Ce que l'attentat de Boston nous apprend sur les médias et sur les États-Unis
Les explosions de Boylston Street à Boston qui ont fait lundi 15 avril 2013 trois morts et plusieurs dizaines de blessés — dont certains très gravement atteints — et endeuillé une belle fête sportive montrent une fois de plus qu’un Etat ne peut rien contre des agresseurs déterminés. Pourtant, les Américains ont déployé des moyens colossaux dans la lutte contre «le terrorisme». 1 271 agences gouvernementales et 1 931 compagnies privées sont occupées à lutter contre ce type d’attaques. Au mois de juillet 2010, une enquête du Washington Post a dévoilé en partie la formidable armada sécuritaire antiterroriste.
Plus de 10 000 sites sont surveillés et 854 000 personnes composent ce monstre tentaculaire dont une portion non négligeable relève du secteur privé. C’est ainsi que 265 000 personnes engagées dans cette lutte appartiennent à des services de sécurité privée. Le Washington Post n’a pas manqué de relever que, s’agissant du renseignement intérieur (Department of Homeland Security DHS), 6 employés sur 10 étaient des salariés du secteur privé et accédaient ainsi à des informations secrètes. Le FBI n’est plus seul que dans les films! Une nouvelle manière de se faire de l’argent aux Etats-Unis consiste maintenant à investir dans ce secteur florissant. La guerre américaine qui a mis en lambeaux l’Irak avait révélé cet emploi forcené des compagnies privées de mercenaires, d’agents de surveillance et de sous-traitants de l’armée yankee telle la tristement célèbre société Halliburton dont un des plus gros actionnaires n’est autre que l’ancien vice-président Dick Cheney. Cette orgie d’organismes de sécurité sert à diffuser la peur du « terrorisme » chez des Américains qui sont avant tout préoccupés par les questions économiques, la flexibilité du travail, l’accès aux soins (45 millions d’Américains n’ont pas de couverture santé), voire l’insécurité alimentaire et le port d’armes — garanti par le Second Amendement de la Constitution…et le titanesque lobbying de la NRA financé par les fabricants — qui fait 30 000 victimes par an.
Les réactions du public de Boston suite à ces horribles attaques ont de quoi étonner un observateur étranger. Tous ces Américains éplorés se demandaient avec une touchante sincérité pourquoi certains en veulent tant à leur pays, oublieux peut-être du fait que les Etats-Unis ont mis à feu et à sang de nombreux pays de par le monde ou si occupés par leur quotidien qu’ils n’ont guère le loisir de suivre les manigances de leurs dirigeants. Il est vrai qu’aujourd’hui, la politique américaine est confectionnée par les multinationales, les médias et les lobbys.
On avait l’adage «One person, one vote». Mais la Cour Suprême a récemment étendu la liberté d’expression aux multinationales : elles peuvent arroser de dollars le candidat au suffrage populaire de leur choix jusqu’à plus soif. Finies les obsolètes limitations de sommes versées aux politiciens ! C’est pourquoi on dit maintenant : «One dollar, one vote». Or, affirme Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, «1% des Américains détiennent 40% des richesses du pays.» (Libération, 11 septembre 2012). «Non! La trahison n’est pas la condition suprême du pouvoir. Elle n’est pas la loi souveraine des démocraties». Qui peut admettre que cette parole de Jean Jaurès a fait son temps, aux Etats-Unis ?
En réalité, les Américains ne peuvent ignorer que les frappes de drones américains – «ces armes sans corps»- sont devenues routinières en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Les horreurs vécues par les Bostoniens ne sont qu’un pâle reflet de l’enfer qu’endurent, depuis des années, les habitants de ces pays. En ce funeste lundi 15 avril, le seul jour de l’attaque du marathon de Boston, une vague d’attentats a fait 50 morts dans cet Irak disloqué par les Américains et leurs alliés et un mariage en Afghanistan a été décimé par un drone américain. Non, les Américains ne peuvent (ne sauraient) ignorer que leur gouvernement a pris dans leur poche, en 2012, 4,1 milliards de dollars pour enrichir un arsenal militaire israélien déjà bien obèse. C’est ainsi que «l’ONG israélienne B’Tselem estime à 271 le nombre de Palestiniens tués par les obus, roquettes, drones ou avions israéliens depuis l’opération «Plomb durci» ; sur la même période, pas un Israélien n’a été tué.» (Stéphane Hessel et al. «Justice pour la Palestine. Tribunal Russell pour la Palestine», L’Herne, Paris, 2013, p. 92)
Pas une ligne, pas une image de ces atroces massacres perpétrés au Pakistan et ailleurs par les drones alors que passaient en boucle les moindres images de la tragédie bostonienne. Commandés par des techniciens américains devant leur écran, à des milliers de kilomètres de là, ils «reproduisent indéfiniment un geste mécanique» qui, inlassablement, condamne à mort «ces damnés de la terre», sans juges ni témoins. Pour les victimes, «les attaques de drones sont largement perçues comme lâches, parce que leurs pilotes tuent des gens sur le terrain depuis l’espace sécurisé d’un cocon climatisé dans le Nevada, sans le moindre risque d’être jamais tué par ceux qu’il attaque». (Hugh Gusterson cité par Grégoire Chamayou, Le Monde Diplomatique, avril 2013, p. 3). De vulgaires terroristes en somme !
L’émotion qui a déferlé sur les capitales d’Occident et les déclarations de leurs politiciens, suite aux explosions de Boston, montrent, une fois de plus, que la doctrine du «double standard» dans le traitement de l’information et l’importance accordée à de tels terribles évènements est toujours à l’œuvre. Pour ces gens, la mort d’un jeune Américain de 8 ans ne saurait être mise sur le même plan que le massacre d’une famille afghane participant à une noce. Combien de jeunes Palestiniens ont été fauchés par les armes américaines de l’armée israélienne sans que nul n’y prête attention ? Pourtant, la peine, les larmes, la blessure, la mutilation et le sang sont les mêmes partout, chez les humains, quelles que soient la couleur de leur peau, leurs croyances ou leur localisation géographique. «La guerre est un crime que n’excuse pas la victoire», disait Voltaire. Mais, pour les Américains, où peut-on situer la «victoire »? A Fallouja ? A Bagram ? A Guantanamo ? A l’assassinat, au Yémen, en septembre 2011, d’Anwar al-Awlaki, un citoyen américain, foudroyé par une frappe de drone?
Mais qui a commis, à Boston, cette ignoble action?
On a d’abord parlé d’un Saoudien pendant quelques heures. Réflexe pavlovien d’une certaine presse face à de tels faits. Un médecin d’origine syrienne Ahmad Almujahèd – qui vit à Malden, dans la banlieue de Boston- relève : «Après la tuerie de Newtown, personne n’a mentionné le fait que le coupable était chrétien. Les gens, les journalistes ont utilisé des tas de mots mais n’ont jamais souligné la religion de l’auteur du massacre, mais quand c’est un musulman, c’est la chose que l’on met en avant.» (Journal du Dimanche, 21 avril 2013, p. 11)
Pourtant, il y a d’autres suspects que les seuls musulmans* ! The Guardian Weekly (19 avril 2013, p. 5), note que depuis l’élection d’Obama, les groupes «Patriot» antigouvernementaux ont littéralement explosé. Le mois dernier, «The Southern Poverty Law Centre», un think tank, a rapporté qu’étant donné la perspective d’un contrôle fédéral sur les armes — contrôle qui vient du reste d’être rejeté par le Sénat, faisant subir ainsi un cuisant échec au président— le nombre de ces groupes a atteint un chiffre record en 2012 et a crû de 813% en quatre ans.
De même, un récent rapport du «Centre de Lutte contre le Terrorisme» de l’Académie militaire de West Point signale qu’«il y a une augmentation spectaculaire du nombre d’attaques et de complots violents perpétrés par des individus et des groupes qui se réclament de l’extrême droite de l’échiquier politique américain. » Est-il nécessaire de rappeler que l’attentat à la voiture piégée du 19 avril 1995, à Oklahoma City, contre un centre administratif fédéral ayant fait 168 morts et 500 blessés était l’œuvre d’un Américain blanc, Timothy McVeigh ?
L’attentat de Boston a donné l’occasion à certains d’exprimer des opinions bien rances. Ainsi, en France, Laurent Wauquiez, vice-président de l’UMP – le parti de l’ancien président Nicolas Sarkozy – se prenant pour John Kennedy, a eu cette sortie : «On est tous des marathoniens de Boston», alors que l’on n’a jamais entendu ni Wauquiez ni son parti s’élever contre les assassinats ciblés américains ou israéliens. Cette compassion à géométrie variable ne peut tromper personne. Wauquiez devait ajouter qu’«un attentat comme ça n’est pas anodin. C’est la volonté de semer la mort et la peur dans une fête populaire, et d’une certaine manière de s’attaquer à ce qui est notre mode de vie occidental. Le terrorisme intérieur et extérieur est le défi de notre siècle.» (L’Humanité –Dimanche, 18-24 avril 2013, p. 66)
Non, le défi de notre siècle n’est pas le terrorisme. Ce défi réside dans le fait qu’un monde aussi inégalitaire est un monde dangereux. Il faut donner à tous les humains les conditions d’un développement assurant une vie digne. Aucune bombe atomique ou thermonucléaire , aucun drone ne saurait protéger durablement ceux qui ont tout contre le ressentiment de ceux qui aspirent à vivre dans un monde équitable et juste d’où seraient bannis l’accaparement des ressources et les inégalités. Un penseur du siècle des Lumières en Europe dressait déjà ce constat: «‘‘Tout pour nous-mêmes et rien pour les autres’’ semble avoir été à toutes les époques du monde la vile maxime des maîtres de l’humanité». Aujourd’hui, une répartition équitable des richesses de cette planète est la meilleure assurance contre la violence…et pour la survie de l’espèce humaine. La sagesse africaine enseigne : «Qui mange seul, s’étrangle seul.»
M.L.B.
* On sait maintenant que les frères Tsarnaev — d’origine tchétchène—sont impliqués mais leurs mobiles restent très mystérieux.