L'accord de confirmation avec le FMI est-il un « parachute en or »?
N’importe quel parachutiste vous dira qu’il faudrait toujours disposer de deux parachutes : un «parachute principal» qui permet de faire un saut en toute confiance et un «parachute secondaire» de secours qui est une forme de précaution supplémentaire en cas de non fonctionnement du parachute principal. Il est rare que le «second parachute» soit déclenché mais sa présence rassure le parachutiste en cas de problème. C’est un «parachute en or» qui représente son assurance-vie.
L’économie tunisienne a aujourd’hui son «parachute principal» à savoir la soutenabilité de sa dette à moyen terme, mais peut se donner le luxe d’obtenir un autre «parachute de secours». Il s’agit de se prémunir contre les risques politiques et sociaux supplémentaires. Avoir un « parachute de secours » semble être une règle de gestion macro-économique prudente.
Ce «parachute en or» ne pourrait être proposé que par des institutions internationales mais selon des termes précis. Actuellement, l’accord de confirmation du FMI pourrait constituer ce «parachute en or» à condition que le gouvernement sache bien négocier ses termes.
Le Maroc l’avait bien compris avant la Tunisie et a signé en Août 2012 un accord de confirmation à titre de précaution et de liquidité de 6.3 Milliards de dollars sur deux ans.
Pourquoi obtenir ce «parachute en or» ? Qui pourrait le fournir ? Quels sont ses avantages ? Quels en sont les coûts ?
I - Pourquoi un parachute en or?
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier le besoin d’avoir un « parachute de secours » et sont toutes liées au gap financier de l’économie tunisienne : les risques auxquels fait face la relance de 2012, le gap financier structurel de la Tunisie et la dégradation de la notation souveraine.
1 - L’économie tunisienne a pu sortir de la récession de 2011 en enregistrant une reprise économique de 3.6%, un léger recul du chômage de 2.2 points, un déficit budgétaire de 5.7% inférieur à 6.6% planifié et qui s’explique essentiellement par la faiblesse du taux d’exécution de l’administration publique. Un déficit plus important aurait pu booster davantage la croissance surtout par sa composante d’investissement public. Tout cela s’est traduit par un taux d’endettement d’environ 46% comparé à 44.6% en 2011 et 40.4% en 2010. L’endettement reste soutenable dans le cadre la politique de « Go & Stop », mais celle-ci se heurte à des risques politiques et sécuritaires qui peuvent saper tout l’effort de la relance de 2012 et conduire à des besoins financiers supplémentaires.
2 - Tout d’abord, la période post révolution nécessite la mise en œuvre de programmes de développement importants pour faire face aux problèmes du chômage, des inégalités régionales et la relance de l’économie. Or, ces problèmes se sont aggravés avec la récession de 2011 et l’instabilité du processus de la transition démocratique, ce qui nécessite plus d’effort en matière d’investissement. Pour ce faire, il faudrait mobiliser des ressources financières conséquentes afin de financer l’investissement. Ces ressources devraient provenir en premier lieu de l’épargne domestique. Malheureusement, l’épargne nationale, au taux seulement de 16%, a été toujours structurellement insuffisante pour combler les besoins du développement de l’économie. Cela s’explique aisément par des arguments démographiques, culturels et par le système incitatif, mais aussi par le manque de ressources naturelles dans le pays. Or, tant qu’il existe un gap financier, i.e., différence entre l’investissement et l’épargne domestique, le recours au financement extérieur est la solution adéquate à moins de renoncer à une partie des programmes d’investissement.
3 - La notation souveraine de la Tunisie n’a cessé de baisser depuis le 14 janvier 2011 sur fond de récession économique et de fragilité bancaire pour reposer actuellement sur la crise politique. Récemment (19 février 2013), Standard &Poor’s a dégradé d’un cran la notation souveraine à long terme de la Tunisie de BB à BB- tout en modifiant les perspectives de stables à négatives. L’agence Moody’s, s’est résignée (le 28 février 2013) à suivre S&P après une hésitation et a baissé la note souveraine de la Tunisie de Baa3 à Ba1 la reléguant ainsi en catégorie spéculative. Quant à Fitch Ratings, elle a maintenu (le 08 février 2013)aussi la notation spéculative BB+ avec des perspectives négatives depuis décembre dernier. Heureusement, l’agence Rating and Investment Information a maintenu le grade d’investissement à BBB- tout en émettant des perspectives négatives (le 26 février 2013).
L’impact immédiat est le durcissement du coût de financement sur le marché financier international et son rationnement quantitatif. En 2012, la Tunisie a su contourner cette difficulté en accédant à un prêt qatari au taux de 2.5%, un emprunt obligataire avec une garantie américaine à 1.66%. Elle a aussi eu accès à une tranche d’emprunt japonais beaucoup plus avantageux que le prêt Samouraï accordé au régime déchu. Le gap financier a été aussi bouclé par des appuis budgétaires multilatéraux. En 2013 et au-delà, les incertitudes du processus de transition obligent les décideurs à contourner davantage le marché financier et recourir à des moyens alternatifs à défaut d’un marché financier domestique dynamique. Le recours à la garantie américaine et celle de la banque mondiale ou l’usage de la seconde tranche du prêt japonais vont certes permettre d’atténuer les risques du financement de l’économie mais restent insuffisants dans une perspective de moyen terme. D’où la nécessité d’un parachute de secours confortable dit en or. Ce «parachute en or» ne pourrait être proposé que par des institutions internationales mais selon des termes précis. Actuellement, l’accord de confirmation du FMI pourrait constituer ce parachute en or à condition que le gouvernement sache bien négocier ses termes.
II - L’Accord de Confirmation du FMI
Le FMI a développé différents types d’appuis financiers aux économies à revenu moyen qualifiés d’accords de confirmation. Ils permettent de résoudre les problèmes de la balance des paiements et de répondre aux besoins à court terme du financement extérieur de ces économies. Ces accords de confirmation couvrent généralement une période de 12-24 mois et peuvent aller jusqu’à un maximum de 36 mois.
1 - Les principes
L’obtention de ce type de financement est modulable et dépend de la nature des besoins de financement, de la capacité du pays à rembourser et de son historique en matière d’utilisation des ressources du FMI. Il existe cinq types de financement possibles :
• Financement normal : il est fixé à un maximum de 200 % de quote-part du pays sur toute période de 12 mois, et à un maximum cumulé de 600 % de la quote-part sur la durée de vie du programme (déduction faite des rachats programmés). La quote-part de la Tunisie est de 286.5 millions de DTS (soit environ 435 millions de dollars ou 690 MDT). Aussi, l’accès normal pour la Tunisie s’élèverait jusqu'à un maximum de 2.6 milliards de dollars sur 36 mois, avec une limite annuelle de près de 870 milliards de dollars.
• Financement exceptionnel : il permet d’emprunter, à titre exceptionnel et justifié, des montants supérieurs aux limites normales.
• Financement concentré en début de période : il représente une souplesse d’accès aux fonds en début de période lorsque la vigueur des politiques du pays et la nature de ses besoins de financement le justifient.
• Financement rapide qui permet d’accélérer l’approbation des prêts dans le cadre du mécanisme de financement d’urgence.
• Accès à titre de précaution qui est une forme de facilité d’assurance contre des besoins de financement importants qui couvrent aussi les besoins élevés. Aujourd’hui, la Tunisie s’oriente à obtenir ce type de prêt d’un montant de 1750 millions de dollars US.
2 - Les coûts
Tout d’abord, les montants empruntés sont à rembourser 3¼-5 ans après leur décaissement ce qui laisse au minimum une période de grâce de trois années. Chaque décaissement est à rembourser en huit tranches trimestrielles égales, la première étant due 3¼ ans après la date de chaque décaissement. Le taux du prêt est égal au taux de base du FMI plus une commission de tirage de 50 points de base qui s’applique au montant décaissé. Le taux de base du FMI est lié au taux d’intérêt du DTS par une marge fixe déterminée chaque année fiscale par le département des finances du FMI. Le taux de base du FMI est de 1,08 % en moyenne en 2012. Même en tenant compte de la commission de tirage, le taux d’intérêt effectif est largement inférieur à 1,6%; un taux qui devrait être comparé avec le taux de 1.66% obtenu avec la garantie américaine et de 2.5% avec le prêt du Qatar.
Pour décourager l’utilisation prolongée d’un montant élevé des ressources financières, une commission additionnelle de 200 points de base est ajoutée, lorsque l’encours du crédit est important et dépasse 300 % de la quote-part. De même, si après trois années, le crédit reste supérieur à 300 % de la quote-part, la commission additionnelle s’élève à 300 points de base.
Les ressources engagées au titre de tous les accords de confirmation sont assorties d’une commission d’engagement prélevée au début de chaque période de 12 mois sur les montants pouvant être tirés au cours de la période (15 points de base sur les montants engagés jusqu’à concurrence de 200 % de la quote-part, 30 points de base sur les montants engagés supérieurs à 200 % de la quote-part et ne dépassant pas 1000 % de la quote-part et 60 points de base sur les montants supérieurs à 1000 % de la quote-part).
Ces commissions sont remboursées si les montants sont empruntés au cours de la période en question. En conséquence, la commission d’engagement est remboursée en totalité lorsque le pays emprunte la totalité du montant engagé au titre d’un accord de confirmation. De même, le pays perd cette commission lorsque l’accord de confirmation de précaution ne donne pas lieu à des tirages.
Il ressort clairement que les termes financiers d’un accord de confirmation à titre de précaution sont avantageux et pourraient permettre de contourner le coût excessif d’emprunt sur les marchés financiers en référence à une mauvaise notation souveraine. L’inconvénient est que contrairement à un emprunt sur le marché financier, l’accord de confirmation a ses conditions.
III - Les inconvénients
La signature d’un accord de confirmation est assujettie à des conditions qui rappellent celles des programmes d’ajustement structurel et sont définies en termes d’objectifs quantitatifs. Ces conditions quantitatives sont définies en termes de critères quantitatifs de réalisation et d’objectifs indicatifs dont la réalisation observée par le FMI déclenche les décaissements. Ces critères peuvent être fixés pour le déficit budgétaire, les réserves internationales, le taux d’endettement, la compensation, les réformes bancaires ou du secteur privé…
Aujourd’hui tous ces dossiers sont revisités y compris le modèle de développement. Les dossiers des réformes économiques ont été déjà ouverts et leur examen a été réclamé à la fois par les autorités, les experts et la classe politique. Il existe aujourd’hui un consensus global sur la nécessité de réduction de l’endettement et du déficit budgétaire. D’ailleurs la mise en place de la politique de « go & stop » depuis 2012, le respect de la soutenabilité de la dette à moyen terme selon le cadre des dépenses à moyen terme ainsi que la règle de croissance-zéro du budget de 2013 montrent que la poursuite d’une politique macroéconomique prudente est un choix interne et non imposé par l’extérieur.
Un dossier comme la réforme de la conduite de la politique monétaire et de change et la coordination avec la politique budgétaire est aussi une exigence interne réclamée par des experts nationaux et la BCT. De même, la réforme du secteur bancaire dans le sens des changements du mode de supervision, l’audit de la Banque Centrale ou des banques publiques, ou même de certaines entreprises publiques comme la STEG ou la STIR, sont des choix nationaux pour ne pas dire une exigence de la révolution. La réforme du système fiscal ou celle du code d’investissement sont aussi des choix internes largement engagés et en aucun cas imposés.
Même la question épineuse de la compensation, a été soulevée au niveau national avant qu’elle soit reprise par les organisations internationales. De part sa complexité et son impact économique et social, elle doit être traitée avec prudence et de manière graduelle dans un souci de préserver les pauvres, les couches sociales vulnérables y compris celles de la classe moyenne. C’est peut-être la question qui mériterait le plus de délicatesse dans le contexte actuel de la transition démocratique.
Les choix des politiques et des réformes économiques engagés depuis 2012 peuvent s’inscrire parfaitement dans la lettre d’intention de l’accord de confirmation, pour devenir ensuite les critères quantitatifs ou le calendrier des réformes. L’engagement ferme de la part du gouvernement vis-à-vis des instances extérieures serait un message d’engagement crédible pour que l’économique ne soit pas utilisé à des fins politiques. Il serait aussi un message rassurant aux marchés financiers.
Enfin, depuis la crise financière de 2008, les institutions internationales comme le FMI ont complètement bouleversé l’approche macroéconomique des questions des pays émergents en introduisant des doses sociales comme l’usage de la notion de croissance inclusive. C’est dans ce sens que la politique de «go & stop» de la Tunisie a été bien reçue dans le rapport de l’article IV d’avril 2012. Les exigences du Printemps Arabe ont aussi œuvré dans ce sens. Les pays sont de plus en plus dans des positions confortables de négociation. Le temps des conditions à l’ajustement structurel est révolu à moins d’être dans des positions catastrophiques comme celle de la Grèce.
IV - Conclusion
La négociation d’un accord de confirmation permet de faire face aux risques auxquels fait face la relance de 2012, le gap financier structurel de la Tunisie et la dégradation de la notation souveraine. Il permet même de rassurer les agences de notation et le marché financier international ce qui pourrait conduire à stabiliser la notation souveraine pour ne pas durcir les conditions d’accès au financement extérieur.
Obtenir «un parachute en or» à titre de précaution à un taux concessionnel de 1.6%, en faisant passer son propre programme de politiques et de réformes économiques sous forme de conditions est un luxe qui ne peut être refusé à moins d’avoir des «positions idéologiques». Dans ce cas, il faut avoir les moyens de faire face au risque que le «parachute principal» tombe en panne et que l’économie s’écrase faute d’un «parachute de secours».
Taoufik Rajhi