Démission de la morale
Jean-Pierre Chevènement, ex ministre français, agacé par la dérive libérale de son parti socialiste après le «tournant de la rigueur» de 1983 émit une formule qui fait date dans la série des « petites phrases», il dit : «Un ministre, ça ferme sa gueule, si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ». Il démissionna en 2000 des suites de désaccord avec Lionel Jospin qui reconnut le mouvement nationaliste corse sans que celui-ci n’ait renoncé préalablement à la violence. La morale s’en sort souvent égratignée par la complicité du silence. Celui qui ne dit rien consent !
La solidarité gouvernementale est un prérequis de sa cohérence. Peu évidente même entre politiques du même bord, la cohésion est utopique lorsqu’une équipeministérielle est composée entre autres d’«indépendants ». Les divergences sont fréquentes, voire inconciliables pour celui qui rechigne à sacrifier ses convictions sur l’autel de ses ambitions. Une démission par les temps mauvais que vit la Tunisie serait un acte héroïque,elle pourrait s’apparenter à une abdication douteuse qui poursuit des objectifs inavouables de postuler à mieux.
La démission de M. Jebali ne réconcilierait pas les tunisiens avec la chose politique, elle fut cependant saluée en standing ovation par le conseil de la Choura. Une démissionvécue comme un sacre par un premier ministre qui avoua avoir échoué dans sa mission comme dans son initiative de composer un gouvernement de technocrates. Honneur au vaincu ! Mr Jbali est désormais paré des atours d’un homme d’Etat parce qu’il a échoué sur toute la ligne, M. Larayeth est promu Chef du Gouvernement en récompense à tous ses ratages sécuritaires. Les dictatures naissantes ont cette latitude de fabriquer un héros en recyclant les restes du looser. Fascinant !
M. Zbidi, futur ex ministre de la défense rendit son tablier tout neuf avant de l’avoir mis, aussitôtnommé aussitôt « démissionné ». Il justifia sa décision comme celui qui a prisacte du fait qu’il n’a pas les moyens de sa mission. En gros, il trouva inconcevable de prolonger l’état d’urgence pour une armée fatiguée depuis deux ans de mobilisation , démunie, affaiblie par 23 ans de règne de Ben Ali qui s’en méfiait comme la peste, lui le premier militaire qui fomenta le premier putsch « médical » contre Bourguiba. Entre les lignes, il reconnut son incapacité à préserver la neutralité d’une armée républicaine sous des édits califaux.
Le ministère de la Défense n’est pas acquis «Madhmoun », dixit Ghannouchi, il n’est pas «sous enveloppe », dans une traduction mot-à- mot, la lettre du propos trahit le saint esprit de celui qui le prononce. Une lettre que Ghannouchi adressa en recommandé à ses troupes, avec accusé deréception. Il dit juste avant : «l’Intérieur, n’est pas acquis». Vu de l’extérieur, il s’agit bien de mettre le pays sous coupe sécuritaire nahadhouie, une dictature qui articule bien son nom : DIC -TA-TURE.
Téméraire mais pas trop, M. Zbidi insinue sans le dire, « Je ne peux pas faire le ministre indépendant dont les décisions dépendraient de Ghannouchi. » La chronique d’un remaniement laborieux traduit la mainmise de Ghannouchi et sa stratégie d’aller dans le mur en klaxonnant. La perspective est bien claire : donner le tempo, maitriser le calendrier en divertissant la scène médiatique par les débats accessoires sous-traités en sous mains par des amis : excision, mixité, longueur de la jupe, polygamie, label alimentaire Halel…Diversion méthodique qui fonctionne, il y gagne à tous les coups. Deux possibilités se présentent, nous aurions le choix entre la peste ou le choléra :
- Soit se résigner à la « légitimation » extensible à l’envi en renvoyant aux calendes grecques les élections. Dans ce cas le chaos qui se dessine, entretenu, accentué, donne à l’organe sécuritaire toute sa plénitude. Une fois les ministères de l’Intérieur et de la Défense « acquis », la dictature s’installe avec les moyens adéquats.
- Soit précipiter des élections «à la-va-vite», l’issue du scrutin reviendra au parti le mieux organisé, le plus riche, celui qui détientl’appareil administratif, policier et militaire,les divisions puériles de l’opposition feront le reste.
Une oppositionqui brille par ses divergences, entre partis et intra partis. Elle persévère ainsi sur le chemin de la discorde, des ambitions personnelles, des petites phrases assassines et, de la logorrhée politicienne.
L’opposition exprime au-delà de sa démission morale, sa désertion du champ de la lutte, y compris la gauche censée faire la différence entre les contradictions principales et les divergences accessoires. La Tunisie ne s’enrelèvera pas de sitôt. A Hamma Hammami, Ahed Néjiob Chebbi,Béji Caïd Essebsi et leurs colistiers trop nombreux, aux dauphins autoproclamésd’assumer leursresponsabilitéshistoriques, de choisir : soit l’union des démocrates, soit la victoire des théocrates à laquelleils auraient prêté main forte. Qu’ils ne viennent pas, une fois le piège de la dictature refermé déverser leurs larmes de crocodiles dans leur cimetière d’éléphanteaux politiques.