Moncef Sellami: De la banque à l'industrie technologique
Il devait être chirurgien dentiste, mais bifurquant vers Sciences Po, l’économie et la gestion, il s’est retrouvé banquier. D’abord, au sein du groupe BNCI, l’ancêtre de BNP Paribas, en France, à Londres et au Maroc. Puis à Tunis, à l’UBCI avant de rejoindre la Banque du Sud (Attijari Bank). La banque mène à tout et le voilà se lancer, en 1978, dans l’industrie. Arrivé à l’âge de 40 ans, Moncef Sellami devait se décider sur l’orientation à donner à sa carrière. Poursuivre son ascension au sein de la banque ou voler de ses propres ailes. Son ambition, soutenue par des investisseurs tunisiens, était en fait de créer une banque d’investissement et il en a obtenu l’accord de principe de banques européennes. Le meilleur moyen de s’y préparer, lui conseilla cependant un ami banquier italien, était de commencer par la réalisation d’un projet industriel. Pour l’y inciter, il le mit en contact avec le promoteur d’une câblerie qui souhaitait développer son activité en Afrique, Giuseppe Bruni PDG de la General Cable Riva (GCR). Et la saga a commencé.
Dès le départ, Moncef Sellami a opté pour l’industrie technologique à valeur ajoutée et décidé à cet effet de privilégier le partenariat international afin de bénéficier de l’apport technologique et d’accéder aux marchés extérieurs. Ce choix stratégique implique une totale transparence et un vrai climat de confiance, mais aussi un investissement continu dans les ressources humaines tunisiennes et un réel engagement en faveur du développement durable. Gestionnaire rigoureux, il a toujours veillé à la vérité des comptes. Quant au sens des relations personnelles, il en a hérité la valeur de feu son père et fait son credo. Parcours restitué.
«Je dois reconnaître que tout au long de ma vie personnelle et de ma vie professionnelle, la chance a été de mon côté et m’a souvent souri. Mais aussi, et tout au long de ma vie, j’ai appris qu’il est important de savoir saisir les chances qui nous ont été données. C’est pour cela que la rigueur est devenue pour moi une valeur essentielle.
Mon père était très attaché aux traditions et aux valeurs religieuses, mais il était aussi un homme moderne, ouvert au changement. Le travail et le sens de l’effort étaient pour lui des valeurs primordiales, un véritable principe de vie. C’est ainsi qu’il a mené de front ses activités de commerçant et d’oléiculteur avec la mise en valeur d’une vaste plantation d’oliviers arrachée à la force du poignet dans une zone ingrate à soixante kilomètres de notre ville.
Je crois qu’il ne pouvait envisager pour moi qu’une vie d’efforts constants ; c’est pourquoi il m’a élevé à la dure, me témoignant cependant une affection et une confiance qui m’ont profondément marqué. Quand il nous a quittés en 1962, il avait cinquante ans ; j’avais achevé à Nancy mon diplôme de l’Institut de Sciences Politiques et je faisais dans cette même ville ma deuxième année d’études de sciences économiques à la faculté de Droit. Le décès de mon père a tout bouleversé. Mon jeune frère n’avait que huit ans; j’ai dû interrompre mes études et rentrer au pays pour prendre en charge la famille. Il faut l’avoir vécu pour réaliser combien les situations éprouvantes qui s’imposent brutalement à vous génèrent un sens aigu de la responsabilité. C’est presque tout naturellement que j’ai endossé l’habit de chef de famille et me sentais capable de l’assumer.
Au commencement était la banque
Je dois rappeler que mon regretté père siégeait au Conseil d’administration de l’Union bancaire pour le commerce et l’industrie (UBCI). Je devais trouver auprès du PDG de cette banque, le regretté Pierre Ledoux, un soutien précieux. C’est ainsi que j’ai intégré la BNCI et pendant deux ans, j’ai suivi des stages éminemment formateurs au Maroc, en France et à Londres. Après quoi j’ai réintégré ma banque à Tunis en tant que fondé de pouvoir. Je voudrais ici rendre hommage à mon supérieur hiérarchique M. Guiliani qui m’avait pris en charge et a parachevé efficacement ma formation bancaire.
Et voilà que ma « bonne étoile» était là, encore une fois au rendez-vous!
Le directeur du crédit de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), le regretté Saïd Chenik, a été nommé PDG de la Banque du Sud, jeune établissement en pleine restructuration. Il fit appel à moi pour le poste de directeur central. Ce fut pour moi une expérience exceptionnelle ! L’économie tunisienne était en pleine expansion, le nombre d’hommes d’affaires dans l’industrie, l’agriculture et les services ne cessait d’augmenter ; ils étaient jeunes et ambitieux et apprenaient avec plus ou moins de bonheur leur métier de chef d’entreprise. Ils étaient mes clients, je vivais en symbiose avec beaucoup d’entre eux, je connaissais leurs difficultés et m’employais à contribuer à leur solution. Pouvais-je rêver de meilleure école?
Créer une banque d’investissement
J’étais devenu un professionnel considéré. Sur proposition de la BCT, le Conseil des ministres m’a nommé en qualité de conseiller auprès du Fonds d’investissement d’Abu Dhabi. Poste que, pour des raisons politiques, je n’ai pas rejoint. C’est à la même époque qu’un hebdomadaire de la place, Dialogue, donnant la parole aux jeunes hauts ,cadres m’a interviewé. A la fin de l’entretien, le journaliste me demanda quel était mon plus vif souhait ? J’ai alors répondu sans hésitation: créer une banque d’investissement.
En Tunisie, il n’existait à l’époque qu’une seule banque d’investissement : la SNI, qui donnera naissance plus tard à la BDET. Des hommes d’affaires ont réagi favorablement à ma déclaration et m’ont encouragé à engager le projet. Je mesurais l’ampleur de la tâche qui devait se développer sur deux fronts: mobiliser les capitaux nécessaires et rechercher en particulier des prises de participation de banques étrangères ; élaborer des projets d’investissement dans plusieurs secteurs de l’économie.
Je me suis adressé à un ancien camarade de promotion à Sciences-Po qui occupait un poste de direction à Paribas. Il me donna l’accord de sa banque pour une participation au capital à hauteur de 10% et son entière disposition à nous faire profiter du savoir-faire de la grande banque parisienne. C’est aussi grâce à ce camarade que la Barclay Bank donna son accord pour une participation à hauteur de 5 % de notre capital. Ayant personnellement de bonnes relations avec la Banca de Lavoro, j’ai réussi à obtenir de la banque italienne une prise de participation symbolique.
La préparation du dossier suivait son cours. Nous y avons inclus une série importante de projets industriels à réaliser en partenariat avec des investisseurs européens. Je cite, entre autres, une usine de verre plat, une usine de pneumatique, une câblerie, un pôle électronique et informatique… Malheureusement, les choses traînaient au niveau de l’administration. Il fallait promulguer un texte juridique relatif à l’octroi par l’Etat de garanties aux participations dans les banques d’investissement privées. Et cela prenait du temps !
C’est à la suite de la visite d’un responsable de la Banca de Lavore que se produit un changement de cap et un déblocage de la situation. Ce responsable proposa de laisser de côté momentanément le projet bancaire et de s’engager directement dans la réalisation d’un projet industriel. Il me parla d’un chef d’entreprise italien dans le secteur du câble qui souhaitait développer son activité en Afrique. Selon mon interlocuteur, cet homme était dynamique et dirigeait une entreprise prospère : la General Cable Riva (GCR) devenue Télécocavi.
Ainsi naquit Tunisie Câbles
En décembre 1978, je rencontrais pour la première fois Giuseppe Bruni, le PDG de cette importante câblerie. La communication a été immédiate et nos relations sont devenues rapidement amicales. Je peux affirmer que la rencontre avec cet homme a été un des moments importants de ma vie. Nous avons senti l’un et l’autre qu’il fallait construire un partenariat fondé sur la transparence et la confiance. Deux maîtres mots qui ont été ma règle de conduite et qui le sont devenus encore plus tout au long de mon partenariat avec Giuseppe Bruni.
Avec d’autres hommes d’affaires, j’ai donc créé Tunisie Câbles et je me suis trouvé contraint de mettre à la vente ma villa pour apporter ma part au capital. Le démarrage de la jeune entreprise se fit avec la contribution déterminante de GCR. Dix-sept techniciens de cette entreprise nous ont accompagnés efficacement et nous ont appris un métier qui nous était totalement étranger. Ce fut une opération de transfert de technologie parfaitement réussie. Le Docteur Bruni nous a également facilité l’accès au marché européen en nous permettant de nous introduire dans le réseau de sa clientèle européenne.
La saga a commencé
Grâce à ces premiers succès, Tunisie Câbles a développé de nouveaux produits. La qualité de notre partenariat nous a conduits à créer en 1991 une nouvelle société, Télécocables, spécialisée dans la production de câbles de télécommunication et dans laquelle le Dr Bruni détenait 50 % du capital. La suite naturelle a été notre entrée dans le secteur de la téléphonie, du circuit imprimé, du câblage électronique, etc.
Le chemin parcouru depuis 1978 peut être apprécié par les chiffres que le lecteur trouvera dans un autre endroit de cette publication. Ce que je considère aussi important, sinon plus, c’est bien cette profonde mutation qualitative de notre équipe. Au contact de nos amis italiens et grâce au climat de confiance que nous avons réussi, le Dr Bruni et moi-même, à instaurer, nous sommes devenus une équipe qui a acquis une maîtrise technologique de haut niveau, qui était capable d’innover et d’ouvrir pour nous des horizons nouveaux.
Mes rapports avec Giuseppe Bruni ne cessaient de se développer, nos deux familles sont devenues très proches. Mais hélas rien n’est fait pour durer sur cette terre, une terrible maladie s’est déclarée et l’emporta en février 1992. Je perdais un ami devenu très cher. Que Dieu ait son âme !
Fuba: une nouvelle aventure
La position acquise dans le secteur électrique et électronique et notre solide implantation commerciale nous permettaient d’envisager une plus grande expansion. Je ne pouvais l’asseoir que sur de nouveaux acquis technologiques qui induiraient une synergie nouvelle capable de nous intégrer davantage, élargirait la gamme de nos produits et services. C’est de la sorte qu’il nous sera possible de répondre aux besoins toujours renouvelés de nos partenaires et à développer en nombre et en qualité une clientèle, particulièrement à l’export. C’est ainsi que nous nous sommes orientés avec détermination vers le secteur des «circuits imprimés» dont les exigences en know-how et en rigueur étaient supérieures à tout ce que nous avons entrepris jusqu’ici. Au cours d’une rencontre professionnelle, j’ai été présenté par l’un de nos hauts responsables à M. Hans Kolb, important industriel allemand qui était, entre autres, le propriétaire de Fuba, un leader du «circuit imprimé» en Allemagne. Le contact fut excellent et c’est ainsi que fut créée en 1991 «Fuba Printed Circuits Tunisia», première entreprise du secteur dans notre pays et le sud de l’Europe. Un véritable tournant était ainsi pris.
Sans relâche, nous avons poursuivi le développement en trois pôles : la câblerie, la mécatronique et les TIC. Toujours en partenariat avec des entreprises internationales de premier plan et dans le même souci de l’innovation technologique.
Cette progression significative du groupe a introduit de profonds changements dans notre organisation structurelle. Nous avons réorganisé le groupe et l’avons doté d’une société mère qui porte le nom de One Tech Holding, mis en place une nouvelle gouvernance et fait le choix de nous introduire en Bourse. Pour soutenir notre croissance, favoriser son internationalisation et garantir la pérennité du groupe. Mon plus grand bonheur sera celui d’assurer la transmission du groupe à ceux qui sauront le mener vers de nouveaux succès ».
Le rêve fondateur s’est réalisé, cette nouvelle ambition est à réussir.
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