Avons-nous "la gauche la plus bête du monde"?
Guy Mollet qualifia la droite française de « la plus bête du monde », qui par sa division, ses guéguerres intestines offrit sur un plateau à la gauche des scrutins qui lui étaient promis. L’opposition tunisienne court derrière elle-même, elle finira par attraper le titre de la bêtise, lors que le pays est en passe de basculer dans une dictature théocratique. Les positions des uns, les postures des autres opposent l’opposition à elle-même. Un jeu qu’avait bien compris F. Mitterrand vieux briscard de la politique, qui étrangla la droite républicaine par sa main droite, les triangulaires entre PS, RPR et FN ont été systématiquement fatales à la droite. C'est le scénario qui se profile à l‘envers, si des élections se produisent en Tunisie, l’extrême-gauche pourrait contribuer à la victoire incertaine d’Ennahdha, nous pourrions dire en politique-fiction, que la Tunisie sera dotée de « la gauche la plus bête au monde » alors que, Ghannouchi n’est pas Mitterrand.
L’alliance autour de Nidaa Tounes fut une initiative lucide qui appelait à un élargissement à sa gauche jusqu’à "la Jebha". L’assassinat Odieux de Chokri Belaid aurait pu être le déclic qui persuaderait la Nomenklatura gauchiste de revoir son positionnement pour ouvrir la voix vers une coalition progressiste en face d’Ennahdha dont l’arrogance ne se nourrit que de la dispersion de ses opposants. Nous assistons depuis à la course à l’échalote, chacun poursuivant ses projets chimériques, comme si des élections libres et démocratiques étaient garanties. C’est la maladie infantile des révolutionnaires. A leur décharge, les ambitieux se verraient bien Président à la place du Président ou, 1er ministre à la place du 1er ministre, la compétition est ouverte à n’importe qui lorsque l’échec et l’incompétence deviennent des vertus.
Imaginons un seul instant une opposition organisée structurée, unifiée autour d’un socle minimaliste que d’aucuns partagent autour de l’Etat, La République, la Démocratie. Y a-t-il de plus fondamental ?
L’arithmétique électorale donne mécaniquement un poids à l’opposition, pour le moins équivalent à Ennahdha. Dans une phase de transition, le rôle de l’opposition est vital en raison de la persistance des reflux réactionnaires et du jeu des forces involutives. Ils ont beau s’égosiller sur les plateaux, les progressistes ne sauraient être audibles par la majorité du peuple que s’ils articulent distinctement une alternative claire, crédible ouvrant une autre perspective, un espoir, avec des mots vrais affranchis des « éléments de langage » et, du lyrisme incantatoire. Le peuple n’a pas atteint la maturité politique qui lui donne la possibilité de saisir la subtilité des nuances sur un échiquier politique teinté par-ci de centre- gauche, coloré par-là de centre -droit. La force du discours Nahdhaoui est sa simplicité, son simplisme, il sérine invariablement le même leitmotiv : « il y a nous, musulmans et les autres » , un manichéisme ô combien critiquable, intellectuellement malhonnête à la portée de n’importe quel orateur cadre ou sous-fifre de la myriade wahabo- islamiste, il fonctionne, il fait mouche.
Si "El Jebha" persiste à faire cavalier seul, exploitant à l’excès le martyr de Chokri Belaid, elle risque de dilapider un capital sympathie qui comme chacun sait s’amenuise aussi vite qu’il se constitue. Les enjeux actuels ne sont pas programmatiques, il serait dérisoire d’opposer au pôle « centriste » ses inclinations libérales. Dans la situation économique actuelle, aucun programme politique ne peut s’affranchir de l’intervention de l’Etat au moment où le gouvernement « non constitué » signe un plan d’ajustement structurel avec le FMI, fidèle à ses dogmes utilitaristes, imposant aux débiteursde restituer au marché sa primauté. Il est bien connu que les lois du marché sont solubles dans la piété et inversement, les besoins des pauvres Dieu y pourvoira, quant aux mœurs, le calife y veillera. Le débat sur les choix économiques est central ; il est d’ailleurs très étonnant que personne n’en parle, faut-il rendre hommage aux manœuvres de diversion du pouvoir en place ? C'est Ennahdha qui donne le tempo, et désigne le sujet à débattre, avec un certain succès somme toutes, aujourd’hui l’excision des filles, demain El Assida, après demain, la mixité dans les écoles. Entre temps, nos opposants s’opposent à eux-mêmes, ils arrivent à se neutraliser. Cherchez le bénéficiaire !
La responsabilité du Front populaire dans les prochains mois sera énorme par-delà son poids électoral réel ou présumé sur la scène politique, son alliance avec les forces progressistes est une nécessité historique pour barrer la route à la dictature. Viendra le moment de discuter du programme politique et des choix économiques.Les fondamentaux sociaux de la Jebha dans toute sa diversité y trouveront leur place, qu’il s’agisse de rééquilibrage régional, de protection sociale ou d’arbitrage économique. Tout entêtement du Front de Gauche à vouloir se démarquer de la coalition centriste est un secours indirect apporté à la Troïka en perte de vitesse et, un soutien contre-nature à Ennahdha responsable moral de l’assassinat de sa figure emblématique. Quant aux déclarations pour le moins troublantes de certains responsables du quintet de la coalition, elles sont pour le moins politiquement vaines, ils jettent le doute sur la crédibilité d’une alternative unifiée. Dans le camp d’en face, on affiche une unité -au moins de façade-, on n’hésite pas à embrasser le front de son chef devant les caméras pour reprêter serment au Calife « El Bayâa », pour exprimer son obéissance « El Wala’ ».
Les sondages d’opinion affirment que près de 40 % de l’électorat est indécis ou ne voterait pas, si des élections ont lieu aujourd'hui. On retrouve le même désenchantement, le même désintérêt de la chose politique du 23 octobre. Le seul vainqueur d’un tel scénario sera celui qui a remporté le dernier scrutin. Lui, il mobilisera ses troupes et saura acheter ses votes, les défaits seront les mêmes qui partis en ordre dispersé lors des dernières élections s’opposent à eux-mêmes aujourd’hui et, creuseront ainsi le caveau de l’Etat, de la République et, de la Démocratie. Hara Kiri. Qui rira le dernier ? Ennahdha.
Mohedine Bejaoui