Opinions - 05.06.2013

Economie tunisienne ! Cave ne cadas*

Les différentes analyses nationales et internationales portant sur l’économie tunisienne montrent que la situation n’est pas au beau fixe. La révision des perspectives de croissance, que ce soit par la BAD, le FMI ou par le gouvernement lui-même ainsi que le dernier abaissement de la note souveraine de la Tunisie par Moody’s penchent dans ce sens et poussent à croire que les choses vont plutôt mal.

Rappelons que dans son dernier rapport « Perspectives économiques pour l’Afrique », la BAD (en collaboration avec le Centre de développement de l’OCDE, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, le Programme des Nations Unies pour le développement ainsi qu’un réseau de think tanks et de centres de recherche africains) prévoit une croissance de l’ordre de 3.4% en 2013 dans notre pays alors que dans des pays voisins comme la Libye et le Maroc, les prévisions s’élèvent respectivement à 15% et 4.6%.

Dans la même lignée, le FMI considère que le potentiel de croissance de l’économie tunisienne ne dépassera pas les 4.5% dans les années qui viennent (du moins jusqu’au fin 2014) alors que la croissance moyenne des économies maghrébines dépassera les 5% (6.1% en 2013 et 5.1% en 2014).

En plus de l’absence d’une vision politique claire ainsi que de l’insuffisance de la stabilité et de la sécurité -longtemps recommandées-, plusieurs analystes admettent que la faiblesse de la croissance en Tunisie est intimement liée à des problèmes économiques structurels. 

Plus clairement, on considère souvent que le modèle de développement actuel est arrivé au bout de son souffle et il faut, nolens volens, le repenser afin d’atteindre des taux de croissance élevés permettant de résoudre les problèmes de chômage, de disparités régionales et de pauvreté.

Comment donc éviter la chute de l’économie tunisienne et assurer son passage au rang des pays à revenu élevé ?

Notons de prime abord que dans une petite économie ouverte essentiellement dominée par les services marchands et l’agriculture -telle que la Tunisie-, les aléas naturels et les chocs internes et externes piétinent la croissance.

D’ailleurs, les performances enregistrées en 2012 (par rapport à 2011) dans le pays étaient principalement le résultat d’une saison agricole favorable et des entrées de touristes non négligeables. En revanche, le modeste démarrage de l’année 2013 (croissance estimée à 2.7% au premier trimestre) est en gros attribué à une demande extérieure en baisse et des investissements directs étrangers en bernes.

Il va sans dire qu’une restructuration de l’appareil productif du pays est indispensable. Plus particulièrement, et en plus d’une modernisation du secteur agricole et d’une mise à niveau du secteur touristique, la Tunisie doit baser sa croissance et son développement sur d’autres créneaux porteurs, créateurs de valeur ajoutée.
Le changement du modèle de développement tunisien pourra prendre plusieurs dimensions :
- Une dimension sectorielle : il s’agit d’un ciblage des activités à fort potentiel de croissance telles que les industries de transformation. On peut par exemple imaginer une expansion notable des industries chimiques dans la région du bassin minier, des agro-industries dans le nord-ouest et des industries de raffinage dans les zones côtières.
L’exemple de « l’éléphant » asiatique, l’Inde, où l’expansion visible des activités sidérurgiques au centre-est et l’essor remarquable des industries agroalimentaires au nord, est éloquent. 
- Une dimension régionale : il s’agit de mettre à niveau les régions défavorisées et de limiter la fracture territoriale constatée. Ceci passe inévitablement par la mise en place d’une infrastructure moderne, d’un effort d’éducation et de formation satisfaisant, d’une politique de revenu bien ciblée ainsi qu’une bonne planification de l’urbanisation.
L’exemple du « tigre » latino-américain, le Brésil, où l’intervention publique était très présente pour combler le déséquilibre existant entre le Nordeste et le reste du pays, est illustratif.
- Une dimension commerciale : il s’agit d’un ciblage des marchés à forte demande. En effet, continuer à parier sur l’Europe (dont les prévisions de croissance ne dépasseront pas les 1.1% d’ici 2014 selon l’OCDE) est une absurdité. On peut ainsi imaginer une réorientation commerciale vers les marchés maghrébins et africains, bénéficiant des avantages compétitifs de l’économie nationale.
L’exemple du « dragon » asiatique, la Chine, où le maintien d’un rythme de croissance soutenable tout au long des trois dernières décennies à travers une expansion des activités d’exportations et une présence quasi-continue sur plusieurs marchés émergents, est révélateur.
Quoi qu’il en soit, pour la Tunisie, un passage vers un nouveau modèle de développement ne peut réussir que lorsque sont réunies au moins trois facteurs :
- Des facteurs politiques où les solutions « consensuelles » priment sur les tiraillements idéologiques et le fantasme des politiques politiciennes.
- Des facteurs économiques où les problèmes liés au climat des affaires, à la flexibilité du marché du travail, à l’accès au financement, à la solidité du secteur bancaire etc, seront sérieusement analysés et traités.
- Des facteurs sociétaux où la voie de la raison et l’esprit de l’entraide devancent la logique du « chacun pour soi», où le travail syndical ne se déploie pas dans les frictions politisées et où enfin la société civile s’avère véritablement présente dans le processus décisionnel. 
 

* Locution latine qui signifie  "Prends garde à la chute"

 

Aram Belhadj
Doctorant, LEO, France
Enseignant universitaire, ISAEG, Tunisie


Tags : BAD   croissance   fmi   Moody's   Tunisie