Mongi Rahoui, le Monsieur Propre de l'Assemblée
Deux semaines après cette fameuse séance du 21 avril, les murs de l’Assemblée nationale constituante résonnent encore des clameurs soulevées par les propos de Mongi Rahoui.
Ce serait peu dire que les Tunisiens ont été surpris par le triste spectacle offert par les constituants. Ils ont été choqués de voir les hommes et les femmes, qu’ils ont choisis parmi des centaines de candidats, vociférer à tue-tête, jurer comme des charretiers parce que leur collègue a osé leur dire leurs quatre vérités. Si le dirigeant du «Watad» s’est taillé une belle popularité ces derniers jours, c’est parce qu’il a accompli un véritable acte de salubrité publique, parce qu'il a su traduire les sentiments du petit peuple comme, naguère, les tribuns de la plèbe dans la Rome antique et qu’il a brisé l'omerta sur les salaires et les avantages des hommes politiques, quitte à se mettre à dos toute l’Assemblée. A voir tout ce beau monde, toutes tendances confondues, défendre avec l’énergie du désespoir des privilèges indus, on se dit que Mongi Rahoui avait certainement raison de s’en prendre ainsi à ses collègues, car cette union sacrée si inhabituelle en ces lieux ne pouvait que donner prise à ses accusations. Oui, c’est faire preuve de rapacité et d’indécence que de parler d’augmentation de plus de 1 000 dinars et de rappels allant jusqu’à 39 000 dinars, alors que la population subit de plein fouet la crise économique.
Comment dès lors blâmer ceux qui, face à de tels «spectacles», cèdent à la tentation du «tous pourris». Il est normal que les Tunisiens, au sortir des années fric de Ben Ali, soient si regardants sur le rapport de leurs gouvernants à l’argent, qu’ils tiennent à la moralisation de la vie politique, à ce que leurs ministres déclarent leur patrimoine comme la loi les y oblige. Il est pour le moins incongru dans la Tunisie post-révolution que la classe politique soit si fascinée par les ors de la république au point de renier ses idéaux, qu’elle ait du mal à garder la tête froide à l’épreuve du pouvoir, qu’elle se laisse entraîner, parfois, dans des rapports incestueux avec l’argent public.
Les hommes politiques des pays démocratiques ont l’avantage sur ceux des pays totalitaires d'être tenus de rendre régulièrement des comptes à la représentation nationale et d’avoir contamment à trousses à leurs à leurs trousses ces directeurs de conscience des temps modernes que sont les journalistes. Sans Bob Woodward et Carl Bernstein, il n’y aurait jamais eu de Watergate, sans Edwy Plenel, il n’y aurait jamais eu d’affaire Cahuzac.
Dans les pays totalitaires, la corruption et les malversations sont consubstantielles au régime : le pouvoir absolu corrompt absolument. Parce qu’il n’y a pas de garde-fous. Parce qu'il n'y a pas de culture de respect des organes de contrôle. Parce qu’il n’y a surtout pas de presse d'investigation.
Cette presse-là est en train de sortir des limbes en Tunisie. Passons-lui ses dérives, ses crises de croissance. Avec la société civile, elle sera le meilleur rempart contre le retour de la dictature, bien plus que les meilleures lois du monde. Elle protègera les hommes politiques d’eux-mêmes. Elle mènera la vie dure à tous les corrompus. Les hommes politiques tunisiens doivent se faire une raison : ce qui était dans l’ordre du possible du temps de Ben Ali ne l’est plus aujourd’hui. Il ne devrait plus y avoir de place pour d’éventuels émules des Trabelsi et Ben Ali.
L’esclandre provoqué par Mongi Rahoui, amplifié par la presse a contraint les élus de la Constituante à renoncer à leurs rappels royaux. On repense au slogan des soixante-huitards français : «Ce n’est qu’un début, continuons le combat».
Hédi Béhi