Un Martyr est un Homme plus Fort, Mort que Vivant
Un vent épique a soufflé sur le quartier de Jebel Jeloud et sur les collines du cimetière du Jellaz, le vendredi 8 février 2013, lors des funérailles du Leader politique Chokri Belaid, et remis à l’esprit la journée de la Bastille Tunisienne du 14 janvier 2011. Des centaines de milliers de tunisiens, des milliers de gavroches, se sont donnés spontanément rendez-vous pour assister à son enterrement et donner une majesté et une solennité exceptionnelles à l’évènement. Il y avait une charge et un consensus émotionnels forts dans la masse des participants, et une volonté d’affirmation de soi extraordinaires.
La société civile qui semblait s’être résignée et avoir baissé les bras, revient plus décidée que jamais à se faire entendre et à compter sur la scène politique. Tous les tunisiens de l’opposition et de la société civile, débordaient de fierté et de ferveur envers Chokri Belaid dont le martyr a sacralisé leur révolution. Il a donné à son parti, à l’opposition, à tous les partis, et à la Tunisie, par le sang versé, la gloire et le symbole invincible car rendu inaccessible par le martyr, la force, la détermination de combattre et une arme de combat redoutable. Le Front Populaire désormais auréolé, comptera et pèsera plus lourd sur la scène politique.
Les funérailles de Chokri Belaid auraient été un évènement national parfait, préparant et renforçant ce rôle multipartisan de Chokri Belaid à la révolution, n’étaient les slogans politiques excessivement partisans et chargés de trop de haine et l’absence de la Troïka, car comment pouvaient-elles l’être en l’absence du Président de la République, du Chef du Gouvernement, et du Président de l’Assemblée Nationale Constituante.
L’exclusion de la Troïka des funérailles est contraire aux traditions et aux pratiques sociales en Tunisie. Surtout dans les occasions de deuil. Elle constitue une punition collective et une présomption de culpabilité qui risque de biaiser et de politiser encore plus le cours de l’instruction et le jugement du crime. Les politiciens qui font l’apologie de l’accusation et de l’exclusion, parlent d’une responsabilité politique et d’un laisser -faire laisser- aller, d’une complicité même, qui auraient conduit à l’assassinat. Sur les chaînes de radios et de télévisions, sur la une des quotidiens, cette nuance n’est pas toujours bien comprise. Ils parlent aussi de messages reçus, de comportements, de déclarations et de menaces faites. Aussi convaincus qu’ils puissent être de leurs accusations, et aussi fondées que puissent être leurs convictions, cette présomption de crime est contraire au principe de la présomption d’innocence et a laissé passer une grande opportunité politique. Le sang versé aurait été une occasion précieuse de réconciliation et d’unité nationale. Le résultat en est que la responsabilité politique devient dans les esprits d’une grande partie de l’opinion une responsabilité pénale. La présomption devient une réalité avérée, remplissant les cœurs d’encore plus de haine, divisant encore plus les esprits et les rangs face aux défis redoutables auxquels la Tunisie fait face et conduisant à la surenchère. Le lendemain, samedi 9 février à Tunis sur l’Avenue Bourguiba et le surlendemain à Kasserine, Gafsa, Mednine, etc., le contrecoup est une chaîne de contre-démonstrations de force, de slogans et de surenchère de haine, par le mouvement Ennahdha et dans son sillage les salafistes.
De même, la dissolution de l’Assemblée Nationale Constituante, à laquelle ont fait appel certains leaders politiques, constituerait un mauvais précédent et une grave exception aux règles du jeu de cette période transitoire. Ces appels sont-ils constitutionnels ?
On parle déjà d’un deuxième Farhat Hached. Farhat Hached, martyr, a joué un rôle déterminant dans le combat pour l’indépendance. Il joue aujourd’hui et jouera encore un rôle déterminant dans la révolution tunisienne. Chokri Belaid a déjà uni les tunisiens contre la violence. Il unira désormais son combat à celui de Farhat Hached pour continuer d’animer et d’inspirer la révolution. Il montrera avec lui, d’une manière éclatante, qu’un martyr est un homme plus fort mort que vivant, et plus dangereux pour ses ennemis et ceux de la révolution.
Salah Hannachi