Le remède contre la vie chère: Taoufik al Hakim (1898 - 1987)
Entre 1946 et 1951, Taoufik al Hakim publia un certain nombre de savoureux billets d’humeur repris par la suite sous le titre La Canne du sage…dans ce bas monde …et dans l’au-delà dans la collection mensuelle des fameux petits livres de Dar al Hilal.
«Ma canne, dit en substance notre chroniqueur, est bien plus fidèle que mon âne…qui m’a quitté pour s’adonner à la politique… laquelle s’en est complètement emparé».
La cherté des prix est encore d’une brûlante actualité chez nous aussi et les prix ne montrent aucun signe de relâchement… en dépit de la visite de M. Jebali à Fondouk al Ghala, malgré les efforts de MM. Mohamed Ben Salem et ceux de M. Ali Laârayedh. Aucun signe de relâchement des prix à l’horizon… Au fait, pourquoi nos politiciens ne demanderaient-ils pas à l’astucieuse canne de Taoufik al Hakim des conseils ?
La canne dit:
«Les gens ne parlent plus aujourd’hui que de la cherté de la vie… ce mal incurable qui donne la migraine et décourage toutes les bonnes volontés lorsqu’on cherche un remède pour le traiter… N’aurais-tu pas un traitement?»
Je répondis :
«Cherchons d’abord l’origine du mal… loin des théories des savants et des experts… En réalité, il ne diffère guère des autres affections dont on disait jadis : «La gloutonnerie est à la racine du mal et la diète en est le premier remède.»… Quelle que soit la pression des raisons économiques ou autres, ce qui impacte les marchés et fait grimper les prix est essentiellement entre nos mains , ou plutôt dans nos ventres… La viande, le pain, les fruits et le riz ne verront pas leurs prix baisser de manière significative tant que nous voulons les voir quotidiennement sur nos tables…
L’avidité du producteur comme celle du marchand répondent à celles de l’acheteur et du consommateur… Et voici une expérience qui le prouve avec preuves à l’appui… Lancez, ô consommateurs, une campagne d’envergure ; utilisez la presse et la radio ainsi que tous les moyens de diffusion pour définir et cataloguer tous les types de mets et de repas, pour toutes les bourses et tous les foyers… Conseillez de ne pas manger, par semaine, les fruits plus de deux fois, la viande plus de trois fois, le riz pas plus de deux ou trois fois. Pour la table comme pour l’habillement, déclarez la guerre au gaspillage, à la dilapidation et au luxe. Faites en sorte que la sobriété et la simplicité deviennent populaires et je ne dis pas austérité et ascétisme comme le font les Anglais depuis deux ans. Ils ont non seulement réussi dans la lutte contre la vie chère mais ils sont parvenus aussi à vaincre leur crise financière… Faites-le et vous serez le témoin d’un miracle ! Les bedaines fondront comme neige au soleil ; l’embonpoint, le diabète et l’hypertension diminueront. Les prix s’orienteront alors à la baisse, les poches se garniront et le riche nourrira le pauvre.»
La canne dit :
« C’est bien vrai… Il ne sert à rien de lutter contre la vie chère si on ne s’occupe pas de nos panses et de notre train de vie… Le client sobre fera mordre la poussière au marchand âpre au gain…. »
Traduction
de Mohamed Larbi Bouguerra