News - 22.06.2013

Fraude fiscale: Comment la réduire ?

Combien coûte la fraude fiscale aux finances publiques en Tunisie? Son ampleur s’est-elle accrue depuis la révolution et comment l’atténuer ? S’il est difficile d’évaluer avec précision les montants soustraits, d’une manière ou d’une autre, aux redevances fiscales, l’état des lieux dressé par l’administration fiscale est édifiant. Pas moins de 60 bureaux ont été incendiés lors du déclenchement de la révolution. Par qui? «Par ceux qui, sans doute, voulaient faire disparaître leurs propres dossiers et des fichiers probants»,  affirment plus d’un.

Les 3 500 agents affectés au traitement de 644 248 dossiers de redevables, dont
39 497 (61.3%) relèvent du régime forfaitaire, ont réalisé à travers les opérations de vérification et de contrôle approfondi un rendement de 991,760 MD en 2012. Un montant qui renoue avec la croissance, après la chute enregistrée l’année d’avant. C’est ainsi que de 854.510 MD en 2010, l’année 2011 n’a produit que 664.650 MD. Voyage au cœur du système.

On ne franchit pas sans appréhension le seuil du 93, avenue Hédi-Chaker, à Tunis, siège de la Direction générale des impôts. Tout contribuable, personne physique ou morale, a toujours le sentiment d’y subir l’inquisition des enquêteurs qui finiront par  trouver une faille dans ses déclarations les plus sincères, tant la fiscalité est complexe et compliquée. Ce sentiment se trouve nourri pendant de longues années par le harcèlement politique et celui des clans, jadis exercé avant la révolution. Le contrôle approfondi avait été souvent utilisé comme un moyen de pression très fort contre les militants politiques et les concurrents économiques. Que de dossiers étaient ficelés d’avance pour accabler les adversaires ! Tout cela doit relever du passé. C’est ce qu’on nous affirme, du moins.

Rendement des services du contrôle fiscal

 

Nature des interventions

2010

2011

2012

Decouvertes

1,43

1,80

1,06

Non respect des obligations fiscales

390,96

243,40

413,45

Défaut de déclaration

2,48

0,75

1,16

Vérifications acquiescements

88,36

143,80

75,92

Contrôles approfondues

146,73

149,15

272,47

Total arrangements

629,96

538,91

764,06

Total général (arrangement, jugements et non oppositions)

854,51

664,65

991,76


Au cinquième étage, le directeur général des impôts, Riadh Karoui, promu à ce poste en juillet 2011, fort de 25 ans d’expérience, ploie sous le poids des dossiers à traiter. Ce fiscaliste diplômé de Paris-Dauphine avait fait ses premières armes en tant que vérificateur au sein de la Mission mobile de vérification, le corps d’élite de la maison qui a attribution sur l’ensemble du territoire, avant de gagner en grades et fonctions jusqu’à assurer la charge de directeur régional à Bizerte, puis à Tunis. Un parcours qui l’a plongé au cœur du dispositif.

Lourdes charges et moyens réduits

Sous ses ordres, les 3 500 agents se répartissent entre l’Administration centrale (200), la Mission mobile (138), la Direction des grandes entreprises (54), les 27 centres régionaux, 151 bureaux locaux et 3 bureaux de garanties (Or). Les moyens mis à disposition sont bien modestes : 1 voiture pour 16 agents et 1 ordinateur désormais pour 3 agents, alors qu’il était pour 7 agents, il y a un an seulement. Quant au volume du travail, il est immense, tant par le nombre de dossiers de redevables (644 248), que de déclarations annuelles (plus de
2 millions) et d’attestations à délivrer (plus de 366 000). Rien que cette dernière tâche est absorbante. C’est ainsi que si 48% des effectifs sont affectés aux vérifications et contrôles, les 52% autres remplissent des tâches administratives, notamment celles de ces attestations, en fait pas toutes indispensables.

Un autre indicateur de déséquilibre flagrant mérite d’être relevé. Les crédits de rémunération s’élèvent en 2012 à
69.7MD, alors que ceux de fonctionnement ne sont que de 6.2 MD, et que les crédits d’investissement sont fixés à 3.0 MD. La norme internationale en la matière consiste à équilibrer à 50-50 les frais de rémunération et ceux de fonctionnement et d’investissement, surtout avec la nécessité de développer de nouvelles applications informatiques, de renforcer la bureautique, les moyens de transport et les différents outils d’investigation.

Détecter les discordances

La découverte de l’état des lieux est intéressante pour comprendre le fonctionnement de l’administration fiscale. Derrière leurs écrans, les vérificateurs suivent attentivement les dossiers de redevables dont ils ont la charge. Première opération :  vérifier si les déclarations sont déposées dans les délais impartis. Le taux, en fait, pour les déclarations annuelles est très faible, ne dépassant pas les 40%. Après de multiples relances, il se hissera à 57% mais demeurera encore en decà des normes. Commence alors la chasse aux discordances, en vérifications préliminaires  puis, si nécessaire, en contrôle approfondi.

Le nombre des vérifications préliminaires qui était de 23 000 en 2008 a connu une chute vertigineuse compréhensible en 2011 en se limitant à 2 200 seulement. Une reprise a été enregistrée avec 4 500 vérifications.

Il en a été de même pour ce qui est des contrôles approfondis qui ont baissé de 2 800 en 2008 à 1 264 en 2011 et n’ont repris qu’à 986 en 2012. Bien que ralentie, la traque de la fuite fiscale n’a pas cessé. Ce que beaucoup ne savent pas, c’est que le déclenchement des contrôles reste réservé au chef de bureau et n’appartient pas aux agents. Ceux-ci signalent à leur hiérarchie les cas qu’ils jugent nécessaires de vérifier, mais la décision finale revient au chef de bureau.

Fraude classique, poussée et internationale

Il y a d’abord ce qu’on peut considérer comme fraude classique, les incohérences apparentes par rapport aux précédentes déclarations : la différence peut trouver son explication dans une conjoncture particulière comme elle peut aussi se révéler frauduleuse.

D’autres pratiques plus poussées éveillent l’attention. Parmi les critères de mise en vérification figurent en effet la retenue à la source, l’enregistrement des actes (contrats, ventes et achats, prise de participations, acquisitions de biens, etc.), les marges qui sont considérées faibles par rapport au type d’activité et/ou à l’exercice, les résultats négatifs prolongés, les crédits de TVA non justifiés ou non appropriés à l’activité, etc., le tout avec les recoupements grâce aux différents moyens dont dispose l’administration.

Qu’en est-il de l’évasion fiscale, surtout vers l’étranger ? Sa détection est plus difficile. L’information fiable n’est pas toujours disponible et la technicité de fraude est beaucoup plus grande. On joue souvent sur la notion de résidence, les prix des transferts avec gonflement des charges et d’autres subterfuges. Dans ce domaine, la coopération internationale, surtout avec l’OCDE, est très utile. Quant à la question de l’arbitrage, consignée dans la plupart des accords d’investissement  en Tunisie, elle ne manque pas de poser problème tant ses frais sont onéreux et difficiles à prendre en charge.

Des impératifs de plus en plus urgents

Pour revenir à l’estimation du coût de la fraude, certaines méthodes consistent à analyser des agrégats du PIB pour essayer de la cerner, mais de manière très approximative, surtout avec le nombre très élevé des exonérations fiscales consenties. Ce qui serait urgent d’entreprendre, c’est précisément d’auditer ces exonérations pour évaluer, au titre des dépenses fiscales, la pertinence de tous les régimes dérogatoires. Mais il n’y a pas que cet audit qui est indispensable dans les plus brefs délais. La multiplication des intervenants dans le processus fiscal, l’accélération du recouvrement, le renforcement des moyens, le perfectionnement des agents, le développement de nouvelles applications informatiques et toute une nouvelle philosophie, qui sous-tendra une stratégie innovante constituent autant d’impératifs.
 

Tags : Fraude fiscale   Tunisie