Urgence d'Etat
En apnée, retenant son souffle depuis deux ans, le pays vit un « Etat » compulsif, implosif enfin, explosif. L’assassinat odieux de Chokri Belaid a clarifié les enjeux à la lumière de sa vision lucide qui lui valut l’exécution lâche, froide, affligeante. Feu Chokri Belaid avait prédit l’escalade de la violence, lui qui incarne désormais à titre posthume, la révolution congénitalement orpheline d’une figure emblématique qui représente ses valeurs et, ses aspirations. A qui aura profité le crime ? Qui a exécuté ? Quil’a commandité ? Une affaire de police et, de justice. Il reste la responsabilité politique qui n’a pas besoin d’investigation. L’ambiancedélétère savamment entretenue a autorisé le deuxième meurtre d’un opposant politique. Ennahdha a fit la sourde oreille aux appels au meurtre sous les fenêtres du ministre de l’intérieur, autorisa les fatwas désignant les hérétiques à abattre, ferma les yeux sur les exactions perpétrées par ses milices. L’impunité, la mansuétude de R. Ghannouchi vis-à-vis des « ses enfants qui ne viennent pas de la Lune » ont rendu le crime possible.
Chokr Belaid avait bien ditqu’Ennahdha avec ses alliés passeraient aussi tôt à la violence extrême à mesure que s’évanouisse leur faible argumentation, une tare inscrite dans leur l’ADN qui ne tarderait pas à se manifester par l’intimidation puis, par la menace enfin par, l’exécution. C’est désormais chose faite, donnant raison aux craintes de ceux qui dévoilèrent la stratégie intégriste datant des années vingt, ils pointèrent du doigt le passage à la phase III de la violence extrême dès la prise du pouvoir par les urnes ou par la force. La panique semble accélérerle calendrier Nhadhaoui, le spectre du scenario algérien hante l’esprit de R. Ghannouchiqui craint plus que tout de perdre le pouvoir au moment où il l’acquiert. J’y suis, j’y reste, dit le Chef spirituel à son premier ministre Jbali, néanmois dauphin qui la joue en solo en s’affranchissant de la Choura,il proposa de reformer un gouvernement technocrate. Casus belli.
Lorsque les éléments se déchainent, les alliés à la droite d’Ennahdha se vouent à leur « Saint » et appellent à la guerre « sainte » parce que tout tourne à l’envers :
- Le gouvernement a échoué sur le plan économique, social, politique, sécuritaire de l’aveu de son chef lui-même.
-La cohésion du parti majoritaire se disloque après que Jbali ait osé défier le patriarche appelant bien plus qu’à un remaniement cosmétique -qui aurait arrangé un temps le Cheikh suprême- plutôt à la constitution de gouvernement de technocrates sans appartenance partisane.
-La naissance d’une coalition des opposants, destinée à s’élargir après l’assassinat d’une figure de la résistance à gauche, que Ghannouchi ne voyait pas naitre de sitôt.
-Les alliés sûrs prompts à jouer les gros bras demeurent totalement incontrôlabless’empressentde passer à la « solution finale ».
Ennahdha s’isole, elle se retire naturellement, sur ses bases arrières, vers son noyau le plus dur, autour de ses fondamentaux où les fondamentalistes de toutes obédiences islamo- wahhabites se retrouvent. Le climat malsain ne s’éclipsa pas après l’horreur du crime, bien au contraire il s’accentua le lendemain des funérailles populaires – faute d’être nationales , la troïka se fit porter pâle là où elle était persona non grata- une manifestation de soutien à Ennahdha rassembla « spontanément » quelques milliers affrétés par cars et bus pour faire la nique à 1 million et demi de tunisiens qui sortirent rendre hommage au martyr et à la liberté. Des salafistes « bénévoles », nourris à la carotte – au Chocotom pour faire moderne - et armés de bâtons, s’autoproclamèrent gardiens des biens et, des personnes et décidèrent de faire des rondes en occupant les centres névralgiques sur tout le territoire au vu et su de la police républicaine. Une démonstration de force, gourdins et, sabres à la main pour ceux qui n’ont pas compris que ces gens-là sont décidés de crier fort pour dire qu’ils ont raison, de taper fort pour impressionner. Du sentiment diffus d’insécurité le pays est en passe de vivre la terreur que signifie à qui ne voulait pas l’entendre :des balles tirées à bout portant contre celui qui osera défier « leur » volonté divine. La dictature se justifie par la terreur, la peur qu’elle distille dans les esprit suffirait à dissuader toute velléité de révolte, le bon peuple s’accommode plusde sécurité totalitaire que de liberté à risques. C’est ce que voulaient démontrer ceux qui eurent l’indécence de chahuter des funérailles historiques aux abords d Ellajallaz, planant comme des charognards après le passage des hyènes, au-dessus de la dépouille de celui qui symbolisera à jamais la noblesse de l’insoumission. L’assassinat de Chokri Belaid est un point de non-retour comme l’histoire sait faire, le point d’inflexion et de réflexion des deux côtés de la courbe, celui de l’involution comme celui de la révolution : craquellement au sein d’Ennahdha, agrégation au sein de l’opposition. Mr Jbali en a pris acte,opportunémentqu’il soit sincère ou fin politique, lui au moins a compris que le vent a tourné dans une situation sécuritaire gravissime. L’Etat tangue après avoir été vidé de ses compétences au profit des fidélités partisanes. Le blocage persistera avec ou sans remaniement de façade, la déflagration est imminente. L’issue de la crise n’en déplaise à l’obstination de R. Ghannouchi passera inéluctablement par un consensus large qui tiendrait en trois points :
- Constitution d'un gouvernement de salut national mettant à l’abri les ministères de souveraineté de toute inféodation partisane
- Achèvement de la constitution dans un délai de trois mois
- Elaboration de la loi électorale et détermination des échéances législatives et présidentielles le plutôt possible.
Tout autre atermoiement ou manœuvres politiciennes amèneront le pays vers une situation tragique. Le pire n’est jamais certain !
Mohedine BEJAOUI