Journée internationale des Musées 2013: La Tunisie, toujours à la traîne
Pour la célébration de la Journée internationale des Musées (JIM) 2013, qui correspond, depuis 1977, au 18 mai, le thème retenu par l’organisme international qui patronne la manifestation se présente sous forme d’une équation aussi riche de sens que didactique : ’’Musée (mémoire + créativité) = progrès social’’. Cette décision du Conseil international des Musées (ICOM) ne peut pas être ignorée des autorités culturelles de la Tunisie où une section de l’ICOM, chétive et inaudible, est censée s’activer un tant soit peu à l’occasion des grandes manifestations. Mais le choix des autorités culturelles tunisiennes, depuis plus de vingt ans, de faire du 18 mai la journée de clôture du ‘’Mois du Patrimoine’’ ne souffre, semble-t-il, aucune remise en cause. Il a pour résultat d’occulter le thème auquel adhère l’ensemble de la communauté internationale. En cette Journée de communion universelle, l’isolement de notre pays est comparable à celui qu’il vit le 18 avril, Journée internationale des Monuments et des Sites convertie, sous nos cieux, en journée d’ouverture de l’intouchable ’’Mois du Patrimoine’’.
Le hors sujet total des musées tunisiens
Pour le 18 mai 2013, l’ICOM a préparé, comme chaque année, une affiche multilingue et un communiqué ; il a également fait état, sur son site Web officiel, des initiatives prises dans de nombreux pays, en rapport avec le thème de l’année. En Tunisie, l’affiche de l’ICOM est introuvable, aucune manifestation ciblée n’est annoncée nulle part. En dehors du temps, le Ministère de la Culture a programmé pour le 18 mai, dans l’hypercentre de la ville de Tunis, une manifestation musicale originale, en guise de clôture du ’’Mois du Patrimoine’’ qui a, cette année, pour thème ’’Le Patrimoine immatériel…symboles et mémoires’’. Les mélomanes tunisiens ont certes le droit et même le devoir de s’attacher au patrimoine musical de leur pays, mais les amis des musées ont autant de droits à célébrer, comme dans tous les pays, la journée dédiée aux institutions muséales de tout genre.
Le Musée national du Bardo a accueilli, le 10 courant, la Deuxième rencontre du Maghreb des Arts qui a été consacrée à une réflexion sur le parti que peut tirer l’Art contemporain de l’action des mécènes, des fondations et des associations culturelles. La manifestation, fort intéressante, était organisée par la Fondation Kamel Lazaar. Elle témoigne de l’ouverture louable du Musée national du Bardo, dédié pour l’essentiel à l’archéologie et plus particulièrement à la mosaïque d’époque romaine, sur l’art contemporain. Mais les comptes rendus des journaux n’ont fait état que de rares interventions qui ont cherché à faire le lien entre le patrimoine archéologique antique et la création artistique contemporaine. En ce sens, l’universitaire algérienne Nacéra Benseddik, éminente antiquisante reléguée contre sa volonté à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger, s’est distinguée par sa science, sa très large culture et son sens rare de la prospective. Mais rien de tout cela ne peut faire oublier le décalage entre le thème de la rencontre et la Journée internationale des Musées qui allait être célébrée quelques jours plus tard.
Le même musée qui célèbre, cette année, le 125ème anniversaire de sa création a programmé, en association avec le Musée du Louvre, une exposition de photos d’une qualité rare, provenant des fonds propres du Musée du Bardo et de ceux acquis récemment par l’Institut National de l’Histoire de l’Art (INHA) de Paris. Prises entre 1885 et 1915, les photos illustrent la progression des travaux d’aménagement du Musée au cours de ces années-là ainsi que des monuments et des sites tels qu’ils se présentaient à l’époque. Une bonne partie de ces documents est constituée de tirages réalisés à partir de plaques de verres d’une valeur inestimable.
Une célébration de l’anniversaire de l’ancien Musée Alaoui est un devoir particulièrement impératif par les tristes temps qui courent et l’organisation de l’exposition est une excellente initiative. Mais, encore une fois, quel rapport avec le thème de la JIM 2013 ? Les mondanités affichées dans les médias, à l’occasion du vernissage de l’exposition, peuvent-elles sensibiliser le grand public à l’originalité et à l’importance du Musée national du Bardo ? Peuvent-elles servir, un tant soit peu, la cause défendue cette année-ci par l’ICOM ? Il y a fort à parier, qu’en cette période d’examens de fin d’année scolaire et universitaire, les élèves et les étudiants ne se bousculeront pas pour aller admirer une exposition qui méritait une programmation mieux étudiée. En tout état de cause, le Musée national du Bardo, rénové et agrandi, à grands frais, au cours des dernières années, ne devait-il pas donner la priorité absolue, ces jours-ci, à la célébration de la JIM, en adhérant pleinement au thème retenu par l’ICOM ?
Et pourtant… que d’opportunités pour être en phase avec le thème de la JIM 2013 !
La mise en rapport de la mémoire et du développement, proposée dans le thème de la JIM 2013 ne pouvait mieux tomber pour la Tunisie. Notre pays n’est-il pas riche en mémoires de tout genre conservées, en partie, dans des musées aussi nombreux que variés? Ne souffre-t-il pas grandement d’un déficit en matière de développement, illustré d’une manière aussi criarde qu’explosive par le chômage des diplômés de l’Enseignement Supérieur? Ne peut-il pas, en conjuguant les efforts de toutes les parties concernées, réfléchir à la façon de mettre les musées au service du développement ? La réponse est triplement : oui.
Un état rapide des lieux ferait ressortir les potentialités fabuleuses qu’ont de nombreuses régions tunisiennes en matière de développement muséographique qui déboucherait sur le développement tout court. Les musées à réaménager comme celui de Mactar, à rouvrir comme celui de Bulla Regia, à créer comme celui de Haïdra ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Dans le volet du Patrimoine naturel, le champ d’action n’est pas moins large : les écomusées sinistrés comme celui du Lac Ichkeul ou désespérément cadenassés comme celui d’El Faïja peuvent faire l’objet d’une animation créatrice d’emplois très variés et pourvoyeuse de revenus considérables.
Au fil des décennies, il a été prouvé qu’en Tunisie, le problème des musées ne réside nullement dans le manque de moyens matériels. Beaucoup d’argent a été consacré aux musées, toutes catégories confondues, par l’Etat tunisien et divers partenaires étrangers et, si besoin il y a, les ressources financières ne seront pas difficiles à trouver. Les deux vrais handicaps tunisiens résident dans le domaine des ressources humaines et, plus encore, celui de la volonté politique. A titre d’exemple, notre ministère de la Culture ne peut faire état que de quelques rares restaurateurs qualifiés de biens culturels, pour la simple raison qu’il n’a jamais cherché à en former. Depuis des décennies, la formation des conservateurs des musées est érigée, de par le monde, comme une spécialité connue et reconnue. Mais combien de conservateurs de musées tunisiens peuvent se targuer d’avoir été réellement formés pour l’exercice de leur fonction ? La bonne gestion d’un musée, aussi minuscule soit-il, n’est-elle pas une responsabilité très lourde ?
Le Département de la Culture tunisien n’a toujours pas jugé utile de lancer un projet de grand musée dans l’Ouest du pays, qui corrigerait un tant soit peu le déséquilibre flagrant qui caractérise, depuis plus d’un siècle, la répartition des musées sur le territoire tunisien. Réalisera-t-il, un jour, l’importance du gisement d’emplois que comprennent des musées bien conçus et gérés correctement ? Est-il capable d’initier ou même d’accepter la proposition d’un vrai débat national sur les activités économiques et, d’une manière plus large, sur le développement de la société qui découleraient de ce qui serait réalisé dans et autour des musées attractifs.
Il se peut que l’équation sous la forme de laquelle se présente le thème de la JIM 2013 soit moins compréhensible qu’il n’y paraît, car chargée de concepts réduits d’une manière trop dynamique. Il est loisible aux parties concernées de la faire résoudre par des … mathématiciens.
Houcine Jaïdi
Université de Tunis