Tahar Ben Hassine, l'Irakien
Après "l'opération persil", voilà que Tahar Ben Hassine se rappelle au bon souvenir de ses compatriotes avec une nouvelle initiative qui révèle un art consommé de la communication : il offre l'hospitalité à Ettounissia (suite à son différend avec Slim Riahi) sur sa chaîne tous les soirs à partir de 22 heures.
Qui est Tahar Belhassine ? Etudiant en médecine, il se voyait terminer sa carrière toujours en blouse blanche au chevet de ses patients. L’engagement militant en décidera pour Tahar Ben Hassine, autrement. Sur ses papiers d’identité comme ses diplômes délivrés, figure en fait un autre nom : Tahir Hussain. Secret d’une vie.
De sa Chebba natale, entre Mahdia et Sfax, il n’y a vécu que sa toute prime enfance, avant de la retrouver plus tard. Son père, cultivateur, avait rallié les jeunes nationalistes destouriens pour partir, en 1948, combattre en Palestine. De retour, il se dédiera au mouvement nationaliste puis accédera, après l’indépendance, à un emploi civil, au ministère de la Défense. La famille s’installera à La Manouba. Tahar réussit brillamment ses études secondaires et s’inscrira en médecine. Son camarade Brahim Razgallah le fera adhérer à Perspectives, dès 1965. Pour ne plus s’arrêter de faire de la résistance. Impliqué dans le procès des 212, en 1968, il est condamné à 9 ans et six mois de prison et le voilà incarcéré à Borj Erroumi, avec toute la jeune élite progressiste décapitée. Les affres de ce bagne ne sont plus à rappeler. Il y passera deux ans et demi avant d’être remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire à Mahdia. Privé d’études et de travail, il devait pointer matin et soir au poste de police. «Autant me remettre en prison», écrivait-il alors au ministre de l’Intérieur de l’époque, Ahmed Mestiri. En vain.
Champion de Tunisie d’athlétisme, ça sert beaucoup
Il ne lui restait plus qu’à quitter clandestinement le pays et il sera alors le premier de ses camarades de lutte à y parvenir. Ce 5 décembre 1970, dernier pointage au poste de police effectué en fin de journée, des amis l’emmèneront jusqu’à Ben Guerdane, tout près de la frontière libyenne. A pied, il commencera, la nuit même, sa marche dans les sables vers Zouara, distante de 55 km. Il y arrivera en moins de 10 heures. Champion de Tunisie du saut en longueur et triple saut (Zitouna Sport et équipe nationale), il y était en quelque sorte bien préparé. Une famille amie, celle de Farhat Garoui, qui sera par la suite ambassadeur de Libye en Tunisie, l’accueillera chez elle, avant de l’aider à s’installer à Tripoli. Grâce à ses amis, il obtiendra un poste de professeur de mathématiques au lycée de Bab Ben Ghechir, et un titre de séjour en tant que réfugié politique.
Tout semblait bien se passer pour lui jusqu’au jour où des policiers viennent le cueillir en mai 1971 pour le conduire aux locaux de la police des frontières. Malgré ses papiers en règle, il est accusé de séjour illégal et menacé d’être renvoyé en Tunisie, en dépit de ses vives protestations. Profitant d’un moment d’inattention, il échappe à l’officier qui l’interrogeait, arguant un besoin pressant et, découvrant une fenêtre sans fer forgé, il sautera du deuxième étage. Prenant ses jambes à son cou, il courra de toutes se forces jusqu’à l’ambassade d’Irak où il demandera à être mis en contact avec une vieille connaissance tunisienne, Massoud Chebbi, alors dirigeant de haut niveau au commandement du Baâth à Bagdad. Son ami volera à son secours, le fera garder en hôte à la chancellerie, le temps de lui envoyer un passeport irakien en bonne et due forme. Son nom est cependant écrit à l’irakienne : Tahir Hussain. Ce précieux talisman en main, il partira immédiatement pour la France. Paris en 1971 était certes agréable, surtout quand on y a des camarades, mais il devait se débrouiller pour gagner sa vie. «J’ai dû faire tous les boulots, nous confie-t-il. De vendeur de journaux pour France Soir au distributeur de prospectus. Je me suis inscrit en physique aux Arts et Métiers et j’ai pu décrocher ma maîtrise, mais je devais travailler en parallèle. Le meilleur job que j’ai pu avoir était celui de vendeur de sandwichs et de boissons dans les trains, section wagons-lits, en prenant la relève de mon ami Mongi Milad (qui sera plus tard président du Conseil de l’ordre des ingénieurs). C’était le paradis, puisque j’y gagnais bien ma vie et cela me laissait, sur mon temps de repos, la possibilité de militer au sein de l’opposition tunisienne. Je fréquentais tous les groupes, je nouais des connaissances et je me mobilisais pour toutes les bonnes causes».
Encore une fois, le hasard interviendra dans son parcours. Des amis l’introduisent auprès de Thomson CSF, le grand fabricant d’armes qui cherchait des ingénieurs multilingues pour des missions de formation auprès de ses clients de par le monde. Bien qu’il ne soit pas ingénieur, mais grâce à sa maîtrise de l’arabe, du français et de l’anglais, il pouvait faire l’affaire moyennant une formation spécifique poussée. Au bout d’une année, il deviendra en 1975 ingénieur maison et entamera sa carrière auprès des clients sud-américains et arabes. Tahar s’adonnera à la tâche, préparant soigneusement ses cours, rédigeant avec attention et pédagogie ses manuels didactiques sur l’utilisation des missiles et autres engins. A la grande satisfaction de ses supérieurs et de ses élèves.
Une affaire juteuse
Son bonheur ne durera pas longtemps. En 1980 et suite à un gros contrat avec la Libye, on lui demande de se rendre à Tripoli pour assurer la formation sur place. Conscient de ce qui pouvait l’y attendre, il déclinera la proposition, mettant sa démission en jeu. Le voilà alors au chômage, mais pas pour longtemps. Quelques mois seulement après, ses supérieurs regretteront ses manuels si bien rédigés et le rappelleront, mais cette fois-ci pour travailler en tant que consultant externe, pour rédiger des supports de formation. Le contrat était juteux. En pleine opulence du marché des armes, les honoraires proposés étaient mirobolants et les commandes nombreuses. A lui seul, il n’y arrivait pas, alors qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner. Ben Hassine débauchera un ancien collègue égyptien.Ils se mettront à deux, créeront ensemble une petite société, puis recruteront d’autres ingénieurs formateurs. Ils finiront par atteindre des pics de 180 ingénieurs. En 1981, bénéficiant de l’amnistie décrétée par Bourguiba, il obtient son passeport tunisien et rentre pour la première fois au pays, après 11 ans d’exil. Juste le temps de se ressourcer et le revoilà de retour à Paris.
Aux honoraires facturés, la manne était fort abondante. L’argent est là, la société tourne bien (jusqu’à aujourd’hui avec près de 80 salariés) et Tahar Ben Hassine peut puiser dans ses revenus de quoi financer son arme de résistance, la chaîne TV El Hiwar Ettounsi, dont il a eu l’idée avec Mohamed Charfi.
En 2006, il retournera s’installer en Tunisie, mais se retrouvera sous étroite surveillance. A peine est-il interpellé quelques jours, et une vague internationale de protestation le sortira des geôles de Bouchoucha. De par le monde, ses amis voleront à son secours. Le pouvoir, qui commençait à lâcher du lest, ne voulait plus courir le risque, à cause de lui, d’un autre scandale international. A partir de Tunis, Tahar Ben Hassine continuera à alimenter en infos sa chaîne TV, au grand dam de ses contempteurs.
«Je quitterai Nida Tounes le jour où il sera au pouvoir»
Le 15 décembre 2010, deux jours avant l’immolation de Bouazizi, il repartira avec son épouse rejoindre leurs deux enfants restés à Paris, pour de courtes vacances de fin d’année, le temps de reprendre son souffle. Et le voilà revenir dans le premier avion dès le déclenchement de la révolution. «De l’aéroport, je suis directement parti chez Ahmed Néjib Chebbi pour le dissuader de se joindre au gouvernement de Mohamed Ghannouchi», nous dit-il. Sans parvenir à le convaincre. Il se démènera pour relancer sa chaîne TV, cette fois-ci à partir de la Tunisie et en toute légalité, et s’engagera avec les forces progressistes. A la naissance de Nida Tounes, il décidera d’y adhérer. «Au titre du rapprochement historique entre la gauche et les nationalistes, argumente-t-il, pour former un bloc commun face aux mêmes menaces». «Les islamistes, souligne-t-il, on ne veut pas qu’ils disparaissent, tant ils font nécessairement partie désormais du paysage. Nous voulons qu’ils restent afin de développer des anticorps». Un perspectiviste, emprisonné par Bourguiba et contraint à l’exil qui adhère au parti fondé par Béji Caïd Essebsi ? «Nous avons révisé nos positions à l’égard de Bourguiba, répond-il. Malgré tout, son apport, dans de nombreux domaines, est beaucoup plus important que la dictature qu’il avait instituée».
«Maintenant, et je l’ai dit à mes amis de Nida Tounes, Essebsi, le premier, je quitterai le parti le jour où il prendra le pouvoir». Sacré Tahar Ben Hassine, il ne s’accomplit que dans l’opposition!
TH