Dr Salem Esch-Chadely, ce grand médecin et militant tunisien méconnu
La Fondation Témimi a consacré ce samedi, au siège de la fondation, un séminaire à une grande figure de la médecine tunisienne aujourd'hui disparue, le regretté Docteur Salem Esch-Chadely en présence des Professeurs émérites Amor Chadli, Chelbi Belkahia et Saïda Douki.
Evoquant la mémoire de cette grande figure, le Pr Témimi écrit : «Le docteur Salem Esch-Chadely a subi un préjudice évident de carrière qui mérite d’être levé, tout au moins sur le plan moral. Aussi, lorsque sa fille Halé m’a rendu visite il y a quelques mois pour me relater le parcours de son père et l’injustice dont il a été victime, ai-je décidé de lui consacrer ce séminaire à titre posthume. En outre, nous avons publié cette semaine dans le numéro 149 de la Revue d’Histoire maghrébine une longue bibliographie présentée par sa fille. Les lecteurs de cette bibliographie comprendront le devoir qui nous incombe de porter à cette figure nationale un soin et une attention à la mesure de ses mérites, et en particulier de son combat acharné pour faire valoir les droits du citoyen tunisien et de son sentiment national sincère dans l’action et la parole.
Né à Monastir, le 24 février 1896, le docteur Salem Esch-Chadely a poursuivi ses études primaires à l’École franco-arabe de Monastir et a rejoint le Collège Sadiki parmi les 40 élèves reçus au concours en 1910. En décembre 1917, il se rend en France pour poursuivre ses études supérieures. Il collabore avec de nombreux leaders tunisiens tels Mohamed Bach Hamba, proche d’Abdelaziz Thâalbi et des leaders arabes tel le syro-libanais Chekib Arslan qui menaient une politique panarabe et anti-française. Depuis, Salem Esch-Chadely a été étroitement surveillé par la police française.
Le 21 janvier 1919, il prend la liberté d’adresser en son nom, au Président des États Unis d’Amérique W. Wilson, à l’occasion du Congrès de la Paix tenu à Paris, une lettre dans laquelle il revendique le droit de son pays à la liberté et à l’émancipation.
En décembre 1927, avec un groupe d’étudiants maghrébins, il fonde l’Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA). Le Dr Salem Esch-Chadely est élu en qualité de président du premier bureau, le Dr Ahmed Ben Miled en qualité de vice-président, Tahar Sfar, et les marocains Ahmed Belafradj, Mohamed El Fassi et Mohamed Ouezzani en qualité de membres.
Il se spécialise en psychiatrie, obtient ses diplômes de médecine coloniale, de médecine des voies génito-urinaires et soutient sa thèse en 1929. Il poursuit des études en Sciences politiques et en obtient le diplôme. Il ouvre un cabinet de consultation en France à La Rochefoucauld dans le département de Charente jusqu’en 1934, date à laquelle il est sollicité par le gouvernement du protectorat, en tant que premier psychiatre tunisien pour être chargé d’un service à l’hôpital pour les maladies mentales de La Manouba.
À Tunis, il milite au sein du Néo-Destour. Il est élu parmi les 30 membres du Conseil national « Al Mejlis Almelli ». Il fonde en 1936 et préside pendant plusieurs années les « Scouts Tunisiens Musulmans » auxquels les Autorités du protectorat reprochent son orientation nationaliste.
Le Dr Esch-Chadely participe au Congrès de la Nuit du Destin qui a revendiqué, le 23 août 1946, l’indépendance de la Tunisie, ce qui lui a valu son arrestation et sa détention à la Prison civile, avec 45 personnalités nationales dont Mongi Slim, Slimane Ben Slimane, Fadhel Ben Achour et Salah Ben Youssef.
L’hostilité des Autorités coloniales, parmi lesquelles le médecin-directeur de l’hôpital de La Manouba, le Dr Mareschal, s’était alors intensifiée au point de l’atteindre dans sa profession, d’autant plus que le Dr Salem Esch-Chadely ne cessait de dénoncer dans de nombreuses interventions, les conditions déplorables dans lesquelles se trouvaient les malades tunisiens mal soignés et mal nourris par rapport aux malades français. C’est ainsi que poussés par le Dr Mareschal et ses acolytes, les autorités coloniales ont monté contre lui une cabale pour l’exclure de ses fonctions et lui interdire d’exercer sa profession.
Malgré les démarches de sa famille en vue de la réhabilitation de l’injustice qui a entâché son honneur, aucune décision n’a été prise depuis l’indépendance du pays à ce jour».
Prof. Abdeljelil Temimi
Légende photo : 1er bureau de l’Association des étudiants musulmans nord-