la projection autobiographique produit souvent un effet sécurisant chez l’écrivain, il ne s’agit plus, pour lui, de chercher l’équilibre ; de concilier la libre- pensée et les normes assignées à ce genre d’écrit. L’autobiographie est surtout devenue un  va-et-vient sans fin entre identité et altérité, offrant du coup  une clé d’interprétation opérante, susceptible de reconfigurer d’une manière plus positive les relations humaines si distendues aujourd’hui.

Précisons, enfin, que cet ouvrage regroupe vingt trois contributions que nous ne pouvons pas toutes citer hélas, faute de place. Dix d’entre elles portent la signature de jeunes enseignants tunisiens, ce qui augure favorablement de l’avenir de la recherche dans notre pays.

Rafik Darragi
www.rafikdarragi.com

Les Nouvelles Ecritures du Moi dans les Littératures françaises et francophones’, sous la direction conjointe de Sylvie Camet et Nourredine Sabri,Editions L’Harmattan (Collection ‘Espaces Littéraires’), 258 pages.