La Tunisie sera t-elle capable d'arrêter l'hémorragie des subventions?
Le forumNou-r pour une nouvelle république, l’Institut des études stratégiques et l’UTICA ont organisé une conférence-débat le 30 Avril pour attirer l'attention sur une problématique majeure mais insuffisamment médiatisée et discutée : la subvention de l’énergie et des produits de base.
En effet, Les subventions directes en Tunisie sont passées de 1500 millions de dinars en 2010 à 4330 millions de dinars en 2012.
Il faut y ajouter en 2012 2500 millions de dinars de subventions indirectes pour l’énergie (vente du gaz à la Steg à bas prix, affectation des recettes des activités pétrolières pour le compte de l’état).
Ainsi les subventions totales en Tunisie en 2012 seraient d’environ 7000 MD alors qu’elles n’étaient que de 2000 Md en 2010 dont 5300 MD pour l’énergie, 300 MD pour le transport ( abonnements à bas pris et sans doute aussi surconsommation en énergie) et 1400 Md pour les produits de base ( 70% produits céréaliers, 20% huile et 10% sucre, lait. Ce chiffre inclut les pertes de l’office du commerce pour la plupart dus à l’importation du sucre). Contrairement à ce qu’on pense, la subventions des pâtes et du couscous ( 5 MD) ne représentent que 0,1% de la subvention totale.
Les trois quarts des subventions totales seraient donc des subventions à la consommation de l’énergie car malheureusement, la Tunisie est passée d’un pays excédentaire en énergie ( les ressources dépassaient de 10% la consommation fin des années 90) à un pays déficitaire à partir de l’année 2000. Ce déficit a atteint 20% en 2012. Nous remarquerons que cela est dû en particulier :
• L’augmentation de la consommation ainsi la demande en gaz a été multipliée par quatre depuis 1990
• La baisse de production de pétrole. La production est passée de de 110 000 barils par jour en 1994 à 66000 barils par jour en 2012. L’augmentation de la production de gaz
Aujourd’hui on est dans une situation telle que notre économie et en particulier notre déficit budgétaire est à la merci du prix du baril et du taux de change du dollar. En effet, la facteur le plus important de l’augmentation des subventions de 2000 MD en 2010 à 7000 MD en 2012 est la hausse du prix moyen du baril de 60$ à 108$ et la hausse du dollar de 1,3 à 1,58.
On considère que l’augmentation du prix de baril de 1$ accroît le déficit budgétaire d’environ 50 millions de dinars et l’augmentation de 10 millimes du taux de change dollar dinar de 30 millions. Ainsi, l’augmentation du prix du baril de 5$ entraînerait une augmentation de 1% du déficit budgétaire ; Il en est de même de l'augmentation de 80 millimes du taux de change dollar/dinar. Autant dire que l’on est en train de gouverner un pays alors que le gouvernail n’est pratiquement plus entre nos mains.
Si l’on considère que le déficit énergétique va augmenter encore de 15% en 2013, on imagine les difficultés qui nous attendent.
Il est à remarquer que ces subventions varient énormément d’un produit à l’autre (13% pour l’essence, 27% pour le gasoil, 58% pour le fuel oil et 71% pour la bouteille de gaz). Ainsi, la bouteille de gaz vendue à moins de 8 dinars reviendrait en fait à 26 dinars.
L’électricité serait subventionnée à 206 millimes le kwh pour un prix de vente moyen de 139 millimes et là on a un vrai casse-tête.
Pour la subvention des produits de consommation de base et bien qu’ils soient nettement dominés aujourd’hui par celle de l’énergie, un grand travail de rationalisation reste à faire. Ainsi, la palme de la subvention revient à l’huile ( 1d455 millimes de subvention pour un prix à la vente de 900 millimes) vient ensuite le gros pain avec 239 millimes pour un prix de vente de 230, suivi par les pâtes alimentaires avec 650 millimes de subvention pour un prix de vente de 800 millimes).
L’impact budgétaire est effrayant. Ainsi, en 2013, 30% du budget de l'Etat (28Md) financent la caisse de compensation et les incitations fiscales & financières (1.4Md) auxquels il faut ajouter le service de la dette (qui atteint environ 20%), ainsi que les salaires de la fonction publique (environ 35%), soit au total environ 85% du budget partant vers des dépenses de fonctionnement ne créant pas de richesses.
Les investissements en développement ont été de 4770 millions de dinars en 2012. Ainsi les subventions ont représenté pratiquement 150% de ces investissements. En 2005, ces subventions représentaient seulement 37% des investissements en développement dans le budget.
Comme l’a bien présenté l’un des représentants de l’administration lors de cette conférence, bien que toutes les classes sociales y compris les plus aisées profitent des subventions, la subvention des produits de base représente 15% de la consommation alimentaire au nord-ouest et au centre-ouest pour la population pauvre. Il ne s’agit surtout pas d'annuler les subventions (cela entraînerait une augmentation de la pauvreté de l’ordre de 3,6%, sans parler de la paix sociale qui s'en trouverait compromise) mais de les rationaliser, d'améliorer l’efficacité des circuits de distribution et de mieux les cibler.
Le challenge consiste à bien formuler, adresser et résoudre une problématique ayant des impacts sociaux et économiques très importants tout en manageant le paysage politique.
Il s’agit de savoir :
• Comment développer la production de l’énergie en Tunisie (accélérer la prospection classique ainsi que celle du gaz de schiste, exploiter les énergies renouvelables et accélérer les projets en ce sens …)
• Comment rationaliser la consommation de l’énergie (sensibilisation du consommateur, mise à niveau énergétique de nos usines, lutte contre la contrebande et utilisation illicite des produits fortement subventionnés …)
• Comment rationaliser la consommation des produits de base
• Comment mieux cibler la population à qui est destiné la subvention ?
Les leçons tirées d’une cinquantaine d’expériences internationales montrent que la méthodologie d’approche est aussi importante sinon plus que la problématique elle-même. En particulier les facteurs-clés de succès de la réforme du système de subvention seraient :
• Des objectifs à long terme clairs avec un positionnement clair des acteurs et une définition du rôle de toutes les des parties prenantes en particulier, il faudrait tenir compte de l’opposition de groupes d'intérêts spécifiques à qui profite le statu quo ;
• Une stratégie de communication claire et efficace, appuyée par une amélioration de la transparence, notamment moyennant la diffusion d’informations sur l'ampleur des subventions et la comptabilisation des subventions dans le budget ;
• Des mesures correctement échelonnées dans le temps ;
• L'amélioration de l'efficacité des entreprises étatiques et de la logistique de gestion des subventions en général.
• L’introduction de mesures ciblées pour protéger les pauvres dans le cadre du processus de réforme.
• Des réformes institutionnelles qui dépolitisent le processus de fixation des prix des produits de base et celle de l’énergie.
Voilà des questions majeures auxquelles toute la Tunisie gouvernement, partis politiques et surtout société civile se doit de répondre de toute urgence. Déjà plusieurs initiatives ont été lancées par plusieurs acteurs de la société civile, il s’agit de canaliser très rapidement ces initiatives. Le gouvernement vient d’annoncer le lancement d’une consultation et un dialogue national sur cette problématique. Ce n’est pas trop tôt.
Maher Kallel