Printemps arabe! Automne des femmes?
Nous vivons certainement une période historique avec toute la mouvance que vit notre pays depuis les évènements du 14 Janvier 2011.Mais qui paie le prix ?
En tant que psychiatres,nous avons constaté un changement au niveau du profil des patients qui consultent à notre hôpital. En effet, l'année 2013 a été marquée par une inversion du sexe ratio 0.87versus 1.23 en 2011le nombre de femme à notre consultation a nettement augmenté.
Le statut professionnel a aussi évolué :il y a plus de fonctionnaires et surtout d'enseignants et de soignants
La pathologie aussi a changé : beaucoup de dépression et d'anxiété. Une nouvelle catégorie de patients est apparue : ‘les détenus’ ; en effet, depuis le mois de novembre 2011 lesdétenus amenés aux urgences et à la consultation sont dix fois plus nombreux qu'avant. Leur souffrance est aujourd'hui entendue mais est-elle écoutée?
Le mode des tentatives de suicide a aussi changé. L'immolation est devenue le second moyen de tentative de suicide. Doit-on se taire devant cette triste évolution ? Même si elle ne semble pas inquiétante, elle doit être bien étudiée et analysée.
Les femmes sont menacées dans ce qui est le plus cher à leur santé mentale, à savoir, leur liberté! Liberté de mettre ses bambins dans une garderie ou jardin d'enfants, liberté d'accéder à un travail ou source de revenu, liberté de penser, liberté d'espérer pour elle-même et pour ses enfants; liberté d'être!
Oui, ce paravent qu'on a exhibé comme un modèle parmi les pays arabes est en train de prendre l'eau et de se noyer.
La mère a peur pour l'avenir de sa fille quelque soit son milieu; beaucoup n'osent plus sortir seules! On perçoit des regards haineux dans la rue. Les commentaires désagréables et insultants deviennent monnaie courante et se banalisent.
Pourquoi cette haine, entre hommes et femmes ? Pourquoi cette rancœur entre citoyens tunisiens sans parler des autres clivages nés depuis 2011. Enfin pourquoi cette incertitude par rapport à l'avenir qui normalement fait partie du cortège des symptômes dépressifs mais qui devient chez nous un sentiment normal! Oui, quoi de plus normal que d’être inquiet quant nous n'avons jusqu'à aujourd'hui aucune feuille de route,aucune date avancée quant aux futures élections présidentielles et législatives!!! Oui, inquiet quand la seule personne qui à ce jour a déclaré son désir de se présenter comme candidat aux élections a 86 ans, bien qu'il ait gardé sa vivacité d'esprit.
Avec tout le respect que j'ai pour cet homme charismatique, généreux et intelligent, il ne faut pas oublier que ce 14 janvier a été fait par des jeunes ! Où sont ils ? On ne les voit ni sur les écrans de TV, ni sur les tribunes des partis! On les entend rarement sur les ondes.
Néanmoins cet homme a le mérite de nous protéger nous femmes contre tout diktat. Les valeurs républicaines, les valeurs universelles et l'entité tunisienne qu'il vénère sont des normes qui favorisent la sauvegarde des acquis.
Les media et les plateaux des télévisions sont devenus anxiogènes. Ils ne sont faits que pour guérir les frustrations d'un silence coupable de 23 ans.
Arrêter de nous soûler avec vos analyses interminables et vos délires de persécution et mettez vous à table pour nous donner une constitution digne du pays de Bourguiba, de Farhat Hached, de Tahar Haddad …
La femme tunisienne a eu- c'est vrai- son émancipation sur un plateau offert par Bourguiba mais au jour d'aujourd'hui, chaque matin est pour elle un véritable combat qu'elle soit jeune, vieille, mariée,célibataire,étudiante, ou femme au foyer.
Elle doit se battre, elle travaille avec toute son âme et tout son corps. Elle est présente à toutes les manifestations; elle parle, elle crie fortement qu'elle aime son pays, son drapeau. Oui, elle aime son pays d'un amour qui lui fait mal. Elle se voit haïe dans la rue et constamment jugée quoi qu'elle fasse ! Non, elle n'est pas paranoïaque mais elle est déprimée par la médiocrité et la bêtise criardes des uns et le silence complice ou cupide des autres.
Cette dépression est vitale et c'est cette dépression qui sauvera la Femme Tunisienne car elle ne cédera pas sur sa LIBERTE, elle se battra et je terminerai par ce titre de Dalila Ben Mbarek : oui, elle "prendra les armes s'il le faut" pour que vive notre Tunisie.
Rym Ghachem Attia