En attendant lundi : Jebali en train de réussir un tour de force positif ?
Ni annonce d'un gouvernement, ni démission ce samedi: un nouveau round commence. Hamadi Jebali est-il en train de réussir un coup de force positif ? En parvenant à faire asseoir et dialoguer autour d’une même table Rached Ghannouchi, Béji Caïd Essebsi, Mohamed Abbou, Mustapha Ben Jaafar, Ahmed Néjib Chebbi, Mohamed Hamedi et d’autres représentants des forces politiques significatives, comme il l’a fait vendredi après-midi, ne préfigure-t-il pas le dialogue national tant prôné par l’UGTT et désormais réclamé par la Tunisie entière, alors qu’il avait été boudé en octobre dernier par Ennahdha et le CPR à cause de Nida Tounès.
Le double électrochoc de l’assassinat de Chokri Belaïd et l’annonce le jour-même de la détermination de Jebali à constituer un gouvernement de personnalités non-politiques aura fonctionné. Ce vendredi soir, après près de quatre heures d’intenses débats, un vent d’optimisme a flotté sur Dar Dhiafa à Carthage où se tenait, pour la première fois, ce grand conclave historique. En se donnant un délai de réflexion et de consultation des instances, voire des bases, durant le week end et convenant d’observer une consigne de confidentialité et une trêve de déclarations publiques, en attendant de se retrouver ce lundi, une sortie de crise, convenable pour tous se profile à l’horizon. Timidement, peut-être, mais sous de bons augures.
Hamma Hammami, Raouf Ayadi, Houssine Abbassi, Ouided Bouchammaoui et les autres
Certes, il manquait Hammma Hammami (Front populaire), mais aussi, Raouf Ayadi (El Wafa), les Hassine Abbassi (UGTT), Ouided Bouchammaoui (UTICA), Chawki Tebib (Ordre des Avocats), Abdessettar Ben Moussa (LTDH) et autres figures significatives, mais un premier noyau dur est déjà à l’œuvre. Le dialogue est amorcé. Il fallait voir les chefs de partis arriver vers peu avant 16 heures, raides, l’air grave, le visage tendu. Une fois dans le patio de cet hôtel particulier construit par Chedly Bey, début des années 1950, dans une architecture néo-mauresque et resaturé sous la République, ils ont commencé à briser la glace en se saluant les uns les autres avant d’aller prendre place autour d’une table carrée.
Jebali avait à sa droite Rached Ghannouchi et à sa gauche, Mustapha Ben Jaafar en tant que leader d’Ettakatol, puis Mohamed Abbou (CPR). Essebsi, n’était pas loin. Ahmed Néjib Chebbi, aussi, venu accompagné de Maya Jeribi et Yassine Brahim (celui-ci non annoncé au protocole). Mohamed Hamedi avait invité avec lui Moncef Cheikhrouhou.
Haute sécurité
Sous haute protection, gardes de corps en gilets pare-balles, Hamadi Jebali était à l’heure, amaigri, cachant mal sa tension derrière sons sourire énigmatique. Le temps que plus d’une cinquantaine de photographes et caméramens saisissent ces moments historiques, et le huis clos commençe.
Par mesure de sécurité, les réseaux de communication sont brouillés. Point de connexion internet ou téléphonique. Blackout total. Il ne restait plus qu’à patienter. La centaine de journalistes, dont nombre d’envoyés spéciaux de la presse internationale n’avaient plus qu’à s’adonner au jeu favori des spéculations, prétendues fuites et fausses alertes. Des listes de nouveaux ministres sont passées en catimini et chacun y va de son remaniement. L’heure de la prière du Maghreb approche, juste une courte pause, Ghannouchi lance l'appel à la prière et certains le suivront. Les aiguilles de l'horloge continuent à tourner, on frôle la prière d’El Ichaa. Ce n’est que vers 20 heures que la grande porte s’ouvre pour laisser sortir Béji Caïd Essebsi, premier à partir. Avec son don de faire semblant de tout dire, sans rien dire, il déclarera : « nous avons bien avancé et les concertations se poursuivront ». Voilà un bon signe déjà.
Quand Ben Jaafar devient Monsieur Météo
Ahmed Néjib Chebbi en dira juste un peu plus : « C’est positif, nous progressons ». Yassine Brahim fait très IVème République, avec des pirouettes. Mustapha Ben Jaafar préfère parler de météo : « il fait beau ce soir et pas très froid… » Bref, les journalistes l’ont compris : pas de clash ou de blocage, un nouveau rendez-vous est pris et une consigne d’abstention de déclaration à la presse. Les journalistes abandonnent vite l’entrée principale pour se ruer vers la grande salle où un podium a été dressé. Hamadi Jebali arrive, les traits cette fois-ci détendus, mais visiblement exténué par ces 15 jours en flux tendus. Son conseiller politique, Nejmeddinne Hamrouni, le suit du regard, son conseiller de presse, Ridha Kazdaghli est à ses côtés alors que son chef de protocole Olfa Dhahak avait tout vérifié.
Devant une forêt de micros, puis une ligne de caméras, il livre son message. « Il y a une bonne progression, dit-il, une évolution sur toutes les questions et nous avons convenus de nous revoir lundi, dans l’intérêt du pays pour parvenir à un consensus. Le facteur temps est certes important, mais l’intérêt du pays l’est sans doute plus. Nous oeuvrons à une issue honorable pour notre peuple et notre révolution, en élargissant notre initiative à d’autres parties. Nous capitaliserons les points positifs et réduirons les écarts. Pour préserver cette démarche, nous avons convenu d’éviter toute déclaration à la presse, le temps n’est pas à la surenchère publique. Ce que je peux vous dire, c’est que les résultats sont probants : nous mettons sur la table des solutions convenables à tous les partis. Le fait même d’engager ce débat de tous avec tous est en lui-même un acquis précieux ! » Des confrères essayent d’en savoir plus. Courtoisement, Jebali remercie la presse de sa compréhension. Le week end portera conseil. Nouveau round, ce lundi.
« Nous revenons de loin, de très loin, chuchotera un participant à la réunion à nos oreilles. Certains ont finalement pris conscience de la réalité dans le pays. Ce vendredi soir, on s’attendait à ce que ça passe ou ça passe. Avec son doigté, Jebali nous a tendu une issue de secours que nous avons tous empruntée. J’ose espérer qu’on se rapproche de la sortie de crise. Chacun y mettra du sien, sans y laisser des plumes. La Tunisie en sera la grande gagnante ».