News - 05.04.2017

Bourguiba a bien porté plainte contre Ben Ali

Bourguiba a bien porté plainte contre Ben Ali

Exclusif. Le magazine mensuel Leaders publie dans son numéro d'Avril, en kiosque, un document excpetionnel. Le président Habib Bourguiba avait bien porté plainte en bonne et due forme contre Ben Ali. Il y demandait non seulement sa remise en liberté de sa résidence surveillée à Monastir, mais aussi son jugement. Sa requête au procureur de la République de Monastir que publie Leaders vient d’être trouvée dans les archives de la présidence de la République, avec beaucoup d’autres documents importants. Au moment où la Tunisie commémore ce 6 avril la 13ème année de sa disparition, un coin de voile commence à être levé sur les dernières années de Bourguiba, son enfermement, ses souffrances et son sens de la dignité, gardé jusqu’au bout. A lire ces documents, à écouter les rares confidences de ceux qui ont pu l’approcher durant son calvaire, on ne peut s’empêcher de se demander où étaient les bourguibistes ? Comment avaient-ils accepté ce sort infligé à leur leader, au Combattant suprême?  Quelle peur les avait muselés, mortifiés à ce point ?

Ils étaient ses disciples, ses ministres, ses obligés, ses admirateurs, ses serviteurs. Ils lui doivent beaucoup, sinon tout. Mais, ils s’étaient presque tous tus, résignés et l’ont lâché au moment où il avait le plus besoin de leur soutien dans cette dernière épreuve. Presque tous, car quelques-uns seulement n’avaient pas lâché prise. Tous les autres avaient flanché. Après plus de 50 ans de lutte, de prison et de pouvoir, Bourguiba en avait l’habitude, mais peut-être pas à ce point et à ce moment-là.  Les documents reproduits ci-après apportent un éclairage exceptionnel sur cette période que l’ancien régime étouffait de toutes ses forces. Une machination poussée jusqu’à préparer dès 1995, c’est-à-dire cinq ans à l’avance, tout le déroulé du cérémonial des funérailles de Bourguiba. Tout avait été prévu d’avance, dans le moindre détail, pour ne laisser la place à aucune improvisation de dernière minute qui aurait pu déplaire à Ben Ali. Cette note a été retrouvée à Carthage et doit être divulguée incessamment, nous dit-on. Lorsqu’effectivement Bourguiba décéda, le programme a été appliqué à la lettre. Un cynisme digne des grandes dictatures.

Une complainte poignante 

Le vendredi 2 février 1990, un homme de près de 90 ans prend lui-même sa plume pour déposer plainte, auprès du procureur de la République, contre le président de la République. Celui qui l’avait déposé  et enfermé illégalement. Ce qu’il ne comprend et n’accepte pas, c’est pourquoi ce sort qu’il lui inflige. Ce qu’il demande, c’est d’être jugé pour toute accusation qui lui serait imputée après tant de combats au service de la nation. Pour appuyer sa requête, Bourguiba demande à être reçu afin de soumettre de plus amples détails et fournir photos et documents probants. En bon avocat, même s’il n’avait pas longtemps exercé, Bourguiba garde, à 90 ans, la main pour la procédure. Pour éviter tout vice de forme,  il l’adresse bien au procureur général près le tribunal de Monastir, territorialement compétent en raison de son lieu de captivité, et prend soin de le répéter en langue française afin que ce soit bien compris. Il commence par décliner son identité complète : «Habib Ben Ali Ben Haj Mohamed Bourguiba, premier président de République en Tunisie, né à Monastir, le 3 août 1903 ». Puis, il expose sa plainte. Après avoir rappelé brièvement sa lutte contre l’occupant, sans haine, ce qui a permis à la Tunisie et à la France d’entretenir, après l’indépendance, de bonnes relations, citant à ce propos le témoignage du président François Mitterrand, il évoque sa déposition préméditée par Ben Ali et son enfermement à Monastir.

Un traitement  atroce

«Je suis retenu dans la résidence du gouverneur(…), ne pouvant en sortir que  sur son autorisation, et ne pouvant recevoir les membres de ma famille (…). Certes, je bénéficie des commodités d’hébergement et de restauration, mais je ne peux même pas aller à notre maison, la maison de Bourguiba construite par mon père, feu Ali Bourguiba, et la maison de mon oncle (…)»

Bourguiba se plaindra de ce statut de prisonnier en se demandant quel acte avait-il commis pour y être soumis et «traité avec toute cette atrocité ». Il demande à quitter cette prison serrée et revendique son droit à la liberté : «Je veux retrouver mes amis et tous les habitants de Monastir». Et d’insister sur sa demande d’audience, y voyant sans doute l’occasion de porter son affaire devant l’opinion publique.

Bourguiba y reviendra en post-scriptum, rappelant son combat et promettant des détails très utiles. Par deux fois dans cette lettre, il mentionnera qu’en cas de menace, la France sera toujours aux côtés de la Tunisie. Certains y verront sans doute, loin de tout recours à l’ancienne puissance coloniale, plutôt un clin d’œil très bourguibien à la renonciation de la France à ses valeurs, restée peu soucieuse de son cas, pourtant pays des libertés et des droits de l’Homme.

Ce document suscite beaucoup d’interrogations. Etait-il parvenu effectivement à son destinataire, le procureur de la République de Monastir ? Et si oui, pourquoi n’y avait-il pas donné suite,  en recevant Bourguiba ou en ouvrant une instruction ? Cette thèse paraît peu probable, quand on connaît la surveillance draconienne que Ben Ali exerçait sur son otage. L’un des rares proches de Bourguiba autorisé à le rencontrer avait été en effet interdit de visite pendant une longue période pour  le simple soupçon (infondé) d’avoir essayé de sortir un document rédigé par «le Combattant suprême». Le plus probable, c’est que la requête de Bourguiba avait été interceptée à son insu et remise à Ben Ali. C’est ce qui explique d’ailleurs qu’elle se soit trouvée à Carthage, avec nombre d’autres lettres et documents qui feront le bonheur des historiens.

Un musée Bourguiba : tout sera-t-il révélé ?

Il n’y a pas en fait que les chercheurs qui s’enthousiasment pour le parcours et l’œuvre de Bourguiba. La capitale française vient de lui rendre un nouvel hommage en installant son buste dans le square qui porte déjà son nom, au VIIème Arrondissement. Et ce fut pour le maire de Paris, Bertrand Delanoë, l’occasion de célébrer les valeurs de modernité et d’ouverture de l’illustre président en présence d’un grand nombre d’amis de la Tunisie (Jean Daniel, Pierre Hunt, etc.) et de Tunisiens. Conscient de ce grand attachement à Bourguiba, le président Moncef Marzouki a tenu à aménager, dans l’ancien palais présidentiel de Skanès qui menaçait de tomber en ruine, un musée qui lui sera dédié. Qu’en sera-t-il des documents et objets personnels laissés jadis à Dar Bourguiba, Houmet Trablesia, à Monastir ? On ne le sait pas avec précision, bien que des souches de chéquiers de Bourguiba attestent que nombre d’objets qui y figuraient avaient été payés par lui-même.

Conçu en «projet institutionnel de préservation de la mémoire nationale», le musée comprend également un centre de documentation pour les études bourguibiennes, enrichi notamment par le fonds documentaire retrouvé dans les caves du palais de Carthage ainsi qu’un espace dédié aux conférences. Une fois les documents mis à la disposition du public, que de surprises nous aurons à découvrir!


 

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