Mansour Moalla: l'Union Nationale pour sortir de de la crise
Les élections du 23 octobre 2011 devaient permettre à la Tunisie de mettre fin à l’incertitude et d’engager le pays sur le chemin de la stabilité et du redressement.
Or depuis cette date, le pays a subi de nombreuses épreuves qu’elle n’arrive pas à dominer jusqu’à ce jour. Cela va de l’attaque de l’Ambassade américaine à celle du siège de l’UGTT jusqu’à l’assassinat de Chokri Belaïd. Chaque fois, le pays est traumatisé et les citoyens sont de plus en plus inquiets et terrorisés et cette évolution éloigne la perspective d’une transition démocratique et l’établissement d’une constitution unanimement acceptée. La raison est le peu d’efficacité des deux gouvernements qui se sont succédé durant les dix mois qui viennent de s’écouler dont sept ont été consacrés à un remaniement ministériel qui n’a pas abouti.
Aujourd’hui, cette inefficacité éclate au grand jour et ce qui se passe au Djebel Echaambi en est la preuve éclatante. Cette inefficacité découle notamment des préoccupations électorales des gouvernants. Ces derniers sont préoccupés surtout par une installation durable au pouvoir et sont ainsi obligés de recourir à l’utilisation politique de l’Islam et d’accaparer les moyens et les institutions de l’Etat pour atteindre leur objectif. Ils ont été élus pour un an pour uniquement établir une constitution : l’Assemblée Nationale Constituante s’est transformée en une instance parlementaire pour gouverner, légiférer et contrôler l’action du gouvernement. Il n’est donc pas étonnant qu’ils n’aient pas été capables, six mois après la fin de leur mandat, de parachever leur mission essentielle qui réside dans la promulgation de la nouvelle constitution. La mission essentielle est devenue en fait accessoire par la force des choses. Cette prolongation provient aussi de la volonté de détenir un pouvoir de fait et de s’en servir pour bien « préparer » les élections.
Ce comportement des gouvernants est préjudiciable à ces derniers qui y perdent fatalement leur crédit auprès des populations qui en ont assez de cet état permanent de trouble et d’inquiétude et qui auraient voulu avoir un gouvernement qui s’occupe de leurs problèmes réels concernant leur sort en tant que citoyens qu’il s’agisse du chômage, d’emplois, des salaires, des inégalités entre catégories et régions. Tous problèmes qui nécessitent la sécurité et le temps pour être réellement abordés et résolus sans compter aussi le dévouement et l’expérience. Le temps et le savoir-faire ayant été consacrés à la politique et aux élections et l’insécurité tendant à s’aggraver, le mécontentement se généralise et s’aggrave continuellement.
On ne peut mettre fin à ce processus destructif qu’en acceptant de limiter ou d’annihiler durant une période suffisante les objectifs politiques électoraux, idéologiques et confessionnels. Arrêtons ces querelles incessantes sur l’Islam qui souffre de ces controverses, arrêtons ces plateaux de télévision où la polémique l’emporte sur l’information et l’éducation politique, arrêtons les menaces proférées par des organismes violents considérés comme des milices de nature à faire peur et à inspirer la terreur, arrêtons l’occupation des mosquées par des prédicateurs politisés qui éloignent les fidèles des lieux de culte, arrêtons les violences verbales dans les réunions et les journaux ou à l’Assemblée de façon à sauver la réputation de nos députés. En un mot, instaurons le calme politique pour pouvoir traiter les problèmes de fond dont de toute urgence ceux de la sécurité et du chômage pour pouvoir s’atteler à relancer l’économie, à encourager l’investissement, celui des nationaux comme celui des étrangers, l’investissement étant le seul moyen de créer des richesses, donc d’augmenter la production de renforcer nos exportations, de contrôler nos importations, d’assainir notre balance des paiements et enfin de sauver notre monnaie nationale, le Dinar, qui souffre d’une inflation en continuelle progression.
On pourra alors aborder les grandes réformes qui commandent l’avenir du pays. Ces réformes concernent l’Etat, sa structure et des prérogatives de façon à décentraliser le pouvoir et à intéresser les populations concernées à leur sort ou réforme de la société de façon à réduire au maximum les inégalités entre individus et régions et ce au moyen notamment d’une révision fondamentale du statut de l’entreprise de manière à en faire une communauté capable de promouvoir ses membres et d’assurer l’harmonie en son sein et éviter grèves et troubles sociaux de toute sorte. Il s’agit par ailleurs de la Réforme de deux secteurs spécialement importants dans la vie du pays : il s’agit d’abord du système financier qu’il s’agisse de la fiscalité, des finances publiques, du secteur bancaire qui nécessite une profonde révision auprès des décades de routine préjudiciable pour le progrès du pays. Il s’agit enfin et surtout de la Réforme du système éducatif qui traverse une crise profonde au point que nos meilleures universités n’arrivent qu’au sept millième rang à l’échelle mondiale après celles de tous les pays du Maghreb y compris l’Egypte.
Un tel programme est plus exaltant que les querelles politiques et idéologiques. Nous rendrons un grand service au pays si nous acceptons de lui donner la priorité. Je dis bien nous, le problème concernant aussi bien le gouvernement que l’opposition. Le programme qu’on vient d’esquisser ne soulève pas de problème et tellement il s’impose de lui-même. Le choc menaçant déclenché dans la montagne la plus haute du pays peut devenir un bien précieux si devant un danger qui se précise, nous nous mettons ensemble à nous réconcilier et à donner la priorité absolue à ce programme de travail dont la réalisation exige beaucoup de calme, de sérénité et de dévouement à l’intérêt général.
Il faut rassembler toutes les bonnes volontés, comme le propose l’UGTT, aussi bien les partis politiques que les organismes de la société civile et créer un gouvernement de salut public, d’union nationale pour sauver le pays. Evitons les élections, on en a eu deux, octobre 2011 et octobre 2012. Elles n’ont pas réussi à calmer le pays et à le stabiliser. Bien au contraire. C’est que les problèmes qui se posent ne peuvent être abordés et résolus par une fraction du pays dont l’action sera certainement contrariée par une opposition qui, à son tour, veut arriver au pouvoir. Si c’est comme actuellement, un gouvernement dirige par Ennahdha, il aura à faire face à une opposition des autres partis et l’affrontement qui aura lieu portera tort au pays et aggravera la violence et l’instabilité. Si c’est l’opposition actuelle qui va détenir le pouvoir, l’opposition d’Ennahdha et de ses alliés voudra revenir au pouvoir et utilisera à cet effet tous les moyens à sa disposition et le pays en souffrira.
Le système « Majorité-Opposition » n’a pas fonctionné et ne peut pas servir à résoudre les problèmes provoqués par un bouleversement comme la Révolution intervenue le 14 janvier 2011. Les pays qui ont subi un traumatisme semblable ont eu recours à la formule de l’Union Nationale qui, seule, peut faire face à la situation en supprimant pour un temps les rivalités électorales et leurs conséquences ainsi que les promesses qu’on ne peut tenir. Le système Majorité, opposition n’a pas donné de résultats probants chez nous, ayant aggravé les rivalités et le discours violent. On ne doit pas s’entêter et poursuivre cette fausse route. L’Union Nationale au contraire permettra aux uns et aux autres de faire les concessions nécessaires en se limitant aux problèmes essentiels et dont la solution est attendue par tout le pays. Elle offrira aux dirigeants et leaders de l’opinion l’occasion de travailler ensemble et la satisfaction d’obtenir des résultats significatifs. Il est probable qu’on s’apercevra qu’il n’y a pas de réelles divergences entre les différentes parties au sujet des problèmes essentiels. Les divergences proviennent des doctrines adaptées par les uns et les autres et qui ne sont d’aucun secours pour la solution des problèmes en cours. La principale concerne la prétention « d’islamiser » le pays comme si les Tunisiens étaient des mécréants qu’il faut convertir ou anéantir. L’Islam tunisien existe depuis 15 siècles et ne constitue guère un problème s’il n’est pas pollué par les luttes politiques et électorales. Le meilleur service qu’on peut rendre à l’Islam est de le laisser évoluer tranquillement comme il le fait depuis des siècles. Il n’a été perturbé que par les détenteurs du pouvoir ou ceux qui veulent y accéder et qui en viennent à utiliser la religion pour y parvenir ou s’y maintenir. L’histoire nous apprend que ce mélange entre le pouvoir et la religion n’a produit que des malheurs et des catastrophes comme d’ailleurs les doctrines sociales qui ont engendré des dictatures comme celles de Hitler ou de Staline ou de France.
Il ne coûtera rien à personne, pour les quelques années d’union nationale, de se délester de toutes ces complications qui nous empêchent de progresser depuis plus de deux ans.
Si l’on parvient à un accord entre les différentes parties concernées sur l’union nationale et son programme, on pourra organiser un référendum pour faire approuver l’idée de l’Union et son programme. On pourra également établir une liste du gouvernement de l’Union désignant notamment le Chef de l’Etat et le Chef du Gouvernement et le Président de l’Assemblée Constituante. Qui continueront à fonctionner avec la petite constitution en attendant l’accord unanime sur la nouvelle constitution, accord qui sera plus facile à obtenir dans le cadre de l’Union Nationale. Ce référendum aura également à statuer sur la durée de la période de l’Union Nationale, celle de deux ans paraissant un minimum nécessaire et celle de 3 ans plus appropriée. Certains trouveront que c’est long et qu’on va perdre encore trois ans. Or on a palabré depuis déjà deux ans et demi et on risque de se disputer au sujet des élections, des lois y afférentes pendant encore peut être plusieurs mois. Si l’on avait institué ce système de l’Union Nationale depuis le 14 janvier 2011, on aurait aujourd’hui stabilisé le pays, redressé la situation et doté le pouvoir d’une constitution valable, mis en place les institutions et les lois nécessaires à l’établissement de la démocratie et au fonctionnement de ses institutions de manière à pouvoir alors nous permettre d’adopter le système Majorité-opposition sans grand inconvénient.
Cette période de l’Union Nationale nous permettra de mettre en place une structure politique susceptible de faire fonctionner les institutions démocratiques et de barrer la route à la dictature d’une personne ou d’une formation politique. La structure politique actuelle est déséquilibrée et n’assure pas une alternance au pouvoir qu’exige un système réellement démocratique et efficace. On a aujourd’hui encore une multitude de partis politiques dont certains, sans grande audience, ne peuvent guère assurer l’alternance. La scène est actuellement animée par l’existence de deux formations qui émergent : Ennahdha et Nida Tounes. C’est autour d’elles que devra s’effectuer le regroupement de manière à pouvoir assumer la direction du pays de manière responsable.
Chacune de ces deux formations, actuellement et sans la perspective de l’Union Nationale, pensent surtout à la manière d’éliminer « l’autre ». Mais personne ne sait exactement ce qui éventuellement sortira des unes. Il faut donc donner du temps au temps et laisser se faire les regroupements de manière rationnelle. L’opposition aujourd’hui cherche à se regrouper et à accomplir des progrès non négligeables. Mais il faut du temps pour que ce regroupement se consolide. Le parti Ennahdha est tiraillé entre plusieurs tendances dont certaines extrémistes et d’autres plus modérées. On verra à l’épreuve du gouvernement de l’Union Nationale comment la situation évoluera et si elle est parvenue à être un vrai parti politique et non une congrégation religieuse chargée de « l’islamisation du pays ».
Il y a donc une maturation politique et civique qui pourra se dérouler pendant la période de l’Union Nationale et qui, si elle est réussie, permettra à la démocratie de s’installer durablement dans le pays.
Venons-en maintenant au côté pratique du problème.
Deux personnalités éminentes et influentes dominent la scène politique et personnifient les deux grandes tendances de l’opinion. Ce sont des personnes expérimentées, l’âge aidant, et qui tiennent le sort du pays entre leurs mains. Elles doivent donner l’exemple et adopter l’Union Nationale et non se livrer à ce jeu de massacre qui consiste à éliminer « légalement » l’adversaire du moment.
On veut espérer qu’ils sont suffisamment sages et conscients pour mettre l’intérêt national avant celui de leur parti, surtout que l’intérêt de leur parti peut être mieux servi, dans la conjoncture actuelle, par l’Union Nationale que par la désunion et l’affrontement. On leur demande de ne pas être pressés pour éliminer électoralement l’adversaire d’autant plus que cette élimination n’est pas acquise au départ. S’acharner les uns et sur les autres pour aboutir à un échec et des élections négatives politiquement n’est pas une attitude raisonnable. Le parti actuellement au pouvoir aspire à y rester logiquement et à gouverner seul ou quasiment et pour se faire, il doit utiliser des moyens anormaux dont la violence, la tolérance des excès commis par des formations extrémistes, l’accaparement des moyens de l’Etat et de l’administration pour privilégier leur clan, et l’adoption d’un double langage pour éviter l’explication à donner au sujet des assassinats commis et des dérives intervenues.
Personne donc n’a un intérêt réel à se dérober à l’Union Nationale, ne sachant pas comment sera demain. Le pays par contre profitera de cette Union Nationale pour se stabiliser et progresser. Les deux grands responsables désignés ci-dessus ont aujourd’hui le devoir d’arrêter la médiocrité actuelle du jeu politique et de proclamer l’Union Nationale si comme on le croit ils aiment leur pays comme tous les Tunisiens.
Mansour Moalla