Peine de mort: Leurs positions
Moncef Marzouki
Président de la République provisoire
«Pour la peine de mort, la Tunisie est un pays abolitionniste de facto : l’une de mes premières décisions en tant que Président a été de commuer la peine de deux cents condamnés à mort en prison à vie, et personne n’a protesté. On se trouve dans cette situation particulière où les islamistes maintiennent leur point de vue en faveur de la peine capitale, mais admettent qu’elle ne s’applique pas.
Lorsque j’étais président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, j’avais déjà pu constater à quel point ma conviction n’était pas en phase avec l’ensemble de la société sur ce sujet. Un homme de la ville de Nabeul avait commis le pire crime possible, en violant et en assassinant treize enfants. Il avait été arrêté puis condamné à mort. La plupart des membres de la LTDH préféraient garder le silence, parce que le pays entier réclamait sa mort. Mais j’ai choisi de porter mon désaccord sur la place publique.
Dans la plupart des cas, ai-je alors avancé, la peine de mort était appliquée contre des adversaires politiques et, même s’il s’agissait cette fois d’un vrai criminel à mettre hors d’état de nuire, il n’était pas possible de la justifier : sans compter les possibles erreurs judiciaires qui devraient à elles seules motiver l’abolition de la peine capitale, il est avéré que celles-ci n’a jamais permis de dissuader les criminels. Le raisonnement était imparable, mais la tension a été terrible. Des gens m’ont craché dessus dans la rue, parce qu’ils estimaient que je défendais un violeur et un assassin.
Je continue à dire aujourd’hui à mes partenaires d’Ennahdha que l’abolition de la peine de mort est nécessaire même si la société n’est pas encore prête pour qu’on l’inscrive dans la loi».
In L’Invention d’une démocratie - Les leçons de l’expérience tunisienne, La Découverte, 2013
Rached Ghannouchi
Président d’Ennahdha
«Une âme pour une âme. Et celui qui menace la vie d’autrui doit savoir que sa vie est aussi menacée ».
Avril 2013, sur France 24
Nadia Chaabâne
Elue d’Al Massar à l’Assemblée nationale constituante
«Nous devons rompre avec cette pratique barbare, pour nous mettre en conformité avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, avec les principes d’une civilisation moderne, pour devenir le premier pays arabe à abolir la peine capitale»,
Saadeddine Zmerli
Ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme
«Militant des droits de l’Homme, je suis contre la peine de mort, un acte profondément inhumain. La peine de mort n’a jamais eu un rôle dissuasif. Le taux de meurtriers est le même dans les pays qui l’ont abolie et ceux qui continuent à la pratiquer. L’abolition de la peine de mort évite d’envoyer des innocents à la mort en cas d’erreur judiciaire. Les condamnés à la peine de mort pourraient être utilisés en ayant un rôle productif afin de ne pas être à la charge de la société. Garder en vie un meurtrier peut fournir des informations susceptibles de déjouer des actions dangereuses.»
Lazhar Karoui Chebbi
Ancien ministre de la Justice,
ancien bâtonnier des avocats
La peine capitale continue de faire débat entre juristes et sociologues. Certains estiment qu’il est obligatoire de l’appliquer toutes les fois qu’un jugement irrévocable a été prononcé, puisque le but de la peine est la dissuasion non seulement du coupable mais aussi des autres qui pourraient être tentés de commettre le même forfait. Etant entendu que le châtiment constitue l’un des moyens permettant l’instauration de la sécurité dans les sociétés.
D’autres plaident en faveur de sa non-application, arguant du fait qu’elle s’oppose au droit à la vie et ne dissuade en fait que le coupable une fois exécuté.
Chacun de deux groupes a ses propres arguments que cette tribune ne permet pas de passer en revue.
Je suis personnellement en faveur du maintien de la peine de mort pour les coupables contre lesquels elle a été prononcée suite à la confirmation de la perpétration de crimes épouvantables tels que l’homicide volontaire avec préméditation, ou le meurtre d’ascendants ou l’assassinat suite à un autre crime concomitant ou encore les viols.
Mais, je suis pour l’abolition de la peine capitale et sa commutation en prison à perpétuité pour les crimes à mobile politique, comme cela s’était passé il y a quelques années dans certains pays, parce que le coupable considère que, ce faisant, il agit contre l’injustice et la dictature.
Quoi qu’il en soit, la peine de mort est la plus élevée dans la hiérarchie des peines et ses conséquences sont irrattrapables puisqu’elle ôte à l’homme la vie, ce don de Dieu.
Tout cela ne saurait cependant justifier son abolition dans les crimes de droit commun susmentionnés, dans la mesure où ces crimes représentent la remise en cause de la sécurité générale et de la stabilité des sociétés.
Imed Daimi
Secrétaire général du Congrès pour la République
La peine de mort est un dossier très complexe du fait de ses ramifications tant philosophiques que politiques dans le sens général du terme; la politique n’étant pas autre chose que l’art de gérer les affaires de la Cité dans sa diversité ? De par le monde, ce sujet a suscité des divergences, et continue à le faire, au sein même des familles de pensées, pour ne pas parler des écoles idéologiques opposées. En Tunisie, pays où les affaires publiques et les « grands débats » qui concernent les orientations politiques de la société dans son ensemble ont été toujours refoulés, et dans les meilleurs des cas expédiés aux cercles restreints de débat entre «initiés-illuminés», la question de la peine de mort n’a jamais fait l’objet d’un débat public engageant toute la société tunisienne.
Prenant acte du constat d’absence de débat public sur la question de la peine de mort, et partant d’une profonde conviction que seule la dialectique entre dynamique sociale et institutions législatives de l’Etat est capable de refléter fidèlement l’esprit d’une nation et les idéaux qui l’animent, le CPR pense que la peine de mort ne peut pas être l’apanage des systèmes idéologiques tout faits ou des calculs politiques très temporaires. Au contraire, ce sujet dont les contours dépassent les vérités figées et les moules philosophiques ne peut être traité que dans le cadre d’un débat démocratique qui implique toutes les forces vives du pays et de la société. Par ailleurs, de par sa vocation méta-idéologique, le CPR renferme autant de positions sur ce sujet que de militants qui le composent et qui font sa principale richesse, soit la grande diversité synonyme de débat et d’échange. Cependant, ce qui est sûr, c’est que ses militants sont unanimes sur le refus catégorique de cette peine dans les affaires politiques, d’opinion ou de croyance.
D’un autre côté, il serait utile de rappeler que depuis son accès au poste de président de la République, le Dr Mohamed Moncef Marzouki, président d’honneur de notre parti, a pris soin de transformer toutes les sentences à la peine capitale en d’autres peines de réclusion. Auparavant, nous avons appelé à un moratoire sur la peine capitale afin de permettre le débat libre autour du sujet et de dégager la voie vers une prise de position engageant toute la société tunisienne. Bien évidemment, ceci était vain sous une dictature qui accaparait en même temps la réflexion que l’action au nom et à la place du peuple. Aujourd’hui, les horizons très vastes ouverts par la Révolution de la Dignité permettent au peuple tunisien, devenu libre de prendre en main son propre destin, d’ouvrir le débat public sur la peine capitale et d’exprimer sa position là-dessus, une position qui sera certainement à l’image de son esprit collectif, authentique et moderne.
Ahlem Belhadj
Pédopsychiatre, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates
Je suis contre la peine de mort pour plusieurs raisons :
1. L’humanité a atteint une étape de son évolution lui permettant de régler ses différends sans avoir recours à la violence. La violence suprême étant celle qui donne la mort
2. Le droit à la vie est un droit humain fondamental
3. Tuer un être humain indépendamment du motif est un acte barbare inadmissible
4. La faute est humaine par excellence. Le jugement est le fruit d’un travail humain qui peut être défaillant. La peine de mort est irréversible
5. L’être humain est également façonné par son environnement. Un emprisonnement associé à des mesures de réhabilitation, de rééducation et de prise en charge peut changer des criminels avérés
6. Je ne peux admettre l’idée qu’un être humain puisse se donner le droit d’ôter la vie à son prochain.
Cheikh Othman Battikh
Mufti de la République
Le Mufti de la République, Cheikh Othman Battikh, a bien voulu répondre à la question de Leaders sur l’abolition ou le maintien de la peine de mort et pour quelles raisons, en nous adressant le texte suivant. Pour ne pas trahir sa pensée, nous avons préféré l’insérer dans sa version originale, en langue arabe. Il y explique les fondements religieux de l’institution de la peine capitale, tout en faisant remarquer qu’il est loisible aux héritiers de la victime (ou à celle-ci si elle peut l’exprimer avant de rendre l’âme) d’accorder leur pardon et de se contenter d’une diyaa (une contrepartie financière).
Lire aussi
70% des Tunisiens sont pour le maintien de la peine de mort
La tendance mondiale à l'abolition en 2012
L'imagination de la mort : La peine capitale et la norme mondiale
Comment a été pendu le tueur en série de Nabeul
Leaders ouvre le dossier de la peine de mort: faut-il l'abolir?
Trois semaines en prison avec les condamnés à mort: Le témoignage choc de Samy Ghorbal
Am Hassen sera-t-il le dernier bourreau?