Mourou et Ennahdha: un départ annoncé?
Cheikh Mourou n’a pas encore digéré l’humiliation qu’il a essuyée lors de la célébration du 32e anniversaire de la création d’Ennahdha, malgré les excuses de Ghannouchi et de Jébali. S’adressant samedi 15 juin aux militants réunis au palais des congrès d’El Menzah, le cofondateur du mouvement s’était prononcé de manière claire contre le projet de loi sur l’indemnisation de la révolution. « Les islamistes qui ont été pendant longtemps victimes d’injustices ont le devoir, aujourd’hui qu’ils sont au pouvoir, de protéger les libertés des autres ». Il n’avait pas terminé sa phrase que des protestions fusèrent de la salle. Ce n’est pas le premier clash entre le Cheikh et son parti. Déjà, en 1991, il en avait démissionné après l’affaire de Bab Souika. En octobre 2011, il se présentait sur une liste indépendante aux premières élections post-révolution. Tirant les enseignements de son échec, il est revenu à Ennahdha où il a été triomphalement élu vice-président par le congrès du parti.
Pourtant depuis un an, il a du mal à se reconnaître dans les positions d’Ennahdha. Il ne se sent plus sur la même longueur d’ondes que ses militants et ses dirigeants. Ce qu’il pense de Ghannouchi ? « Il se présente comme un homme de consensus, alors qu’en réalité, il ne l’est pas » (1). Ses rapports avec Ali Larayedh ? « Ceux d’un Chef du gouvernement avec un citoyen ».Seul Jébali trouve grâce à ses yeux au sein du parti : « Depuis un certain temps, mes idées sont proches des siennes (…) Il pourrait faire un bon président pour la Tunisie ». Par contre, il est plus chaleureux quand il évoque la mémoire de Bourguiba « un homme de grande envergure » et Béji Caïd Essebsi « il a encore à donner au pays ».
Isolé, incompris, ce sont les sentiments qui habitent Mourou et ce n’est pas l’incident du palais des sports qui lui fera changer d’avis. De plus en plus, ses prises de position font polémique. Ce qui l’oblige souvent à se rétracter, comme ce fut le cas avec l’interview à la revue Marianne où il avait tiré à boulets rouges sur tout ce qui bougeait au sein du parti, mais a dû démentir avoir tenu de tels propos devant le tollé qu'ils ont provoqué. L’incident du palais des sports sera-t-il la goutte qui fera déborder le vase ? Mourou veut se donner le temps de réfléchir. Le fait d’entrer au parti, puis de le quitter après un an, ne serait pas du meilleur effet. « Ma décision sera prise à la lumière des évènements. Ce qui me déterminera, c’est l’intérêt du pays. Ce que j’ai dit au palais des congrès et qui a été mal accueilli va dans ce sens. Les personnes qui étaient présentes m’ont écouté avec des oreilles qui n’acceptaient pas l’avis contraire. Il est dangereux que le dialogue soit rompu au sein d’un même mouvement ».
Il reste qu’au sein de son parti, rares sont ceux qui souhaitent son départ, même si ses positions commencent à à agacer. «Ce qu'on peut reprocher à Cheikh Mourou, commente un militant de la première heure du mouvement, ce ne sont pas ses opinions, mais le fait qu'il donne l'impression de chercher coûte qu coûte à quitter le bateau avant que le vente ne se lève».
(1) Les citations sont tirées d'une interview du Cheikh Abdelfattah Mourou au journal Ettounissia (numéro daté du 17.6.13.
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