Chedly Ayari : « Des pousses vertes, mais les risques négatifs persistent »
Cibler un double processus vertueux de maximisation des risques positifs / minimisation des risques négatifs, et miser sur une grande capacité de rebondissement au cours des six mois à venir : tel est le message central délivré par le gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari, en introduction du rapport annuel de la BCT 2012 remis mardi au président de la République provisoire. Ci-après le texte intégral du mot du Gouverneur :
L’année 2011 avait été un « annus horribilis » dans tous les sens du terme. Le Rapport Annuel 2011 publié par la Banque Centrale d e Tunisie (BCT), l’a, statistiques et analyses à l’appui, amplement illustré. Le risque d’un « bis repetita », autrement dit, d’une aggravation de la récession, ou plutôt, de la stagflation (croissance économique négative ou anémique accompagnée d’une inflation en hausse) en 2012 paraissait, au début de l’année passée, tout, sauf anodin. En effet, la menace de l’enfoncement de l’économie tunisienne dans ce que les analystes appellent un « double dip », - un double effondrement - était réelle.
Les dommages infligés à l’appareil productif, depuis l’implosion du 14 Janvier, sur fond d’une instabilité politique, sociale et sécuritaire encore fortement résiliente, en dépit des progrès accomplis, rendaient pareil diagnostic tout à fait plausible.
Surtout si on rappelle, par ailleurs, l’exposition, sans filet de sauvetage, de notre système économique à des chocs exogènes: commerciaux, financiers et monétaires, sévères et multiples.
A la fin de la première année post-révolution, toutes les composantes du développement national se trouvaient, en fait, fragilisées. Chute-record du taux de croissance économique, avec un élargissement jamais atteint de l’output gap (différence entre le taux de croissance réalisé et le taux de croissance potentiel soutenable), témoignant d’un essoufflement évident du rythme de création des richesses dans notre pays et ce, avant même la révolution du 14 Janvier.
Massification du chômage le plus implosif de tous-celui des jeunes diplômés.
Creusement des inégalités régionales, matrice de la révolution de janvier 2011 et potentiellement de toutes celles qui pourraient lui succéder. Détérioration des grands équilibres macroéconomiques internes et externes: déficit budgétaire et déficit des opérations courantes en hausse, aggravation de l’endettement public extérieur, accélération du rythme de la dépréciation du taux de change du dinar vis-à-vis du dollar US et de l’Euro,épuisement rapide des avoirs nets en devises, dérive de l’inflation de l’indice des prix à la con sommation, etc.
Et cerise sur le gâteau, dégradation accélérée du risque souverain tunisien par la quasi-totalité des agences internationales de notation.
Toutefois, les faits, tels que collectés et analysés dans le rapport de la BCT 2012, ne donnent pas toujours raison aux mille et un Cassandres et autres prophètes du malheur (prophets of doom), pour qui le pire ne cessera jamais… d’être devant nous. Des zones vertes, ou plutôt verdoyantes, ce que le président américain, Barak Obama, avait qualifié, dans un dis cours sur l’économie US, de « pousses vertes » (green shoots) essaiment, malgré tout, le tableau de bord du développement tunisien à fin 2012. Le présent Rapport annuel de la BCT en rappelle un nombre non négligeable. En effet, de l’inflexion remarquable, vers le meilleur, enregistrée par le taux de croissance du PIB, après une année 2011 proprement désastreuse, à l’arrêt de la progression du taux de chômage, à la nette amélioration du stock des avoirs nets en devises étrangères, pour ne prendre que ces quelques balises de la conjoncture économique et sociale tunisienne au terme de l’année passée, les « upside risks » - autrement dit, les risques positifs, ceux qui sont susceptibles de valoriser davantage les points forts de l’économie tunisienne, sont incontestablement à l’œuvre.
Toutefois, les « downside risks » - les risques négatifs, ceux qui menacent de détériorer davantage les équilibres macroéconomique s du système de développement national tunisien - persistent aussi. En effet, aucune des distorsions évoquées précédemment n’aura été réduite ou contenue, suffisamment, en tout cas, pour autoriser quiconque de parler de fin de crise, encore moins de reprise durable. Bien au contraire. Deux années après le déclenchement de la révolution du 14 Janvier, nombre de ces distorsions ont empiré même. L’année 2013, voire l’année 2014 aussi, devraient justement cibler ce double processus vertueux de maximisation des risques positifs / minimisation des risques négatifs, si l’on veut créer les conditions optimales d’un retour durable de l’économie nationale à un nouveau cycle de croissance forte, soutenable et inclusive.
Pareil ciblage est la raison d’être même du program me de réformes conjoncturelles et structurelles que le gouvernement tunisien a consignées dans les deux documents de politique économique que sont le Budget Général de l’Etat et le Budget Economique pour l’année 2013, y compris en ce qui concerne les choix stratégiques en matière de coopération internationale, dont le dernier accord de stand-by, conclu en Juin dernier avec le FMI, est u ne illustration. Toute lecture dudit accord hors de ce contexte-là, risque fort d’être biaisée.
Mais, avant de conclure, parlons un tout petit peu de l’avenir, aussi. Au moment où le présent rapport sera entre les mains d u public, plus de la moitié de l’année 2013 se serait déjà écoulée. De ce que nous connaissons déjà de ce premier semestre de l’année en cours, le succès de la stratégie du double ciblage évoquée plus haut ne semble pas garanti. Les performances s’annoncent, en effet, plus rares hélas! que les contre-performances.
Au point d’anticiper une année économique et sociale 2013 plutôt morose, aux cotés d’une année politique percluse encore d’incertitudes diverses, quant aux grandes échéances constitutionnelles et électorales censées annoncer l’épilogue d’une transition dont la société politique comme la société civile souhaitent vivement la fin.
Toutefois, les conjoncturistes, nationaux et étrangers, qui sont, aujourd’hui, nombreux à nous tenir ce discours, pourraient aussi être démentis, ici ou là, par le potentiel de rebondissement dont dispose encore l’économie tunisienne et qui ne demande qu’à être libéré des contraintes et des obstacles divers: productifs, commerciaux, ou monétaires, ou politique ou institutionnels qui continuent de l’obérer. C’est sur cette capacité de rebondissement qu’il nous faudrait miser au cours des six mois à venir, dans l’objectif de conforter la relance timide de 2012 et d’inscrire ainsi l’économie tunisienne, dès 2014-2015, dans l’orbite d’une croissance élevée, durable et équitable. Nous savon s que la tâche est tout, sauf aisée. Mais nous savons aussi qu’elle est tout, sauf impossible.
Chedly AYARI
Gouverneur
Le 1er Juillet 2013
Télécharger le Rapport annuel 2012 de la Banque Centrale de Tunisie