Rachid Driss, une vie tout entière dédiée à la Tunisie
« De Bab Souika à Manhattan » et de Nehj El Kebda à Jakarta et Lahore, Rachid Driss qui vient de s’éteindre à 93 ans, a toujours été la voix de la Tunisie militante. Pour l’indépendance d’abord, pour l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République ensuite, et pour le développement et le rayonnement international, sans relâche.
Né dans la Médina de Tunis le 27 janvier 1917, il adhère, jeune élève sadikien, dès 1934, à la naissante Jeunesse Scolaire, fondée par Bahi Ladgham et s’impliquera de toutes ses énergies dans l’action militante. Première arrestation en 1936 et première condamnation, puis participation active autour de Ali Belhaouane, dans les événements des 8 et 9 avril 1938 et une longue série d’arrestations et de condamnations. En pleine deuxième guerre mondiale et avec la montée des propagandes nazie et fasciste, recherché par les autorités coloniales, il se décide à quitter la Tunisie avec les leaders Habib Bougatfa, Habib Thameur, Youssef Rouissi, Hassine Triki et d’autres pour ses réfugier au Caire. Dans la capitale égyptienne, ils formeront le Bureau du Maghreb Arabe, réunissant les leaders d’Afrique du Nord pour agir auprès de la Ligue Arabe et au Moyen Orient.
Un exil de 12 ans
Rachid Driss est envoyé porter la voix de la Tunisie en Asie, avec pour port d’attache Jakarta, puis, Lahore. De son balcon dans la capitale indonésienne, il aperçoit une jeune belge, correspondante de presse, Janine qui deviendra son épouse et lui donnera son fils unique Nayel. Inlassable, Rachid Driss sillonnera la région, établira des contacts précieux au Pakistan, puis retournera renforcer les équipes au Caire, gardant une relation étroite avec Bourguiba, Ladgham Slim et les autres leaders.
Son exil durera 12 ans et il ne retrouvera la mère patrie qu’en 1955 avec l’autonomie interne. Bourguiba lui confie la direction du journal Al Amal pendant cette délicate transition, puis, membre de l’assemblée constituante, il jouera le 25 juillet 1957 avec ses pairs, un rôle crucial. Dans le premier gouvernement de Bourguiba, il se retrouve en 1957, secrétaire d’Etat aux PTT, poste qu’il conservera jusqu’en 1964. Appelé à succéder a Mongi Slim, a la tète de l’ambassade de Tunisie a Washington, il cède les PTT à Néjib Bouziri et part s’installer dans la capitale américaine où il restera 5 ans.
L’expérience américaine s’avérant très réussie, Rachid Driss ira a New-York en 1970, diriger la mission permanente de la Tunisie auprès de l’ONU et y demeurera jusqu’en 1976. Point d’orgue, son élection en 1971, président du Conseil Economique et Social, sur les traces de son prestigieux prédécesseur, Mongi Slim qui, au début des années 60 avait présidé l’assemblée générale de l’ONU.
De retour a Tunis, Rachid Driss, atteint par la limite d'âge, se lance dans l’associatif diplomatique et l’action au sein de la société civile. C’est ainsi qu’il créera en 1981, l’Association des Etudes Internationales (AEI) qui constitue aujourd’hui un véritable creuset de recherche et de réflexion, distinguée par la qualité de ses colloques et manifestations, et la densité de sa revue trimestrielle.
Le Président Ben Ali le chargera de missions à l’étranger et le nommera successivement premier président du Haut Comité des Droits de l’Homme, puis de l’Observatoire des Elections (1999). Avec le même enthousiasme et la même abnégation, il s’en acquittera consciencieusement, tout en continuant jusqu’au dernier soupir à couver son Association des Etudes Internationales et à publier livre sur livre.
On lui doit en effet notamment une poignante biographie sous le titre « De Bab Souika à Manhattan », mais aussi, « A l’aube, la lanterne », « Errance », « Reflet d’un Combat », « Sur la voie de la République », et « De Jakarta à Carthage ». De nombreux articles, interviews et recherches scientifiques lui sont consacrés. C’est ainsi que sous le titre de « Parcours d’un Tunisien », Lilia Laabidi a publié un ouvrage richement illustré de photos inédites, retraçant son itinéraire.
De même, ces dernières semaines, son fidèle ami et proche collaborateur au sein de l’AEI, Kamel Ben Younes a commencé à recueillir ses propos sur nombre de faits historiques, notamment le 25 juillet 1957. Rachid Driss a sélectionné pour lui des documents majeurs et lui confia des photos inédites. De son côté, l’historien Khaled Abid aurait souhaité bénéficier de ses éclairages sur la période 1938-1943, avant son exil. Mais voilà que son décès les privera d’une source précieuse et d’autres témoignages historiques de toute première main.