"Les Égyptiens ont refusé l'archaïsme"
«Ça n'a rien à voir avec un coup d’État. Le peuple est exclusivement à l'origine de cette «révolution». », l'écrivain égyptien, Khaled Khamissi était ce jeudi l'invité de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. «La destruction de l'Etat, «l'amalgame entre la politique et la religion» «la laïcité», « le ras-le-bol de la population» : ces thèmes ne vous rappellent-ils pas nos débats dans les medias, à l'ANC. Pourtant Khamissi évoque dans son interview les griefs de ses compatriotes contre Morsi et son gouvernement. Qui a dit que l'Egypte n'est pas la Tunisie ? Reste à savoir si les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Une révolution ou un coup d'état ? Un coup d'état au nom de la démocratie : comment le croire ?
"On ne peut pas le croire ! Ça n'a rien à voir avec un coup d'état, c'est une révolution claire et nette ! Depuis des semaines, les égyptiens se révoltent, plus de 22 millions d'égyptiens ont signé un formulaire de rébellion contre Morsi ! Comment peut-on parler de coup d'état ?
Une fois que l'armée a fait ce travail, va t-elle rentrer dans ses casernes ou va t-elle jouer un rôle politique ?
"Qu'est-ce qui s'est passé en 2011 ? Le conseil suprême de l'armée a pris le pouvoir, l'Europe a parlé d'une révolution ! Aujourd'hui, l'armée donne le pouvoir à la Cour constitutionnelle suprême, et on parle d'un coup d'état ! Quel malheur de parler comme ça !"
Comment des millions d'égyptiens se sont donnés le mot pour descendre dans la rue et se battre jusqu'à la victoire ?
Je dois être un peu chauvin quand je dis que le peuple égyptien est un grand peuple, qu'il a 7.000 ans d'histoire. Pendant un an, les frères musulmans au pouvoir ont essayé de démolir les institutions de l’État moderne en Égypte : les Égyptiens ont dit non, on ne peut pas accepter de démolir les institutions de l’État moderne. Dès le début, toute idée archaïque des Frères musulmans a été refusée par le peuple égyptien !
Tout le monde en Europe était convaincu de l'emprise des religieux sur la société égyptienne : aujourd'hui ils rejettent les Frères musulmans et l'islamisation en cours...
L'idée que les Frères musulmans sont compétents et organisés est un mythe ! Rien à voir avec la réalité ! Aujourd'hui, tout est clair, j'espère ! Le trajet des Frères musulmans a été catastrophique pendant toute l'année ! J'espère que c'est un message aussi pour les Tunisiens : je vous garantis qu'hier, s il y avait plein de pancartes dans les rues pour dire « Frères tunisiens, écoutez-nous, cette idée des Frères Musulmans, d'Ennahdha, ça ne peut aller que vers la catastrophe ! »
Cela veut-il dire que les égyptiens estiment que la modernité passe par la laïcité ?
Vous ne pouvez pas imaginer : pendant ces trois derniers mois, en parlant avec les gens dans les rues, j'ai découvert que tout le monde est laïque ! C'est très clair dans leur tête que cette idée d'amalgame entre religion et politique ça ne peut pas marcher ! Je ne peux pas vous dire combien de fois j'ai parlé avec des gens, et tout le monde me dit ça aujourd'hui ! Naturellement je ne peux pas nier qu'il y a tout un courant très proche des idées islamistes jusqu'à aujourd'hui, mais ça reste à un pourcentage qui ne peut pas dépasser les 20% à mon point de vue...
N'y a t-il pas de risque de guerre civile et religieuse ?
Parler de violences, oui. Parler de guerre civile, non. Nous sommes l’Égypte ! Cet Etat existe depuis 7.000 ans, nous n'avons pas réellement connu de guerre civile, il n'y en aura pas. Cette idée, malheureusement, est courante. On fait l'amalgame entre les peuples : nous sommes l’Égypte. On peut parler de violences, certainement. Nous allons connaître malheureusement quelques violences dans les prochains jours..."
L'armée a renversé Morsi : mais ne peut-on pas dire que ce sont ses échecs, son incompétence et une situation économique qui l'ont abattu ? Insécurité qui augmente, corruption, pauvreté, tourisme qui ne marche plus...
"Je ne peux pas du tout nier ce que vous avez dit. Mais ce qui est beaucoup plus important, c'est cette idée de l’État moderne, de la société civile. Cette idée que nous avons vécu un processus de démolition de l’État moderne égyptien. C'est ça, je crois, qui a fait bouger les gens..."
Vous réclamez des élections présidentielles anticipées. Comment peuvent-elles avoir lieu dans ce climat ?
"Je ne vois pas du tout une agitation dans les prochaines semaines... Nous avons eu un processus révolutionnaire, nous avons dit des milliers de fois que la révolution n'a pas cessé depuis 2011, qu'elle a été confisquée par les conservateurs... Il était totalement logique qu'elle continue à se développer aujourd'hui..."
Est-ce la fin des secousses du printemps égyptien, sommes-nous au terme de la révolution démocratique de l'Egypte ?
"Personne dans le monde ne peut répondre à cette question. Si ça marche dans les prochains mois comme on le sent aujourd'hui, ça va aller dans la bonne direction..."
Le soulèvement du peuple égyptien aura des conséquences sur tout le monde arabe qui est en train d'observer, non ?
"Je crois ! J'espère ! J'espère que ce sera un message clair et net pour tout le monde arabe ! Que la laïcité, c'est la voie à suivre! Que l'islam politique ne fait que le désastre !"
La leçon : on islamise pas une société malgré elle, on sépare religion et politique et on ne force pas un peuple...
"Exactement ! Nous avons commencé par signer des formulaires de rébellion contre les Frères musulmans, et les Tunisiens ont commencé à le faire..."
Les Tunisiens depuis la chute de Ben Ali ne se sont jamais laissés faire... On voit à travers l’Égypte qu'il faut observer, sans ingérence, les peuples eux-mêmes règlent leurs problèmes...
"Exactement !"