Cinquantenaire du décès de Hassen Saadaoui: appel pour sa réhabilitation
Une centaine de personnes ont participé au cours de l’après-midi du 1 mars à l’espace El Teatro à la commémoration du cinquantième anniversaire du décès, le 12 février 1963, du militant syndicaliste et communiste Hassen Saadaoui.
La veuve de Hassen Saadaoui, Chérifa Dali, cette ancienne vice-présidente de l'Union des femmes de Tunisie (UFT) interdite en 1962, cette militante de toujours, en dépit de ses 83 ans, a fait un témoignage poignant sur la vie et l'œuvre de son mari, sur les circonstances obscures de sa mort dans le commissariat de police de la Kasbah, sur les allégations mensongères selon lesquelles on l’aurait retrouvé gisant dans la rue, sur l'interdiction qui a été faite à sa famille d'annoncer sur les journaux son décès, sur son inhumation à l'occasion d'une humble cérémonie, réduite à la présence de la famille et de quelques proches. Elle s’est appesantie sur l'accueil très hostile que certains responsables du ministère de l'intérieur lui ont réservé le lendemain de la mort de son mari, lorsqu’elle est allé s'enquérir auprès du ministre des circonstances de cette fin tragique dans un contexte politique dominé par le complot de 1962 et la tourmente politique qui en a résulté avec la dissolution du Parti communiste tunisien et d’autres associations tunisiennes.
Subjuguée par son récit, l’assistance n’en perdait pas un mot. De l'émotion à revendre, il y en avait au cours de cet après-midi pluvieux! D’abord sourde, elle a étreint de nombreux présents lorsque l’historien Habib Kazdaghli a évoqué le calvaire de Hassen Saadaoui qui a connu la prison et à la déportation à l’époque coloniale et rappelé une cérémonie de commémoration analogue organisée il y a trente ans et à laquelle avaient participé ses compagnons de route, Mohamad Ennafaa, Mohamed Harmel, Belhassen Khiari, Robert Meimon, Mohamed Jrad, Ahmed Ben Miled, figures de proue du mouvement démocratique et progressiste tunisien aujourd’hui disparus et feu le militant destourien Azzouz Rebaï, l’homme à la rose, celui qui arborait, comme Nehru, à la boutonnière de sa veste et à la hauteur de son cœur, dans un message d’amour, une rose avant que François Mitterrand n’en eût fait l’emblème du Parti socialiste français.
Puis l’émotion est devenue insoutenable lorsque Chérifa Dali, cette femme spontanée, courageuse et digne, cette battante, formée par son mari selon les confidences qu’elle a distillées, s'est remémorée, d’une voix brisée par l’émotion , la réplique d'un haut responsable du ministère de l'intérieur lui signifiant que son mari avait récolté ce qu'il avait semé et connu la fin de tous ceux qui osent se mêler de politique ! Comme ceux qui se tenaient à mes côtés, j’avais les larmes aux yeux lorsque Jamila Hached, la fille du grand leader nationaliste et syndicaliste disparu, est allée à la tribune embrasser la veuve de Hassen Saadaoui.
Jounaïdi Adeljaouad, au nom d’Ahmed Brahim, directeur d’Attariq Al Jadid ( à qui nous souhaitons un prompt rétablissement), Hichem Skik rédacteur en chef de cet hebdomadaire, Sami Tahri, directeur d’Echaab et membre du bureau exécutif de l’UGTT, Noureddine Hached, historien spécialiste de l'histoire du mouvement syndical en Tunisie et attaché à cette histoire par les liens du sang et le martyre de son père et président de la fondation Farhat Hached , co-organisatrice de l’évènement avec Attariq et Echaab, le doyen Habib Kazdaghli, celui qui connaît le mieux l’histoire du PCT se sont relayés à la tribune pour ressusciter une page de l'histoire du mouvement national et syndical tunisien et le parcours parallèle et commun de Farhat Hached et de Hassen Saadaoui de 1946 à décembre 1952, date de l’assassinat de Farhat Hached par la Main-rouge. Ils étaient unanimes à signifier que le peuple tunisien, ce peuple fondateur de civilisation avait toujours su transcender les clivages pour en faire, grâce à son génie et à sa tolérance, des différences qui l'enrichissent et le renforcent et ils ont mis en valeur la contribution du mouvement syndical au projet moderniste tunisien. Une leçon d'histoire qui vaut son pesant d’or, en cette période trouble de la transition démocratique, pour le présent et pour le futur de ce pays!
A la fin de la cérémonie, Chérifa Dali, mue par la fidélité à la mémoire de son mari et une détermination surprenante chez une octogénaire, s’est juré de connaître toute la vérité sur sa mort avant de tirer sa révérence. Dans sa foulée, de nombreux militants syndicalistes et démocrates de tous bords ont pris l'engagement solennel d'œuvrer pour la réhabilitation du leader Hassen Saadaoui et de remuer ciel et terre pour élucider les circonstances de son décès d'autant plus suspectes que des témoins de l'époque avaient pu constater des lésions sur son corps.
Il est pour le moins curieux que Hassen Saadaoui qui a œuvré en 1956 pour l'unité du mouvement syndical tunisien en mettant fin à l'activité de l'Union syndicale des travailleurs de Tunisie (USTT) et en mettant les militants de l’USTT, son personnel à la disposition de l'UGTT, son siège (celui de la rue de Grèce), son centre médico-social ( situé à la rue Essadikia) à la disposition de l’Etat qui les a rétrocédés à l’UGTT, n'ait pas dans l'histoire de la Tunisie la place qu'il mérite aux côtés de Mhamed Ali El Hammi, Farhat Hached, Ahmed Tlili et Habib Achour et qu'il ne soit pas considéré par l'UGTT comme une icône du mouvement syndical national.
Pourquoi l’UGTT ne réhabiliterait-elle, comme elle l’a fait pour Mokhtar Ayari, compagnon communiste de Mhamed Ali , cet homme qui s’est battu pour l’indépendance de son pays et pour la justice sociale, qui a été accueilli avec les honneurs dans les capitales du monde, qui a abandonné de son propre chef, dans l’intérêt du pays, la direction de l’USTT pour terminer sa vie comme simple ouvrier à l’Hôpital Aziza Othmana et simple adhérent à l’UGTT?
Ô ma Tunisie, carrefour des cultures et des civilisations, terre de brassage, dépositaire des nobles valeurs de l’humanité grâce aux multiples et différents legs des peuples qui ont accosté à tes rivages et qui t’ont aimée, combien je te bénis !
Ô ma patrie, terre bénie de la tolérance et de la non-violence, toi qui as enfanté les martyrs Farhat Hached, Chokri Belaïd, dont les combats, associés à celui de Hassen Saadaoui, ont été célébrés au cours de cette cérémonie, ô ma patrie, je te salue !
Ô ma patrie, terre de nos ancêtres, les Berbères, les Phéniciens, les Arabes, les Bédouins, les Andalous, les Turcs, partie de L'Ifriqiya où naquirent Saint-Augustin et Apulée de Madaure ; terre natale du grand militant communiste et nationaliste, Georges Adda et du chanteur talentueux, Slah Mosbah ; terreau fertile de la résistance passive, terreau des glorieuses révolutions, celle d’Ali Ben Ghedhahem contre l’autocratie des beys, celle de janvier 1952 préparée non seulement par le Néo-Destour et Habib Bourguiba mais aussi par des militants du mouvement progressiste tunisien de la trempe de Hassen Saadaoui, celle citoyenne et sociale d’un autre mois de janvier, celui de 2011, où la jeunesse s’est révoltée pour l’avènement de la démocratie et de la justice sociale dans la continuité des luttes initiées par Farhat Hached, Hassen Saadaoui, par leurs compagnons et leurs successeurs, je t’aime telle que l’Histoire t’a modelée et telle qu’en toi-même le futur te change.
Ô ma Tunisie, que j’aime tous ceux qui comme Hassen Saadaoui et Chérifa Dali sont ta merveilleuse et parfaite incarnation !
L’hommage rendu à la mémoire de Hassen Saadaoui, ce vendredi 1 mars était un hommage à cette Tunisie trois fois millénaire, à ces Tunisiens fiers de leur histoire, de leur appartenance plurielle mais toujours soucieux de ne pas aller à contre-courant du sens de l’Histoire !
Hassen Saadaoui et Chérifa Dali ont compris que ce souci était l’un des éléments fondateurs de la tunisianité. Chérifa Dali, cette femme émancipée et dévoilée, vraisemblablement sous l’influence du mouvement féminin tunisien, a raconté avec beaucoup d’humour et de malice comment, invité dans le Berlin dévasté de l’après-guerre pour participer à un congrès mondial des femmes où elle comptait évoquer la question tunisienne, elle avait convenu d’un commun accord avec son mari qu’elle voyagerait sans voile mais qu’à sa descente d’avion, elle porterait le sefsari pour signifier avec force sa tunisianité. Elle a aussi révélé comment elle avait marqué à chaque marche de la passerelle un temps d’arrêt pour être mitraillée par les flashs des photographes si bien que le lendemain elle avait fait la une des journaux berlinois et avait été la vedette du congrès. Quelle belle leçon de patriotisme ! L’action politique au sens noble du terme, n’est-elle pas mue comme le souligne Dostoïevski par l’amour de la patrie ?
Habib Mellakh,
universitaire, syndicaliste,
professeur de littérature française à la FLAHM