Hakim Karoui : « Il n'y a pas eu complot ! » en Tunisie
« Je n’ai pas de preuve, mais je pense qu’il n’y a pas eu de complot » a estimé Hakim Karoui, fortement présent lors du déclenchement de la révolution du 14 janvier 2011 au côté de l’ancien Premier ministre Mohamed Ghannouchi. « L’UGTT a bien joué son rôle, ajoute-t-il lors de son témoignage pour l’histoire, samedi à la tribune de la Fondation Temimi, amplifiant l’information sur l’immolation de Bouazizi et lui conférant une grande symbolique. Il se peut aussi que dans l’appareil sécuritaire certains ont refusé de jouer le jeu de la répression, qu’aussi des coups de fils se soient passés, surtout le vendredi après midi, entre Tunis et Paris, Tunis et Washington, mais pas de complot ».
En appui à sa thèse, Karoui évoque nombre d’indices citant particulièrement les dispositifs d’évacuation d’urgence des ressortissants du pays impliqué dans le complot, et autres.Dans l’hypothèse de la France, cela aurait porté sur des milliers de personnes. « On prête souvent aux politiques plus d’intelligence qu’ils n’en ont, ajoute-t-il. En fait, faute d’éléments précis, on se construit des explications et alors donne libre cours à son imagination».
Pendant plus de 45 minutes, Hakim Karoui était revenu avec précision sur les circonstances dans lesquelles il avait été sollicité pour écrire une lettre à Ben Ali, alors qu’il y avait risque de carnage, début janvier lui demandant «de virer sa famille, renvoyer ses conseillers et engager un processus démocratique ». « A l’époque, personne n’osait le lui écrire, rappelle-t-il. Je n’étais pas héroïque, j’étais à Paris. Je ne doutais pas qu’il y avait dans le système des jusque-boutistes ». Il détaillera ensuite son rôle au côté de Ghannouchi du 19 au 24 janvier 2011 (nous y reviendrons dans un prochain article).
Penser intérêt général, erreurs de tempo et se serrer les coudes
Ce qu’il retient le plus, c’est trois points essentiels. Le premier, c’est cette incapacité à penser intérêt général et du coup, tout est interprété selon l’intérêt personnel ». En bon Normalien rompu aux débats philosophiques, il pose la question : mais qu’est-ce que l’intérêt général ? Le deuxième point est celui du tempo. Dès les premiers jours, pour ne pas dire les premières heures, il y a eu une série de mauvaises appréciations du tempo approprié et c’est ainsi que nombre de décisions stratégiques étaient en déphasage. Les exemples sont nombreux : la première interview télévisée de Mohamed Ghannouchi et la conférence de presse du ministre de la Justice pour annoncer les arrestations, toutes deux reportées, malgré l’urgence, le rôle du Pr Yadh Ben Achour, président de la commission chargée de la révision de la Constitution qui aurait dû ne pas se limiter à son équipe seulement, mais se constituer en secrétariat juridique d’une large consultation, etc.
Troisième point évoqué, les institutions et l’Etat ainsi que l’intérêt général qui doivent constituer la ligne directrice pour tout et pour tous ». Rappelant la définition selon laquelle « l’Etat détient le monopole de la violence », pour ne pas tomber dans la violence de tous contre tous, Hakim Karoui a insisté sur la nécessité de re-légitimer l’Etat pour lui permettre de reconquérir ses fonctions et s’approprier seul la violence, évitant ainsi au pays les tensions et incidents qui y sévissent.
Après une rapide évocation de la situation économique qui exige une relance immédiate, il a indiqué que « le pays tout entier doit se remettre sur les rails en se serrant les coudes plutôt que de s’invectiver. Le plus urgent pour lui et de se réconcilier avec le passé et avec les gens honnêtes et d’envisager l’avenir avec conviction ».