Le feuilleton tunisien: un miroir déformant de notre société
Depuis que le paysage audiovisuel tunisien s'est enrichi de deux chaînes privées, Hannibal TV et Nessma TV, la production télévisuelle s'est étoffée, diversifiée offrant un plus grand choix pour les téléspectateurs. Le discours a aussi évolué. Concurrence oblige, la langue de bois a cédé la place à un ton plus incisif, irrespectueux parfois, faisant tomber un à un les derniers tabous.
Reste un bémol : la fiction. Depuis la nuit des temps, ce domaine est le talon d'achille de nos chaînes. Une production faible tant en quantité qu'en qualité : à peine deux séries de quinze épisodes chacune sur une année et de surcroît difficilement exportables alors que la production syrienne, nouvelle venue sur le marché de l'audiovisuel, dépasse les quinze séries sans compter le doublage d'une quinzaine de séries turques. Une véritable industrie qui brasse des centaines de millions de nos dinars, emploie des milliers d'acteurs, de techniciens et de métiers artistiques et contribue au rayonnement culturel de la Syrie dans le monde arabe.
Ce véritable saut qualitatif est d'autant plus remarquable qu'il est réalisé pour l'essentiel grâce au secteur privé. Avec l'avènement des deux chaînes privées, on avait pensé que les choses allaient évoluer dans notre pays. De fait, la production est passée de 2 à 5 séries alors que les thématiques développées n'ont pas connu la même évolution. Car, la concurrence à ce niveau a abouti, curieusement, à un certain mimétisme. Il suffit qu'une formule fasse recette pour que tout le monde l'adopte en en rajoutant si possible pour faire bonne mesure.
Le feuilleton Mektoob a t-il enregistré quelque succès l'année dernière par l'audace des thèmes traités : drogue, violence et sexe, on essaiera, cette année d'utiliser les mêmes ingrédients en forçant davantage les traits.
Il est vrai que c'est de bonne guerre. Mais, en focalisant sur certains travers, on risque de faire accroire que la société tunisienne est un ramassis de drogués et d'obsédés sexuels. Tout au plus s'agit-il d'un miroir déformant qu'on nous tend. Pourquoi ne pas montrer- aussi- la Tunisie qui gagne avec ses diplômés qui s'illustrent dans les plus grandes universités étrangères? Ces hommes d'affaires qui imposent leurs produits sur les marchés extérieurs les plus impénétrables? Ces sportifs qui décrochent des médailles dans les compétitions internationales.
Car le jeune tunisien d'aujourd'hui se reconnaît davantage en Lyès Jouini ou Oussama Mellouli qu'en Choko. Je ne suis pas un adepte du réalisme socialiste cher à Jdanov qui consiste à ne présenter que les aspects positifs d'une société ni n'affectionne pas particulièrement le ton moralisateur mais nous devons à la vérité et à l'honnêteté intellectuelle de présenter les mutiples facettes d'une société avec ses misères et ses grandeurs, ses réussites et ses échecs sans fioritures. Et puis quelle piètre idée risquons-nous de donner de notre pays au téléspectateur arabe enclin parfois à juger un pays à travers le prisme déformant de sa production télévisuelle?
Le thème n'est certes pas suffisamment porteur aux yeux de certains. Mais, à trop forcer sur la corde, on risque de s'exposer à des effets de boomerang. Le sensationnel, à force d'en abuser peut aussi lasser.
Hedi