Radhi Meddeb: FMI, à quelle sauce allons-nous être mangés ?
La publication récente par un journal en ligne d’une lettre confidentielle censée être envoyée sous la double signature du Gouverneur de la Banque Centrale et du Ministre des finances, à la directrice générale du Fonds Monétaire International, a fait du buzz sur la toile et sur une radio privée de la place.
Les commentateurs s’étonnaient de la différence des chiffres qui y sont donnés par rapport à ceux rendus publics par le gouvernement, en matière de taux de croissance 2012, de déficit budgétaire ou de la balance commerciale. Ils y ont vu une manipulation par les autorités des chiffres publiés en Tunisie.
Peu importe, le problème n’est pas là. Je voudrais relever d’abord un certain nombre de points dans ce document:
- Cette lettre a tout des allures de l’authentique. Elle a le style, la structure, le contenu et bien d’autres attributs d’une lettre à adresser au FMI par un gouvernement s’apprêtant à se mettre entre ses griffes.
- Cette lettre a probablement été écrite par les fonctionnaires du FMI et soumise aux autorités tunisiennes pour que nos deux responsables y apposent leur signature.
- On y lit, par exemple, avec intérêt que les autorités tunisiennes précisent que le programme des réformes donnera lieu à 7 revues par les équipes du Fonds sur les 3 prochaines années, dont deux en 2013. C’est ce qui s’appelle «Donner des verges pour se faire battre avec !»
- On y lit toujours sous «la plume de nos deux responsables» que cette lettre est conforme aux clauses traditionnelles de ce type d’accords ! Sachant que la Tunisie n’a jamais signé un tel accord de son histoire, on peut se demander d’où vient cette référence à la conformité !
Au-delà de ces réflexions initiales, je voudrais relever un certain nombre de points et faire certains commentaires:
- Ce document engage le gouvernement sur sa politique économique et financière sur les trois prochaines années. Bien plus, il soumet toute modification, à l’approbation préalable du FMI ! On peut se poser raisonnablement la question de la légitimité d’un gouvernement provisoire, officiellement là pour 9 mois, à engager le pays sur 3 ans, sans débat et sans concertation avec les autres composantes de l’échiquier politique. A minima, un tel engagement aurait dû donner lieu à une discussion à l’ANC. Mieux, il aurait mérité un débat avec les partis politiques, les syndicats et la société civile.
- Les données macroéconomiques contenues dans ce document et moins favorables que celles présentées par le gouvernement en Tunisie, sont plausibles, probablement plus proches de la réalité. On raconte moins facilement des histoires au FMI qu’à sa propre opinion publique.
- Les lendemains qui nous attendent, à travers la lecture attentive de ce document, ne chantent pas nécessairement. Il va falloir s’habituer à des augmentations récurrentes des prix des hydrocarbures, de l’énergie et des produits alimentaires subventionnés.
- Les modalités d’intervention de la Banque Centrale, tant pour la régulation du secteur, que pour le soutien des banques, ou la fixation du taux de change, relèveront de plus en plus de la régulation libérale, avec à la clé, un relèvement sensible des taux d’intérêt (cela a déjà commencé), un déplafonnement des rémunérations sur placements à terme, une accélération du glissement du dinar, mais aussi la limitation du soutien de la BCT aux seules banques jugées solvables (Il faut lire en creux ici: une banque non solvable ne sera pas secourue !)
- Ce document est censé définir la politique économique et financière de la Tunisie sur les trois prochaines années. En fait, s’il passe en revue rapidement les réformes qui doivent être menées au plan économique : élimination de tout avantage fiscal du Code des Investissements, fort encadrement des salaires et des recrutements dans la fonction publique sur les trois prochaines années, réforme des caisses sociales menacées de graves déséquilibres à l’horizon 2018, possible désengagement de l’Etat du capital des trois banques publiques, remise en ordre des finances des entreprises publiques qui constituent de plus en plus un fardeau pour les caisses de l’Etat, rien de précis n’est développé à propos de ces multiples réformes qui restent plus au niveau des déclarations d’intention.
En fait, le document est un pur jus du FMI. Seule la Finance compte. L’économie est accessoire et le social totalement absent.
Radhi Meddeb