Opinions - 31.03.2013

Tunisie-FMI, que de préjugés !

Je ne suis habilité à parler ni en tant qu’ancien responsable économique tunisien ni en tant qu’ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international. Mais comme je suis le premier à avoir analysé exhaustivement l’économie tunisienne (cf. mon livre: « la Tunisie indépendante face à son économie », publié par les Presses universitaires de France) et comme je connais bien le FMI, j’ai mon mot à dire.

Le projet de lettre d’intention, qui exprime les fondements de la politique économique et financière du gouvernement sur laquelle se base la décision du FMI d’intervenir, vient d’être fuité dans la presse tunisienne. C’est la preuve qu’après la Révolution, la presse est libre dans un pays qui se démocratise. De toute manière, cette lettre sera publiée sur le site du FMI avec le rapport du staff, y compris ses tableaux et ses graphes, une fois l’accord entre le pays et l’organisation est définitif.
 
Cependant, sa publication a donné lieu à des déclarations et commentaires plus ou moins fantaisistes sur la situation économique de la Tunisie et sur le FMI lui-même. Cela nécessite au moins une mise au point. Rappelons rapidement que le FMI a été initié par la conférence de Bretton Woods en 1944 et a été formellement crée par 29 pays le 27 décembre 1945. Il compte maintenant 188 pays membres dont la Tunisie, depuis le 14 avril 1958 soit deux ans après l’indépendance. Son but est la promotion de la coopération économique internationale, le commerce international, l’emploi et la stabilité des taux de change en fournissant, en cas de besoin, des ressources financières de soutien à la balance des paiements. 

C’est là un point fondamental

Les concours financiers du FMI sont fournis en appui à la balance des paiements pour qu’un pays n’ait pas recours à des restrictions en particulier sur le commerce international et en général sur les paiements courants quand ses réserves de change sont sur le point de s’épuiser. Il ne s’agit pas de financement du développement dont sont chargées la Banque mondiale et les banques régionales de développement. L’intervention du FMI est donc à court et moyen termes.
 
Revenons aux commentaires. D’aucuns ont insisté sur le point que le projet de lettre mentionne des chiffres sur la croissance, le déficit budgétaire et l’emploi qui sont différents (moins bons) de ceux avancés par le gouvernement auparavant. Sur ce point, il faut rappeler que ces chiffres sont généralement provisoires et peuvent varier dans le court terme soit à la hausse soit à la baisse. Où est le problème ? 
 
D’autres ont insisté sur l’inflation, en l’attribuant à la contre bande et aux circuits de distribution. Il est important de souligner sur ce point que l’inflation est essentiellement d’origine monétaire. Elle a été lancée en 2011 quand les vannes de la planche à billet ont été ouvertes et les masses de liquidités ont été injectées par l’Institut d’émission sur le marché monétaire pour financer les besoins des banques, plombées par les crédits irrécouvrables (voir mon article dans la Presse du 21 juillet 2012 «  la bulle monétaire de 2011 en Tunisie »).  Cependant, les autres facteurs non monétaires peuvent sur accélérer le phénomène. Une fois lancée, l’inflation, qui ronge le pouvoir d’achat et l’épargne et qui est une taxe des plus régressives sur les couches vulnérables, est difficile à maîtriser. Il faudrait une politique monétaire restrictive pendant au moins quelques années pour la juguler parce qu’elle s’implante dans les anticipations des agents économiques. 
 
D’autres prétendent encore qu’aucun pays dans lequel le FMI est intervenu n’a réussi. Cette affirmation est contraire à la réalité. L’exemple même de notre pays le prouve : qui a pu redresser sa situation économique et financière en quelques années, grâce à l’accord avec le FMI en 1986-88.  Il est important de souligner que le FMI est appelé quand la situation économique, sous l’effet des atermoiements politiques, empire. Plus elle empire, plus les mesures de redressement deviennent difficiles et nécessairement vigoureuses sinon douloureuses. C’est pourquoi il est sage de la part de la Tunisie, qui voit son espace économique en Europe se rétrécir avec la récession de la zone euro, de conclure un accord stand by de précaution avec le FMI comme l’a fait, avant elle, le Maroc pour un montant de 6,2 milliards de dollars.
 
Dire que le FMI se substitue aux autorités du pays ou leur dicte leur conduite c’est ignorer les fondements de l’intervention du FMI. Aucun programme de redressement ne peut réussir s’il est imposé de l’extérieur. La condition fondamentale de sa réussite est qu’il est forgé par les responsables du pays, tenant compte de la spécificité du pays et des circonstances particulières de son économie. Le public du pays lui-même devrait être convaincu de l’efficacité du processus de redressement par la transparence avec la quelle les mesures sont prises et l’explication exhaustive de leur portée. Par exemple, le déplafonnement des intérêts servis sur les dépôts à terme que vient de décider la Banque centrale est destiné à encourager l’épargne bancaire. Il faut l’expliquer au grand public.
 
Le FMI d’aujourd’hui n’est pas celui des années antérieures : il encourage la croissance inclusive géographiquement et socialement, tient compte du temps nécessaire pour redresser des situations difficiles et tient beaucoup à la protection sociale des catégories vulnérables de la population. Il est à la page des préoccupations révolutionnaires des tunisiens.
 
Dr. Moncef Guen
   
 
 
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