Noureddine Bhiri: Quel rôle joue-t-il à la Kasbah?
Chef de gouvernement bis? Mais quelles réelles fonctions Noureddine Bhiri, nommé «ministre-conseiller auprès du chef du gouvernement», exerce-t-il à la Kasbah? Les médias le montrent aux côtés d’Ali Laârayedh lors d’audiences officielles, mais aussi présidant des réunions ministérielles ou recevant des délégations. Un nouveau statut auquel les membres du gouvernement, la haute administration et la classe politique n’étaient pas habitués, mais qui se forge de jour en jour. Il a bien accepté de l’expliquer à Leaders, mais commençons par un bref rappel instructif.
A mi-parcours, le gouvernement de Hamadi Jebali en avait déjà pointé la nécessité. Formé de représentants de partis de la Troïka et d’indépendants, il avait souffert du manque de cohésion générale, de coordination et de concertation entre les différentes équipes, dans la préparation des dossiers et leur suivi. Il y avait certes de bonnes individualités, mais avaient-elles su évoluer ensemble en équipe soudée, dans une parfaite synergie?
La surcharge du travail, la multiplication des urgences et les longues discussions n’étaient pas sans générer des retards. Le manque d’un suivi rigoureux, pour la relance et l’aboutissement réussi s’était aussi fait ressentir. Jebali en avait pris conscience et envisagé de s’adjoindre un coordinateur à même de le décharger de certaines tâches et d’animer l’équipe. Le nom de Mohamed Ben Salem, ministre de l’Agriculture, avait alors circulé.
Fort de ces enseignements, Ali Laârayedh a tenu, en composant son gouvernement, à créer cette fonction, réussissant à convaincre Noureddine Bhiri, qui était à la tête d’un ministère régalien, la Justice, de l’accepter. Pendant les premiers jours, il fallait trouver les repères, mais rapidement et avec sa fluidité naturelle, Bhiri a mis tout le monde à l’aise, loin de tout formalisme ou protocole.
«Avant, dit-il à Leaders, Ben Ali décidait de tout, tout seul, et chargeait les ministres de l’exécution, ce qui ne peut plus être le cas aujourd’hui. Il n’y a pas de décisions préétablies: tout est mis sur la table, ouvert au débat. Nous avons besoin d’un travail en équipe avec une nouvelle vision. C’est pourquoi nous devons élargir la concertation, en y associant pleinement l’administration et toutes les parties concernées, approfondir l’examen des dossiers sous tous leurs aspects et confectionner ensemble les propositions qui seront soumises à la décision du chef du gouvernement. Le dernier mot lui revient».
Au fil des semaines, le système se met en place. L’activité à la présidence du gouvernement a été structurée en trois grands pôles. Le premier, chargé des affaires politiques et sociales, englobe également les relations avec l’Assemblée nationale constituante, les institutions, les partis, les organisations et la société civile, les questions relatives aux droits de l’homme et à la communication. Il est conduit directement par Noureddine Bhiri. Le deuxième, axé sur l’économie et la finance, est animé par Ridha Saidi, Riadh Bettaieb et Slim Besbès. Quant au troisième, administratif et juridique, il est chapeauté par Mohamed El Amri. Le secrétaire général du gouvernement ainsi que les conseillers et autres membres du cabinet sont en appui, selon les dossiers à leur charge. Le travail s’organise en deux briefings hebdomadaires du cabinet, en début et en milieu de semaine. Dans ces réunions, où toute l’équipe est rassemblée, on passe en revue les différentes questions à l’ordre du jour, on actualise l’agenda et on fixe les objectifs précis de la semaine. S’enchaînent ensuite les réunions ministérielles et les conseils interministériels, avec ou sans la présence du chef du gouvernement ou celle de Noureddine Bhiri. Le Conseil des ministres vient ponctuer l’ensemble. La formule commence à porter ses fruits : des décisions longtemps en souffrance sont débloquées, ce qui a permis d’apurer tous les arriérés, le traitement des nouveaux dossiers se fait plus rapidement et l’action gagne en efficacité, bien que la tâche soit très lourde, surtout avec le surgissement ici et là de nouvelles crises à prendre en charge et gérer convenablement.
Les bénéfices sont partagés : le chef du gouvernement épargne ainsi un temps précieux qu’il peut consacrer à plus important et dispose de dossiers bien préparés qui bénéficient de l’accord général. Les ministres, comme les conseillers, voient leur mission facilitée et leurs dossiers avancer plus rapidement. Quant à Noureddine Bhiri, il en tire une bonne expérience.
«Quand on est à la tête d’un ministère, nous dit-il, on s’approfondit dans le domaine spécifique. Se retrouver dans ce grand carrefour qu’est la Kasbah, c’est prendre conscience de l’interdépendance des dossiers, et réaliser l’importance de leur apporter un traitement global qui tienne compte de toutes leurs dimensions. Cet élargissement des horizons et cette meilleure connaissance de différents domaines et enjeux sont enrichissants. L’essentiel est de bâtir des rapports de confiance, de débloquer les situations les plus difficiles, de trouver des solutions et de travailler harmonieusement avec tous les mécanismes qui se mettent en place dans le cadre de la transition». Parfois en stratège, parfois en logisticien, souvent en pompier, mais toujours en facilitateur, comme il préfère définir son rôle, il fait avancer la roue.
T.H.