News - 14.02.2013

Comment des diplomates étrangers voient la situation en Tunisie

Ballet diplomatique incessant depuis la semaine dernière chez le président de la République, Moncef Marzouki, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, et les leaders des partis politiques à commencer par Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi. De quoi attiser les rumeurs. Que se sont dit ambassadeurs étrangers et dirigeants tunisiens ? Quels messages ont-ils été transmis par les capitales étrangères et les diplomates ont-ils été mis à contribution pour relayer en Tunisie les messages des uns aux autres ? Certains sont allés jusqu’à y voir une influence étrangère, très vite dénoncée, des pressions, une ingérence. Leaders a essayé d’en savoir plus en interrogeant des diplomates étrangers, surtout occidentaux qui ont bien accepté de nous fournir des éléments utiles, sous le sceau de l’anonymat. Leurs témoignages ont été reconstitués dans la synthèse suivante. Si chaque pays a sa propre lecture de la situation en Tunisie et ses positions, on retrouve en réalité beaucoup de parallélisme avec les autres. Les propos qui suivent ont bien été tenus à Leaders, mais de diverses sources, pour la plupart concordantes. Par commodité, nous avons décidé de les mettre  dans la bouche d’un diplomate occidental-type.

Pas d’influence étrangère, notamment européenne sur la décision tunisienne, mais des échanges francs et sincères, nous confie-t-il. Peu importe la formule qui sera choisie pour composer le nouveau gouvernement, l’essentiel est qu’il puisse soutenir le consensus sur la Constitution et la loi électorale et restaurer un climat de sécurité propice à des élections réussies, dans les meilleurs délais possibles.  Ghannouchi – Jebali : pas  d’opposition entre un modéré et un radical. Ghannouchi est soucieux à la fois de soutenir Jebali et de maintenir la cohésion de son parti. Si Ennahdha renonce aux ministères régaliens, ce sera apprécié par tout le monde et préparera la voie à des compromis essentiels. Interview.

Comment voyez-vous la situation en Tunisie et l’initiative de Jebali ?

C’est une crise grave qui, en tant que telle, ne surprend pas au moment où la Tunisie se trouve sur la dernière ligne droite. En effet, à mesure qu’on se rapproche des grandes échéances, les problèmes se complexifient. Mais, l’assassinat de Chokri Belaid fera l'effet d'un véritable séisme. Ce que j’ai constaté, c’est un choc bien réel ressenti par toute la classe politique. Et c’est très réconfortant, car dans d’autres pays, les meurtres politiques se banalisent et ne provoquent pas pareille onde de choc. Cela prouve qu’en Tunisie les anticorps de la démocratie fonctionnent bien.

Maintenant, sur l’initiative courageuse, mais solitaire, voire hasardeuse pour certains, du chef du gouvernement, on a beaucoup plus parlé de gouvernement que de Constitution. Le nouveau cabinet aura en fait un mandat très limité dans le temps, chacun voulant accélérer la date des élections, et de matière, étant réalistes, que pourra-t-il faire en quelques mois. Sa mission principale est d’instaurer un climat de sécurité afin de réussir les élections. Du coup,  la nature du gouvernement à constituer importe peu. L’essentiel est qu’il soit le plus apte à soutenir le consensus sur la Constitution et la loi électorale.

Ce qui m’a le plus rassuré, c’est le grand consensus que j’ai trouvé sur cette question auprès de mes différents interlocuteurs. Consulté en tant que diplomate, observateur et ami, j’ai fait prévaloir ce point de vue en recommandant de maintenir la dynamique de la transition et d’éviter qu’elle ne s’enlise dans des discussions sans fin. Comme en chinois où le mot crise (Wei Ji) signifie à la fois risque et opportunité, l’assassinat de Chokri Belaïd offre aujourd’hui à la Tunisie une grande chance.

Les hommes politiques tunisiens portent une responsabilité qui dépasse les frontières du pays. Ils sont les gardiens de l’héritage né du printemps arabe et leur échec constituera un argument magnifique pour tous ceux qui ne croient pas à la convergence entre Islam et Démocratie. Ce qui se joue aujourd’hui en Tunisie décidera de la place qu’occupera le printemps arabe dans les annales de l’histoire : une simple note en bas de page ou tout un chapitre approprié. J’ai bon espoir cependant que ce sera un chapitre écrit par les Tunisiens. Mais, attention, il va falloir faire vite, très vite.

Quelle a été la réaction de vos interlocuteurs ?

Très positive ! Pas uniquement par politesse, j’espère, mais avec une réelle conviction. J’ai perçu chez eux, un vrai souci de l’héritage du 14 janvier, et de la sauvegarde de l’Etat, de ses institutions et de son autorité, avec une volonté déterminée pour dépasser les considérations politiciennes. Maintenant, la preuve sera dans les actes.

On prête à des puissances étrangères d’exercer de fortes pressions ? Je n’ai pas l’impression qu’il faille exercer ce genre de pression. Il y a trop de rumeurs à propos des supposées  interférences, notamment européennes, alors qu’en fait, il n’en est rien.

Comment est perçu Rached Ghannouchi ?

Il est diabolisé par certains en Tunisie, alors qu’en l’écoutant, on a l’impression d’avoir affaire à un homme posé, raisonnable. En tant que leader d’un parti, encore plus au pouvoir, on le sent soucieux de l’unité de son parti. Mais aussi, il ne le place au dessus de l’Etat. On ne perçoit pas chez lui, un esprit étriqué, partisan. Cela ne nous surprend pas et on comprend qu’il s’attache à la fois à soutenir Jebali et à unir son parti autour d’un projet. C’est la même attitude que nous voyons chez les leaders en Europe.

Si Ennahdha accepte de renoncer aux ministères régaliens qu’il occupe actuellement, ce sera apprécié à sa juste valeur par tout le monde. Aucun parti majoritaire ne l’avait fait jusqu’à présent et cela déblaierait la voie à l’apaisement de la situation, notamment, le parachèvement  rapide de la rédaction de la constitution sur les questions en suspens, notamment le parachèvement de la rédaction de la constitution et la loi électorale. D’ailleurs, une fois les ministres aux postes régaliens partis, on se rendra compte qu’en fait, ils n’étaient pas si mal que ça.

Alors quelle sortie de crise pour le remaniement ?

Au sein de ce conseil des sages, et dans les concertations menées, des voies semblent ouvertes. On peut discuter de toutes les questions, en revenant sur les idées initiales et préparer les moyens pour expliquer les solutions proposées. Il y aura au sein du futur gouvernement, une composante technocratique plus importante et, pour les postes-clés des personnalités politiques. C’est la meilleure combinaison possible.

D’ailleurs, ce serait injuste de taxer Jebali de faiblesse s’il aboutit à pareille formation.

Et cette idée d’ instance politique à créer en parallèle avec un gouvernement de technocrates?

Je mettrai en garde contre cette formule. On a un gouvernement, une assemblée constituante et une réelle détermination à accélérer les élections. Alors pourquoi chercher à trop brouiller les institutions. La situation est déjà assez complexe et urgente. Il faut trouver rapidement un compromis sur les dossiers essentiels. Evidemment, comme dans ce genre d’exercice, il y a ceux qui gagnent sur certaines questions et en perdront sur d’autres, et vice-versa. La politique doit aujourd’hui le rôle qui est sien et procéder aux derniers arbitrages.

Si elle n’aboutit pas, peut-on dire que l’initiative de Jebali, a échoué ?

Pas du tout. Elle a déjà le mérite d’avoir produit l’électrochoc dans le pays et amené à réfléchir sur les alternatives extrêmes. Jebali est de ceux qui grandissent par les crises. Et je suis sûr, qu’une bonne solution, convenable, acceptable, finira par être trouvée. Mais, je l’espère, le plus rapidement possible.

Lire aussi :

En attendant samedi...

Jebali : tout se décidera ce samedi, un nouveau gouvernement ou ma démission
 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
2 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed Chatti - 14-02-2013 23:32

Il est intérréssant de savoir qui décide en Tunisie. Le gouvernement ou les autres pays à travers leut diplomates.

ourwa - 15-02-2013 03:45

@Mohamed Chatti Il est dans l'ordre des choses que "les autres pays", comme vous dites, et notamment l'UE, se préoccupent de la situation politique en Tunisie, l'Union européenne étant le premier client de la Tunisie. Celà dit, cette démarche ne signifie pas une volonté d'ingérence, ne vous en déplaise; il serait raisonnable de se débarasser, une fois pour toutes, d'une mentalité d'ex colonisé, injustifiable et néfaste...et garder tout de même dans l'esprit ce constat: ces visites de politiques étrangers, y compris et surtout la délégation parlementaire française, n'a qu'un seul but: sauvegarder les interêts économiques de ces pays en Tunisie...qui fondent comme neige au solei. Ces pays se fichent comme de l'an 40 de la couleur du régime politique en cours, du moment qu'il assure une certaine "stabilité" propice aux affaires; notre histoire ancienne et récente le prouvent...

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.